Grand habitué des Lundis musicaux depuis leur recréation, Stéphane Degout retrouve à l’Athénée un des exercices qui lui va le mieux – mais sans routine aucune, puisqu’il invite un jeune ténor écossais, Glen Cunningham, à partager la scène avec lui (comme il l’a fait à Strasbourg en novembre dernier, dans un programme un peu différent).
Le duo s’est rencontré à Strasbourg il y a un an, lors d’une production du rare Guercœur d’Albéric Magnard : à l’époque déjà, Forum Opéra évoquait le jeune chanteur comme un talent « très prometteur », « à suivre, assurément ». Avec élégance et bienveillance, Stéphane Degout promeut ainsi un jeune artiste avec qui il partage, dit-il, l’amour de la mélodie et du Lied.
Un premier moment du récital est constitué de Lieder de Fanny et Felix Mendelssohn. Dans les duos, la symbiose technique et artistique entre les deux chanteurs, en plus d’être admirable, est touchante. Stéphane Degout rappelle dans un délicieux Nachtlied pourquoi il peut être vu, à bon droit, comme un des meilleurs interprètes contemporains de ce répertoire : tout est dans l’impression de simplicité et d’évidence qui fait éclore un texte, avec une diction irréprochable, un legato hypnotisant et une maîtrise parfaite du souffle qui autorise des aigus très doux, tout juste allégés mais jamais détimbrés. On remarque dans Schwanenlied le piano parfaitement romantique d’Anna Tilbrook, qui aide sans doute Glen Cunningham à détendre peu à peu son émission et à installer son interprétation.
Le jeune Écossais défend ensuite des chansons traditionnelles de sa patrie sur des textes du poète national qu’est Robert Burns. Son enthousiasme contagieux dans My Heart’s in the Highlands, son dialogue délicat avec Anna Tilbrook dans la ritournelle amoureuse d’Ae Fond Kiss donnent tout son sens à cette section du récital, en guise de présentation au public parisien. Ténor léger au son clair et à la diction précise, il n’est pas sans rappeler par son timbre et son adéquation avec le répertoire défendu le jeune Ian Bostridge. On remarque avec plaisir le soin qu’il met à chanter les diphtongues si particulières de l’anglais écossais. Après la « Chanson écossaise » de Ravel, qui marque une judicieuse transition vers la partie française du programme, il cède la place à son baryton de mentor et au pianiste Simon Lepper, complice de longue date de Stéphane Degout.
S’il manque un rien de malice pour les épigrammes pas si sérieuses de Clément Marot, Stéphane Degout livre une version admirable des trois chansons de Don Quichotte à Dulcinée. Sa voix retrouve son tranchant et son ampleur opératiques le temps d’une splendide chanson épique et d’une jubilatoire chanson à boire. Le jeu de Simon Lepper mérite d’être salué dans un répertoire redoutable, dont il tire une interprétation habitée et volontaire.
Pour le dernier moment du récital, les deux chanteurs se retrouvent à nouveau sur scène en dialogue musical, d’abord autour des Fêtes galantes de Debussy, le premier cahier étant interprété par Glen Cunningham et le second par Stéphane Degout, pour souligner, disent-ils, la continuité entre ces deux petits cycles composés à une douzaine d’années d’intervalle. On ne sait plus quoi écrire sur la précision sacerdotale du français de Stéphane Degout et sur son art stupéfiant de faire chanter les sonorités des mots, qualité inestimable chez Verlaine. Il campe des atmosphères bien dessinées pour chacune des vignettes des Fêtes galantes, sculptant sans maniérisme le dialogue acerbe et doux du « Colloque sentimental », un sommet de la soirée – avec l’immortel « Après un rêve » de Fauré. Glen Cunningham, quoique fatalement moins expert en la matière, offre de beaux moments, entre autres dans le célèbre « Clair de lune » et, plus à son aise, il propose une version tous aigus dehors des « Chemins de l’amour » de Poulenc. Le duo « Puisqu’ici-bas toute âme », qu’on a l’impression de redécouvrir dans cette très rare configuration pour ténor et baryton, conclut une soirée réussie, pleine de promesses de maturité et d’éclosion.