La danse s’invite aux Rencontres Musicales d’Evian pour une ambitieuse soirée entre répertoire et création. Le Béjart Ballet Lausanne a traversé le Léman pour offrir son Boléro dans une version inédite, celle pour chœur de voix mixtes initiée par l’Ensemble des Métaboles.
L’air de rien, ainsi, un vent quasi révolutionnaire souffle sur l’institution suisse garante de l’héritage du chorégraphe : c’est peut-être la première fois que ses formidables danseurs se produisent dans leur programme phare sur une musique qui n’est pas celle de la version historique.
Thibault Perrine en a écrit une transcription pour chœur mixte à la demande de Léo Warynski. L’ensemble, qui fête ses quinze ans, relève là un défi de taille : alors que la voix est l’un des seuls instruments à ne pas être utilisé par Maurice Ravel dans son Boléro ; transformer une apothéose de l’orchestre en ivresse vocale.
Indéniablement, l’a cappella renforce la dimension primitive et tribale de l’œuvre, cassant l’aspect savant de la partition. Onomatopées, sifflements, percussions corporelles enrichissent discrètement la technique lyrique classique.
Les chanteurs, magnifiquement installés sur la galerie, en fond de scène, parmi les troncs de bouleaux, surplombent le plateau, participant à une cérémonie mystérieuse relevant de la transe incantatoire.
La superposition des timbres, très individualisés, constitue un joli écho à celui des vents qui entrent successivement au début du Boléro, mais il n’est pas simple pour l’oreille d’accueillir cette perturbation et aussi riche que soit le travail de couleur des Métaboles, elles peinent à atteindre la plénitude de la version orchestrale.
Rendre le colossal crescendo symphonique par la seule présence des voix semble une gageure quasi impossible à relever. L’ensemble ne démérite pas et propose un travail très abouti bien que la justesse s’avère parfois hasardeuse.
Happé par l’hypnotique chorégraphie, submergé par cette sensualité triomphante, le spectateur ne peut que s’enthousiasmer devant l’extraordinaire prestation de la soliste, Kathleen Thielhelm et du Béjart Ballet.

Avant l’hymne à la vie que constitue le Boléro, deux courts ballets avaient explorés son revers, le thème d’une fin inéluctable. L’occasion de découvrir la proposition prenante, pleine de souffle des frères Pierre et Théo Fouchenneret de l’adagio cantabile de la sonate pour violon n7 de Ludwig van Beethoven. Cet Adage pour deux, superbement dansé par Elisabet Ros et Julien Favreau reprend le propos du ballet Rendez-vous de Roland Petit : un homme rencontre son destin ; sa mort a visage de femme.
En ouverture, cinq danseurs illustraient les quatre derniers Lieder de Richard Strauss, dans une chorégraphie toute aussi classique. Marianne Croux et Théo Fouchenneret – habitués du festival – en offrent une version sensible et habitée qui mène la chanteuse au bord des larmes au moment des saluts.
La soprano franco-belge a déjà travaillé avec les danseurs de l’opéra de Paris en 2019 comme soprano solo dans les Noces de Stravinsky. Elle termine cette saison avec deux beaux succès à son actif, avec d’une part, un disque des mélodies de Bizet, et d’autre part une Donna Anna remarquée au Théâtre des Champs Elysées.
Ce soir encore, le timbre est opulent, rond et bien couvert. Le legato se fait sensuel et les nuances caressantes dans « September ». Si la diction est perfectible, en quatre Lieder, du printemps au soleil couchant, l’émotion est prégnante ; l’écoute, intense. Désemparée dans« Beim Schlafengehen », elle reprend – après la ligne surprise du violon qui s’invite un instant, comme un clin d’oeil à la version orchestrale – dans un beau crescendo, bien canalisé, qui flatte l’ampleur de la voix avant que cette dernière ne s’épanouisse dans une déchirante lamentation.
Le piano, très affirmé dans « Im Abendrot », sait également se nuancer de beaucoup de délicatesse et s’avère d’un soutien sans faille face à la belle présence hiératique et fragile de la cantatrice.
