Débuts concomitants et très attendus de Diana Damrau et Jonas Kaufmann au Festival d’Aix-en-Provence. Concernant le Munichois, sa venue était d’autant plus espérée qu’il avait fait faux bond en 2023 pour un Otello en version de concert (il avait du reste été remplacé par un Arsen Soghomonyan de gala ). Les deux complices sont actuellement en tournée en compagnie du pianiste Helmut Deustch, avec quasiment toujours le même programme. Cette tournée a commencé en mars 2025 à Essen, elle compte treize dates, Aix-en Provence est la douzième et elle se terminera le 30 juillet à Salzbourg. Forum Opera était présent à la Philharmonie de Paris ainsi qu’à la Grange au lac d’Evian les Bains.
Autant dire que l’exercice est maîtrisé. Le programme est judicieusement bâti. La première partie est consacré aux lieder de jeunesse de Strauss (les Dernières feuilles sont écrits alors qu’il n’a que 21 ans) ainsi qu’à quelques autres des 200 lieder qu’il composa. En seconde partie, place à Mahler avec notamment les Rückert-Lieder avant un retour à Strauss et pour conclure les quatre Lieder de l’opus 27. Dans la première partie, les deux artistes sont ensemble sur scène et chantent en alternance. Diana Damrau débute seule la seconde partie du programme (Mahler) et laisse Kaufmann conclure avec les Rückert avant de reprendre l’alternance dans les derniers Strauss.
Les morceaux s’enchaînent quasiment sans pause et se répondent judicieusement. On y parle d’amour, d’amour et encore d’amour ; chaque lied entre en quelque sorte en résonance avec le précédent. La plupart des lieder proposés ce soir ont été composés pour voix d’homme (notamment ceux de Mahler). Diana Damrau, lorsqu’elle reprend ces poèmes qui racontent bien souvent une conquête amoureuse, joue judicieusement et très discrètement de l’adaptation grammaticale pour rendre encore plus crédible ces saynètes, qui, pour certaines sont pour ainsi dire mises en scène. L’interaction permanente, la complicité peut-on même dire entre les deux artistes est manifeste (Einerlei, Wer hat’s getan) sans jamais être surjouée.
© Vincent Beaume
Alors bien sûr, Damrau et Kaufmann ne quittent pour ainsi dire jamais leurs zones de confort, nous faisant profiter pleinement de la maîtrise des moyens vocaux déployés. On a pu craindre en tout début de soirée un vibrato un peu large chez Damrau, mais il n’en a rien été. Les harmoniques sont puissantes, d’une richesse incomparable, elle cueille les aigus perchés avec facilité (Die Zeitlose : « Den Leib von einer Lilie ») et c’est dans les plus élégiaques que le charme opère : la Rheinlegendchen est un bel exemple de délicatesse et de simplicité à la fois.
Quant à Jonas Kaufmann, les aigus et les basses (plus que les mediums notons-le) sont remarquables de richesse. C’est là aussi dans les aigus pris ppp, que notre ténor impressionne le plus (Die Nacht : « …mir bangt, sie stehle… »). Pour ce qui est des admirables Rückert, ils sont pris avec tout le sérieux et la gravité qui conviennent. Du grand art.
Helmut Deutsch est apparu fatigué sur scène ; toutefois les petits problèmes de synchronisation de sa tablette, survenus en tout début de récital ne l’ont nullement déstabilisé – et il a, encore ce soir, réalisé un sans-faute.