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Cinq questions à Carlo Vistoli

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Interview
29 juin 2017
Cinq questions à Carlo Vistoli

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C’est la nouvelle sensation au pays des contre-ténors : Carlo Vistoli vient de sortir son premier disque soliste chez Arcana (« Arias for Nicolini ») et participe à la tournée mondiale imaginée par John Eliot Gardiner pour le 450e anniversaire de la naissance de Monteverdi. Au lendemain des représentations de la trilogie de ses opéras à Venise et à quelques jours de la création de l’Erismena de Cavalli au Festival d’Aix-en-Provence, Carlo Vistoli revient sur son actualité et nous livre ses premières impressions sur ce qui promet d’être un événement.


Vous interprétiez déjà Ottone en 2014, à Belgrade. A l’époque, vous déclariez adorer ce rôle et pouvoir le chanter tous les jours. John Eliot Gardiner a presque exaucé votre vœu, puisque cette année, vous l’interprétez à travers toute l’Europe et même aux Etats-Unis ! L’aimerez-vous toujours après cette tournée de six mois ?

Je suis content d’avoir la possibilité d’interpréter ce rôle un aussi grand nombre de fois cette année et, tant qu’à présent, je ne pense pas qu’une fois que la tournée s’achèvera, en octobre, j’en aurai assez de le chanter.  Mais je suis également heureux de pouvoir annoncer mon engagement au Festival de Salzbourg, l’été prochain, pour une nouvelle production du Couronnement de Poppée où j’incarnerai Othon sous la direction de William Christie, un chef auquel je suis tout particulièrement attaché. Cet enthousiasme s’explique facilement. Aborder cet opéra et ce rôle en particulier – celui qui, indubitablement, me convient le mieux tant de par son écriture que de par son caractère – signifie faire l’expérience, par personne interposée, de sentiments aussi réels qu’ambigus et ravageurs. Si, d’un côté, je cherche, comme toujours, à apporter quelque chose de moi-même au personnage que j’interprète, de l’autre, ce rôle finit immanquablement par me laisser aussi quelque chose et par me changer, soir après soir.

Certes, c’est là le grand mystère du théâtre, mais en même temps, je crois que peu d’opéras affichent une vérité aussi aiguë dans l’expression des sentiments qui animent les personnages. Les protagonistes du Couronnement de Poppée ne sont pas les simples pions d’un schéma dramaturgique, au contraire, ils semblent par moments plus réels que leurs interprètes. Ils sont constitués de ce matériau à la fois vil et glorieux qui fait des hommes ce qu’ils sont. Capables du meilleur comme du pire, ils font l’expérience, non moins que nous, du drame de la nature humaine en éprouvant sa constante ambiguïté.

Sur le plan de l’interprétation, John Eliot Gardiner m’a laissé relativement libre; nous avons cherché ensemble à entrer dans les détails du phrasé et à faire ressortir le parcours harmonique tortueux qui caractérise la ligne du personnage d’Othon. Le génie extraordinaire de cet opéra procède de la rencontre parfaite de deux langages bien distincts mais qui convergent dans la même direction: le langage musical de Monteverdi et celui, poétique, de Busenello, auxquels s’unit, finalement, un troisième, celui de l’interprète, sa sensibilité, sa poétique sonore, etc. Mais à ce stade, je peux seulement espérer avoir fait de mon mieux et continuer à le faire!   

À en croire la publicité du Festival d’Aix, votre personnage dans l’Erismena, Idraspe, évolue dans un tout autre registre qu’Ottone, puisque ce serait plutôt un prince charmant et volage. Que pouvez-vous nous en dire, sans trop lever le voile sur cette nouvelle production ?

Othon et Idraspe ont, sans aucun doute, un « registre »  en commun : celui de contralto. Par contre, pour ce qui est de la typologie dramatique, en effet, ils se situent sur deux plans différents: alors que Othon représente l’amant blessé et trahi, Idraspe campe, au contraire, celui qui trahit et blesse – en l’occurrence, Erismena. Ses airs s’adressent à une autre femme, Aldimira : le magnifique lamento du deuxième acte « Uscitemi dal cor, lagrime amare » (un des plus beaux moments de tout l’opéra) en est un exemple.

L’intrigue doit clairement se conclure par un lieto fine et donc, lorsque Erismena révèle sa véritable identité, Idraspe prétend en être de nouveau amoureux, apparemment sans aucune logique. On peut à ce niveau observer un parallèle entre les deux personnages : les sentiments d’Othon changent eux aussi de manière soudaine, en l’espèce vis-à-vis de Drusilla, à qui il déclare son amour; toutefois, les mots sur lesquels se conclut le deuxième acte (« E pur al mio dispetto, iniquo Amore, / Drusilla ho in bocca, ed ho Poppea nel core »)  nous révèlent que ce qui l’a poussé à cette déclaration c’est, en réalité, le désespoir dans lequel l’a plongé le rejet de Poppée. Ensuite, après s’être servi de Drusilla pour essayer d’accomplir le crime qui lui a ordonné Octavie, il s’accuse lui-même pour sauver la vie de la jeune fille et, à ce moment-là, ses paroles semblent plus sincères – mais le doute subsiste.  

Dans le cas d’Idraspe, en revanche, son revirement est subit mais aussi inexplicable : pourquoi, après avoir abandonné Erismena cinq ans plus tôt et avoir recherché de maintes façons l’amour d’une autre femme, se dit-il prêt à être tué par Erismena si elle refuse de lui pardonner ? La constance dont elle a fait preuve le culpabilise-t-elle au point qu’il retrouve instantanément ses premiers élans ? A moins que, plus probablement, ce comportement ne s’explique par les conventions théâtrales de l’époque. De fait, il n’est guère crédible qu’un personnage qui, au premier acte, déclare avec force « pour les passions amoureuses, un seul aliment ne peut combler notre faim »  – donc un personnage plutôt volage –, ait une réaction comme celle à laquelle nous assistons à la fin de l’opéra. Notre metteur en scène, Jean Bellorini, a exploité cet illogisme apparent pour conférer aux personnages une touche de folie qui peut expliquer certains comportements impulsifs. Dans notre spectacle, Idraspe se repent vraiment à la fin et ses paroles sont sincères, exactement comme lorsque le refus d’Aldimira provoquait son désespoir : nous le croyons dans les deux cas. C’est la vitalité et l’impétuosité de la jeunesse, dans la joie comme dans la douleur, qui motivent ses actes et suscitent une forte empathie chez le spectateur.     

Leonardo García Alarcón vous avait déjà dirigé dans Elena, mais pour des reprises du spectacle créé à Aix. Cette fois, vous avez pris part à la genèse de la création. Comment s’est passé le travail avec le chef et sa collaboration avec le metteur en scène Jean Bellorini ?

Travailler avec Leonardo Garcia Alarcón est une expérience que je qualifierais d’électrisante. Ce qui frappe le plus dans son modus operandi et qui va de pair avec la richesse des idées qu’il déploie, c’est la facilité avec laquelle il transporte les collaborateurs au cœur de son univers musical où ils font partie prenante d’une idée qui tire sa force principale de son extrême singularité. C’est un superbe musicien et il s’est imposé ces dernières années comme un interprète majeur de Cavalli : il aime profondément cette musique et même si parfois certains choix peuvent paraître arbitraires, il les met en œuvre avec une telle maîtrise et une telle force de conviction qu’il parvient à vous persuader qu’il ne peut en aller autrement.

Par conséquent, même la ligne vocale doit être adaptée à l’idée qu’il se fait du phrasé, un phrasé très dirigé. Personnellement, je cherche à prendre exemple sur la manière dont il fait sonner son orchestre – un orchestre plein de couleurs et rythmiquement très mobile –, et de suivre ses indications pour créer une harmonie entre la fosse et la scène. Quand je chantais Peritoo lors des dernières représentations d’Elena, mais aussi à l’occasion d’autres collaborations avec lui, j’avais déjà pu apprécier cette particularité, mais je dois dire que prendre part à la création d’un « nouvel » opéra (si je puis dire !) est vraiment palpitant : c’est une découverte continuelle et je crois que, cette fois, je suis en train de donner forme à un personnage et de le faire « mien » – guidé, en cela, par le chef et le metteur en scène. 

Le travail avec Jean Bellorini est tout aussi intéressant et je pense qu’il se marie bien avec la vitalité et la fraîcheur de la vision de Leonardo Garcia Alarcón. Cette expérience avec un metteur en scène issu d’un univers aussi éloigné que celui du théâtre expérimental est très formative pour un chanteur comme moi. Je ne voudrais pas en dire trop sur le spectacle qui va être créé le 7 juillet au Festival d’Aix, mais je peux vous dire que c’est un work in progress où les personnages et les relations se nouent progressivement en se nourrissant beaucoup de l’individualité des chanteurs. Je veux dire qu’on part de la personnalité des interprètes pour rechercher une « vérité » et une immédiateté au sein d’une intrigue souvent improbable, caractérisée par les topos dramaturgiques de l’époque. Dans la vision de Bellorini, les protagonistes de cet opéra sont des gens extravagants, las mais en même temps pleins d’énergie et qui se situent au-delà de la morale; leurs actes sont impulsifs et souvent irrationnels, comme ceux des enfants. 

On vous aura beaucoup entendu dans l’opéra du Seicento cette année, mais au disque, vous retrouvez Haendel (Amadigi, Rinaldo) pour un portrait de Nicolini où figurent également des raretés de Pergolesi, Sarro et Scarlatti. Comment est né ce projet ?

Ce projet est né de la volonté de proposer le portrait le plus complet possible de la vocalité de Nicolas Grimaldi – dit Nicolino – et il a été réalisé grâce à la Fondazione Pietà de’ Turchini de Naples. Nicolino fut un artiste adulé au cœur d’un star system semblable à celui d’aujourd’hui, protagoniste d’une époque et surtout témoin d’un moment significatif de l’histoire de la musique et du chant. Actif de la moitié des années 80 du XVIIe siècle jusqu’en 1732 (il mourut peu avant de faire ses débuts dans La Salustia de Pergolesi), il fit partie de ces artistes qui imprimèrent un profond changement à la vocalité baroque en l’orientant vers une expression des affetti liée non plus au naturel des paroles chantées, mais à l’habileté du chanteur qui réussit à éblouir, à émerveiller le public. 

Et le bagage technique de s’étoffer, de se complexifier, depuis le souffle nécessaire au soutien d’une longue phrase comme du legato jusqu’aux coloratures et à la gestion d’un ambitus nettement plus large que celui généralement requis au siècle précédent. En recherchant les traces de Nicolini non seulement parmi les pages les plus célèbres qu’il a créées (je pense surtout au rôle-titre de Rinaldo), mais aussi parmi les pages moins connues voire totalement oubliées – entre autres les airs de l’Arsace de Domenico Sarro, qui s’imposent comme d’authentiques gemmes à redécouvrir d’urgence –, nous remontons aux sources d’une histoire vocale qu’aujourd’hui nous cherchons à ramener à la lumière du jour, à travers le compromis de la voix de contre-ténor. Personnellement, à mon âge, je me trouve dans la tessiture de Nicolino, entre le contralto et le mezzo-soprano – néanmoins, par choix, je chante habituellement dans une zone plus grave –, et j’ai trouvé fort intéressant de voir, par le biais des partitions, comment sa vocalité a évolué au cours de sa vie.  

Vous avez développé, au contact de William Matteuzzi, une technique de chant très italienne et une puissance assez inhabituelle pour un contre-ténor. Qu’est-ce qui vous a conduit à faire ce choix ?

A l’époque moderne, la voix de contre-ténor est apparue en Angleterre, au gré d’une renaissance qui allait de pair avec la redécouverte du répertoire pour lequel elle était employée. La liste des contre-ténors présents et passés d’origine anglaise est longue, tandis que les contre-ténors italiens ou du moins héritiers de l’école de chant italienne sont nettement moins nombreux. Les premiers sont en fait les collègues d’Outre-Atlantique, je pense à la génération des Daniels et Mehta, deuxième génération d’héritiers d’une école de chant italienne transplantée en Amérique au début du siècle dernier. En Italie ce n’est que récemment que s’est formé un groupe, restreint mais compact, de contre-ténors.

Personnellement, ce qui m’intéressait, c’était justement de redécouvrir, aidé en cela par la particularité de ma voix, une « italianità » du chant adaptée à ce répertoire de la musique ancienne. Une vocalité qui fasse de l’homogénéité des couleurs à travers les registres, d’une projection adéquate et d’une aisance dans l’expression du texte ses véritables points de force. William Matteuzzi, célèbre ténor belcantiste, est un des derniers héritiers de cette tradition séculaire et presque en voie d’extinction. Je me suis tourné vers lui pour construire petit à petit la vocalité qui est aujourd’hui la mienne. J’ai également bénéficié de l’enseignement de Sonia Prina, avec qui j’ai approfondi le répertoire baroque. Si la scène reste le meilleur des maîtres – on peut toujours apprendre quelque chose de nos collègues –, je cherche toujours, lorsque je n’ai pas d’engagement, à trouver le temps pour faire un « check-up » avec eux, avec le souci permanent de m’améliorer. 

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