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Les fous chantants (7) : Les chiens ne font pas des chats !

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Actualité
5 août 2020
Les fous chantants (7) : Les chiens ne font pas des chats !

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Le talent artistique, c’est souvent une affaire de famille. Et quand ce n’est pas le talent, c’est au moins le piston. Au théâtre ou au cinéma, on connait la dynastie des Barrymore, Pierre et Claude Brasseur, Lucien et Sacha Guitry, Gérard et Guillaume Depardieu, Louis, Françoise et Mathilde Seignier… Chez les compositeurs : Leopold et Wolfgang Amadeus Mozart,  Johann Strauss père et fils et les deux jeunes frères, Josef et Eduard, des Bach en veux-tu en voilà, les frères Bogdanoff1… Il en va parfois de même avec les chanteurs :  Manuel Garcia et ses deux filles, Maria Malibran et Pauline Viardot, Enrico Caruso et son fils illégitime, Enrico Caruso Junior (qui ne fit pas carrière mais dont on peut apprécier le potentiel), Jussi Björling et son fils Rolf, Plácido Domingo, son père Plácido Francisco Domingo Ferrer, baryton, sa mère Pepita Embil (la reine de la zarzuela), et son fils Plácido Domingo Junior, ou encore Andrea et Matteo Bocelli, et bien sûr Johnny et David Hallyday…

Venons-en à nos héros du jour. Rosina Wolf est un soprano au répertoire particulièrement étendu puisqu’il couvre Carmen jusqu’à la Reine de la Nuit, en passant par Madama Butterfly, Salome, Isolde, Brünnhilde et Norma. Avec le rôle de Nelly, Rosina Wolf participa également à la création mondiale de la quatrième (et dernière) version d’Adelson e Salvini, de Vincenzo Bellini, à New York en 1972, aux côtés de son fils, Stefan Zucker, dont nous reparlerons plus loin. Rosina Wolf avait étudié le chant auprès de Giuseppe Bertelli, chef d’orchestre italien qui dirigea assez régulièrement à l’Opéra de Rome dans les années 1940 et 1950. En 1951, Franco Corelli gagne le concours du Maggio Musicale Fiorentino à Florence, ce qui lui donne droit à un engagement au festival de Spolète la saison suivante, dans Aida. Corelli travaille le rôle de Radames avec notre fameux Bertelli. Il faut croire que cet enseignement n’est pas aussi fructueux qu’espéré, car Corelli, considérant qu’il manquait encore trop de subtilité technique et de legato pour le rôle, opta pour Don José dans Carmen… On n’entend plus parler de Bertelli après cela.

L’art de Rosina Wolf est résumé dans une présentation sur le site de la Belcanto Society qui, par une coïncidence surprenante, est administré par nul autre que par son fils, Stefan Zucker. « Elle chante avec plus de flamme et de pathos que qui que ce soit (à l’exception peut-être de Tamagno (note : le créateur d’Otello). Beaucoup de divas interviewées expliquent qu’elles basent leurs interprétations primitivement et avant tout sur le texte. Celles de Rosina sont basées sur une réponse émotionnelle à la musique. Ressentir était tout pour elle. On connait cette platitude consistant à dire que les interprétations sont ennuyeuses quand les chanteurs ne vont pas jusqu’au fond du sens des mots. Elle disait :  « Dans certains cas, les mots ont inspiré les compositeurs, qui les ont alors interprétés pour nous de certaines façons. Quand un compositeur a bien mis en musique les mots, le chanteur a rarement besoin d’en rajouter. Quand le chanteur base son interprétation sur le texte, il peut en résulter une émotion superficielle. De telles interprétations peuvent souvent apparaitre comme exagérément fouillées et surchargées. Il faut au contraire avoir une disposition pour sentir la musique et les couleurs adaptées. Nous venons d’abord à l’opéra pour l’émotion, qui a souvent peu à voir avec les mots en tant que tels. Un chanteur doit aller au-delà des mots (…) » [Ne croirait-on pas lire les propos de détracteurs de Jonas Kaufmann ?]. Rosina admire grandement Olivero, dont l’interprétation est primitivement et avant tout basée sur le texte ». Comprenne Kiepura.

Mais, qu’importe tous ces discours face à la démonstration publique de ces talents ?  Voici Rosina Wolf interprétant le duo « Sorgi, o padre », extrait de l’opéra de Bellini, Bianca e Fernando. Les sourcils n’ont pas été modifiés : accès direct. On appréciera au passage le flegme héroïque de sa partenaire.

Bon sang ne saurait mentir. Né en 1949, Stefan Zucker se qualifie lui-même modestement de ténor « le plus aigu du monde ». Il a dirigé la revue Opera Fanatic magazine et a animé (avec un sens aigu de l’interview : ahah) un programme radio hebdomadaire, diffusé sur WKCR dans la région de New York, entre 1970 et 1995. WKCR est la radio du campus de l’Université de Columbia (officiellement reconnue en 1941, en tant que CURC, for Columbia University Radio Club). La radio a été imaginée dès 1939 pour permettre aux étudiants de se familiariser avec ce media, tant du niveau technique qu’en termes de contenus (on n’est pas à la Sorbonne). La radio est plus tard rebaptisée WKCR : KCR pour King’s Cross Radio (la couronne royale est le symbole de l’université et rappelle son ancienneté pré-guerre d’indépendance) ; et W parce qu’à la suite à d’une odieuse campagne de lobbying du trust des marchands de W, ce préfixe est obligatoire dans la nomenclature de toutes les radios des Etats-Unis. Parmi les invités de Zucker, on compte Magda Olivero, Franco Corelli, Jerome Hines, Alfredo Kraus, Francisco Araiza, Ferruccio Tagliavini, Grace Bumbry, Carlo Bergonzi…  Corelli, très timide et qui ne se présentait que rarement en public après s’être retiré des scènes, participe à 11 émissions. Mais Zucker n’est pas assez aimable avec ses assistants, qu’il critique à l’antenne quand ils font des erreurs (un disque qui tourne trop vite…), oubliant que ceux-ci sont avant tout des étudiants, et que les parents des petits chéris paient chers pour leurs études. On lui reprochera aussi le contraire, c’est-à-dire d’être trop aimable, ainsi lorsqu’il qualifie l’un d’eux de « yummy » (« appétissant »). Zucker doit également faire face à un autre scandale : il a invité le maire de New York, le très conservateur Rudy Giuliani, pour qu’il évoque ses souvenirs de spectateur lyrique. Pour les activistes progressistes de l’université, on dépasse ici les limites de la liberté d’expression (en revanche, l’institution accueillera plus tard sans états d’âmes le sympathique Mahmoud Ahmadinejad). En 1995, Zucker est viré de la station et les pétitions ou lettres de ses auditeurs n’y pourront rien changer. A la fin des années 90, Zucker a également parcouru l’Italie pour interviewer les grandes divas des années 50 : Magda Olivero, Leyla Gencer, Gina Cigna, Iris Adami Corradetti, Fedora Barbieri, Giuletta Simionato, Carla Gavazzi, Anita Cerquetti, Marcella Pobbe, Gigliola Frazzoni… La dizaine d’heures de rushes a été concentrée en un documentaire d’une heure et demi, sorti en 1998, et signé par Jan Schmidt-Garre (c’est bien la voix de Stefan Zucker lui-même que vous entendez, même si l’on croit voir Fidel Castro). Les entretiens semblent se concentrer sur deux fixations de Zucker : la note la plus haute jamais atteinte, et l’usage de la voix de poitrine. Zucker est également l’auteur de plusieurs ouvrages (discutables mais toujours intéressants), dont la trilogie Franco Corelli and a Revolution in Singing, qui dépasse largement le cadre de son titre, et évoque un grand nombre de ténors contemporains et leurs techniques vocales à la lumière de cette masse d’interviews passées au cours de toutes ces années.

Mais ce qui nous intéresse ici, c’est le chanteur, l’artiste, abreuvé aux meilleures sources de la technique vocale. Avec Stefan Zucker, nous retrouvons l’art du belcanto tel qu’il était à l’époque de Giovanni Battista Rubini, ténor qui créa entre autres Il Pirata (1827), La Sonnambula (1831), I Puritani (1835) de Bellini, Anna Bolena (1830) et Marino Faliero (1835), de Donizetti cette fois. Enfin… c’est ce dont Zucker est convaincu en tout cas. Disons, que c’est un goût à acquérir, notamment ces trilles et variations dans La Fille du Régiment. On dit que les femmes s’évanouissaient à la voix de Rubini : ça n’a plus rien d’étonnant. A moins que ce ne soit la cravate qui soit trop serrée. Zucker imite également à la perfection certains animaux et pourrait probablement abattre un avion en plein vol avec ses suraigus. Le ténor américain a également enregistré un 33 tours, dans lequel Rosina Wolf lui donne occasionnellement la réplique. On lui concèdera un certain sens de l’humour car la pochette fourmille de citations de critiques flatteuses (« De telles voix n’apparaissent qu’à de rares occasions, comme les éclipses totales »),  et une qui ne l’est pas vraiment : « Sa voix ressemble à celle d’une grue atteinte de coqueluche et à qui on couperait la gorge ». Ténor assoluto, Stefan Zucker s’est également illustré dans le répertoire wagnérien : et un contre-fa dans Die Walküre, ça a de la gueule ! Zucker a été reconnu comme ténor le plus aigu au monde par le Livre Guinness des records dans son édition de 1980 : c’est grave…

(à suivre)

1. Né en 1887 dans l’Etat de Georgie, Roland Hayes était le fils de deux anciens esclaves devenus cultivateurs. Ses origines remonteraient d’un côté à la Côte d’Ivoire (un arrière-grand-père chef de tribu ramené comme esclave) et de l’autre aux indiens cherokees. Son père meurt quand il n’a que onze ans. Il fait des petits boulots tout en étudiant le chant, devient ténor professionnel, et connait une notoriété certaine des deux côtés de l’Atlantique passée la trentaine. Citons Wikipedia : « En 1925, lors d’un concert donné en mémoire du défunt empereur François-Joseph Ie d’Autriche, au château de Schönbrunn à Vienne, Roland Hayes rencontre une comtesse, Bertha Kolowrat-Krakowská (1890-1982), mariée au comte Hieronymus de Colloredo-Mannsfeld (1870-1942), de qui elle a déjà quatre fils. De la liaison hors mariage de Roland Hayes et de cette comtesse, serait née une fille non reconnue par Roland Hayes. Pour éviter le scandale, la comtesse fuit Vienne pour s’installer en France, dans le Gers. Sa supposée fille naturelle, « Maya », Maria Dolores Franzyska Kolowrat (1926-1982), deviendra la mère des jumeaux animateurs de télévision Igor et Grichka Bogdanoff ». Et toc !
 

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