Né le 16 mars 1934 à Oxford, Roger Norrington est mort le 18 juillet dernier, à l’âge de 91 ans. Le parcours qui le mènera à la direction musicale est assez atypique puisque ses études académiques sont tout autre. Il s’initie au violon à 10 ans. Plus tard, il étudie la littérature et l’histoire à Cambridge, au Clare College, entre 1954 et 1957. Il continue à s’intéresser à la musique en dehors de son parcours universitaire. En plus du violon, il étudie le chant (il est ténor et des témoignages de sa voix chantée subsistent). Il est l’un des exécutants du Clare College Choir. Diplôme en poche, il est engagé par Oxford University Press, chargé de la publication d’ouvrages dans le champ de la religion. Parallèlement, il joue du violon dans divers orchestres ou ensembles. Il collabore au Chelsea Opera Group. Passionné par la musique d’Heinrich Schütz (1585-1672), compositeur allemand contemporain de Monteverdi qu’il découvre en 1960, il fonde le Schütz Choir en 1962. Après avoir un temps travaillé en Afrique pour son éditeur, il démissionne, retourne en Angleterre et étudie la direction d’orchestre avec, entre autres, Adrian Boult. Le chef britannique a un répertoire très large mais il contribua à la résurgence d’un baroque plus historiquement informé. Norrington dirige ensuite le Kent Opera (plus de 400 représentations de 1969 à 1984), les London Classical Players (qu’il fonde en 1978 et dirige jusqu’en 1997), le Bournemouth Sinfonietta (1985-1989), l’Orchestra of St. Luke’s (1990-1994), la Camerata Salzburg (1997-2007), le Stuttgart Radio Symphony Orchestra (1998-2011). Ces fonctions ne l’empêchent pas de diriger bien d’autres formations, tant comme chef principal que comme artiste invité : Orchestre de chambre de Paris, English National Opera, Royal Opera, Rossini Opera Festival, Scala, Fenice, Vienne, Berlin, Amsterdam…
Son répertoire est très large et on lui doit plus de 150 enregistrement de compositeurs aussi divers que Beethoven, Berlioz, Brahms, Bruckner, Haendel, Haydn, Mendelssohn, Purcell, Rossini, Schubert, Schumann, Smetana, Weber, Wagner, Williams… Son enregistrement des neuf symphonies de Beethoven (1987-1990) marque son époque car il suit à la lettre les indications métronomiques du compositeur et offre ainsi des tempi différents de ceux utilisés traditionnellement (1). L’orchestre joue sur instruments anciens, avec un diapason abaissé (probablement 430 Hz). Les instrumentistes sont également placés différemment (premiers et seconds violons de part et d’autre du chef par exemple), changeant l’équilibre global de celui-ci.
Le vibrato, c’est la grande affaire de Norrington. Pour simplifier, le vibrato dont il est question ici est une technique consistant à faire vibrer les cordes au delà de la stricte exécution de la note écrite : il est obtenu par l’oscillation des doigts de la main gauche sur les cordes, ce qui permet de colorer une note, de lui conférer richesse, intensité ou sensualité… Norrington oppose le vibrato à la pureté du son (« pure tone »). Il le rejète ou le limite pour l’exécution de la musique baroque sur instruments anciens, mais aussi, ce qui est assez unique, pour le répertoire classique et romantique sur instruments modernes. Pour Norrington, le vibrato serait une mauvaise habitude postérieure aux années 30 qui découlerait en particulier des choix interprétatifs du célèbre violoniste soliste Fritz Kreisler, choix repris par les orchestres. Qu’on apprécie ou pas le résultat, cette position apparait vite comme totalement dogmatique : le vibrato était déjà pratiqué dans les orchestres bien avant cette date comme en témoigne l’histoire de l’enregistrement sonore.
La direction de Norrington était généralement alerte (beaucoup moins l’âge venant), contrastée au niveau de la rythmique et des dynamiques. S’il a peu dirigé d’opéra dans les années récentes, on pouvait néanmoins y trouver un certain sens du théâtre.
Roger Norrington avait pris sa retraite en 2021.

(1) Quand Beethoven commence à composer, le métronome n’existe pas. Il est inventé en 1812 à Amsterdam par l'horloger hollandais Dietrich Nikolaus Winkel, et breveté en 1816 par l'allemand Johann Nepomuk Mælzel. Ce dernier est justement l’ami du compositeur. D’abord sceptique, Beethoven indiquera finalement les tempos à suivre (en 1817) pour tout une partie de ses compositions, dont les huit premières symphonies. Norrington n’était toutefois pas le premier à s’intéresser aux indications de Beethoven : Felix Weingartner (1863-1942) l’avait fait bien avant lui, notamment pour son enregistrement de l'intégrale des symphonies (la toute première de la discographie) dans les années 30. Toutefois, la plupart des chefs d’orchestre ou musicologues ont préféré ne pas tenir compte de ces indications, arguant que la surdité du compositeur l’empêchait de mesurer pleinement l’impact de ses choix. Cette même surdité ne l’a pas empêché de composer ultérieurement une neuvième symphonie (1822-1824) et d’en préciser les tempos. On a aussi émis l’hypothèse que son métronome était déréglé, voire endommagé suite à un des nombreux mouvements de colère de l'ombrageux compositeur !. Voici à titre d’exemple quelques durées approximatives de la neuvième symphonie : Norrington ou Weingartner (1h02), Toscanini en 1952 (1h05), Furtwängler en 1954, Bernstein en 1979, Muti en 1975 (1h15 ou plus). À durées globales équivalentes, les versions Norrington et Toscanini diffèrent sensiblement au niveau de chaque mouvement : 14:06 contre 13:35, 14:07 contre 13:15, 12:08 contre 14:24 et 22:52 contre 23:25.