La saison du Royal Opera House s’est ouverte avec Don Giovanni dans la production que son ancien directeur Kasper Holten avait signée en 2014. Ce spectacle a également inauguré les retransmissions dans les cinémas de la première scène londonienne. Le décor ingénieux d’Es Devlin représente un bâtiment en forme de cube placé sur une tournette qui permet d’en dévoiler les escaliers, les niches et les nombreuses portes propices à divers jeux de scènes ou de cache-cache. Sur cet édifice de couleur blanche, les vidéos projetées de Luke Hall, permettent de créer un climat adapté aux différents tableaux. Durant l’ouverture la façade se couvre progressivement des noms des nombreuses conquêtes de Don Juan.
La direction d’acteurs, soignée, ne laisse pas un instant de répit aux protagonistes. Notons que le metteur en scène a pris quelques libertés par rapport au livret, Don Juan n’est plus ici un prédateur sexuel sans scrupule : au début de l’ouvrage, Anna semble consentante face à lui avant d’appeler à l’aide et à la fin de l’acte I, il est piégé par Zerline qui déchire elle-même ses vêtements pour l’accuser de viol. Lors de la scène finale, après le départ du commandeur, les autres personnages ne reviennent pas sur le plateau, Don Juan reste seul tandis que l’on entend le sextuor « Questo è il fin di chi fa mal » chanté dans la coulisse.
La distribution réunie pour la circonstance ne souffre d’aucun point faible. Côté féminin, se détache la superbe Zerline de Louise Alder. Fine comédienne, cette jeune soprano britannique à la voix claire et bien projetée semble promise à un bel avenir. L’Elvire de Myrtò Papatanasiu est davantage une amoureuse blessée qu’une virago. Si le grave demeure confidentiel, le registre aigu s’épanouit, limpide et lumineux. Son interprétation culmine dans un « Mi tradì » nuancé et particulièrement émouvant. Déjà présente en 2014, Malyn Byström possède une voix solide et homogène non exempte cependant de quelques duretés dans l’aigu. Plus à son aise dans « Non mi dir » que dans « Or sai chi l’onore » un rien tendu, sa Donna Anna ambiguë emporte finalement l’adhésion.
La distribution masculine est dominée par le couple maître / valet idéalement assorti. Véritable bête de scène, Erwin Schrott est un Don Giovanni doté d’une présence scénique qui en impose au point qu’on en oublie quelques menus écarts de justesse. Comment ne pas succomber à la séduction immédiate de son timbre de velours, notamment dans la sérénade, et à son charisme irrésistible ? A ses côtés, Roberto Tagliavini ne lui cède en rien. La basse possède un timbre homogène aux couleurs chaudes et un grave profond qui font de son Leporello une incarnation de haute volée. Son air du catalogue est un modèle de chant mozartien. Derrière ce valet de grande classe se profile peut-être un futur Don Giovanni, qui sait ? Daniel Behle compense un volume vocal modeste par une ligne de chant élégante et un style accompli qui font merveille dans « Il mio tesoro ». Agé d’à peine vingt-huit ans, Leon Košavić est un Masetto aux moyens prometteurs tandis que Petros Magoulas campe un commandeur impressionnant, en particulier dans la scène finale, spectaculaire de bout en bout.
Tournant le dos aux interprétations historiquement informées, Hartmut Haenchen adopte une direction résolument romantique qui n’est pas sans évoquer les grands enregistrements des années 50 et 60.
Le Royal Opera House retransmettra dans les cinémas Don Pasquale avec Bryn Terfel le 24 octobre prochain et La Bohème avec Sonya Yoncheva et Charles Castronovo, le 29 janvier 2020.