Comment mieux clore cette année Monteverdi que par un concert ? Dans le cadre somptueux de la cathédrale, le dernier Festival de Salzbourg offrait à son public une soirée où étaient associés Monteverdi et Biber, qui en avait été le maître de chapelle. Les voûtes du monumental édifice ont-elles si bien sonné à ces accents depuis sa consécration ? Rien n’est moins sûr. Quatre des pages les plus importantes des Selva morale e spirituale et un extrait des Vespro delle Beata Vergine constituent la première partie. Le Dixit Dominus ouvre le concert avec majesté, grandeur, avant la respiration heureuse du Beatus vir. La ponctuation régulière du continuo de la première partie, les variations instrumentales virtuoses, la sensualité très italienne de la section ternaire, tout concourt à la beauté de cette page justement célèbre. Pour la Sonata sopra « Sancta Maria ora pro nobis », les voix de femmes sont partagées entre deux tribunes latérales, avec une excellente individualisation des timbres, inattendue dans ce cadre. La partie instrumentale très développée, soutien du cantus firmus confié à la soprano, respire l’esprit concertant, avec cet ostinato rythmique qui conduit les voix à une joie éthérée. Le Laudate pueri, puis le Gloria sont splendides. On est conquis par la virtuosité vocale comme instrumentale, par sa souplesse, son naturel, ses phrasés et sa dynamique. Vaclav Luks, l’alchimiste tchèque passé par Bâle, transmuterait-il tout ce qu’il touche ? Rarement ces musiques d’apparat auront connu une telle vie, puissantes sans jamais être lourdes, animées sans fièvre, tour à tour sereines et exultantes. Il faut chercher le nom des solistes du chœur, plus brillants les uns que les autres, en petits caractères, semblables à ceux des instrumentistes et des autres chanteurs : c’est effectivement à une équipe talentueuse, épanouie, homogène et soudée que l’on a affaire.
Salzbourg n’est autrichienne que depuis 1816. Les guerres napoléoniennes et les traités qui suivirent placèrent la principauté épiscopale sous l’autorité de Vienne, après une autonomie, sinon indépendance, millénaire, dans le Saint Empire Romain. L’influence italienne y était prépondérante, souvenons-nous de Mozart et de ses démêlés avec Colloredo. Longtemps avant, en 1628, âgé de 23 ans, le Romain Orazio Benevoli écrivait une messe à 53 voix pour la consécration de la nouvelle cathédrale de Salzbourg. De sa Bohême natale, Biber y arriva en 1670, pour devenir adjoint au maître de chapelle, et enfin accéder à cette responsabilité (1684), qu’il assumera jusqu’à sa disparition, vingt ans après. Nul doute qu’il avait connaissance de cette autre Missa salisburgensis lorsqu’il composa la sienne, pour les 1100 ans de la fondation de l’archiépiscopat. Cette seconde messe fut ainsi longtemps attribuée à Orazio Benevoli, puis à Andreas Hofer.
Après le sommet que constituait la première partie, on redoutait quelque peu l’indigestion, compte-tenu de l’ambition affichée de cette messe. Les 53 parties sont regroupées en sept petits ensembles, de composition variée, disséminés pour mettre en valeur l’acoustique de l’édifice. L’influence vénitienne est évidente. Les musiciens sont ainsi répartis entre les quatre tribunes encadrant le chœur, où demeurent le continuo et l’essentiel de la troupe. Les trois longs accords réitérés du premier Kyrie, imposants, majestueux, avec trompettes et timbales empruntent à la gloire militaire. Si les fastes de la Rome du Nord sont bien présents, le contraste marqué avec le Christe, où les solistes seuls tressent leurs suppliques émeut et rassure : le compositeur sait alléger ses textures en fonction du texte. Le Gloria nous vaut, outre ses ponctuations vigoureuses, de belles interventions des solistes. Alors que, plus que toute autre, cette musique peut devenir confuse, brouillée par l’acoustique singulière du lieu, elle apparaît ici claire, rayonnante et colorée. Le spectacle est constant, sonore comme visuel. L’Amen du Gloria est proprement inouï. L’ enthousiasme collectif permet aux enchevêtrements complexes de la polychoralité d’être toujours d’une précision exemplaire. L’Et incarnatus,, d’une délicatesse rare, colorée, est un moment d’émotion, comme le Crucifixus confié aux seules voix graves. Chaque section appellerait un commentaire tant les combinaisons se renouvellent. Les harmonies audacieuses du Miserere surprennent.
A la différence de Reinhard Goebel et de Ton Koopman, qui l’ont gravée, Vaclav Luks opte pour une lecture italienne, parfaitement justifiée, qui donne à cette musique une animation peu commune. A la tête d’une équipe soudée, où chacun écoute l’autre et y accorde son chant, il impulse une vie rythmique et lyrique intense, ménageant les progressions, les contrastes accusés. Jamais les soli et les polyphonies ne souffrent de la réverbération qui homogénéise les tutti grandioses. Les couleurs se renouvellent avec bonheur par la variété des timbres et leurs multiples combinaisons.
Ce monument, est enregistré en DVD pour la première fois, qui plus est, dans son cadre baroque d’origine. L’image, toujours bienvenue, et le montage habile rendent bien compte de ce qui doit être considéré comme un événement.
Le livret, bien que lapidaire, comporte une introduction aux œuvres (en anglais et allemand) et les textes chantés, traduits en anglais.