Daniel Barenboim, même s’il a dirigé régulièrement le Requiem de Verdi, n’avait, sauf erreur, légué à la discographie qu’une seule version, en 1993, chez Teldec, avec le Chicago Symphony Orchestra, Placido Domingo, Ferruccio Furlanetto, Waltraud Meier et Alessandra Marc. Vingt ans après, il revient avec ses forces milanaises et une distribution qui est sans doute ce que l’on fait de mieux sur le circuit d’aujourd’hui, dans un enregistrement live disponible en CD et en DVD.
Le chef propose une lecture très impressionnante et, pour tout dire, intimidante, de cette messe. Rarement la mort a-t-elle été aussi présente sur l’ensemble de la partition ; les tempi sont justes, l’architecture d’ensemble lumineuse, les contrastes frappants (Liber scriptus), la partition détaillée d’une manière quasi chirurgicale. Tout du long, l’auditeur est saisi par une démarche réfléchie, nette, il est vraie rodée sur les scènes puisque le quatuor a donné quelques concerts en Europe…
L’orchestre de la Scala sonne admirablement (le basson dans Quid sum miser, les cuivres, la violence des Dies irae) et cet enregistrement vient à point nommé après tout le travail conduit depuis de longues années par le chef dans la capitale lombarde. Cette période touche à sa fin puisque, avec le départ de Stéphane Lissner et l’arrivée d’Alexander Pereira, un nouveau directeur musical, italien (Gatti ? Chailly ?) devrait être nommé. Le chœur chante à domicile et cela se sent (« Tuba mirum ! »). Les artistes milanais ont cela dans la peau et sont sans grands rivaux dans ce répertoire aujourd’hui.
Du côté des solistes, le quatuor est remarquable de cohésion. Les quatre stars chantent ensemble et cela mérite d’être souligné tant on a entendu des Requiem réduits à l’enchaînement de numéros de cirque. Il est dominé, évidemment a-t-on envie de dire, par Jonas Kaufmann en grande forme. Force, virilité, nuances, articulation, souplesse, charme, il a tout et, dans son jeu subtil reposant sur son timbre cuivré, les piani légèrement détimbrés et une autorité indéniable, il est poignant ; son Ingemisco est une démonstration de maîtrise technique et de musicalité. Chapeau. Ses partenaires ne sont malheureusement pas exactement au même niveau. Elina Garanča chante merveilleusement bien, seule comme dans les ensembles, mais son timbre clair et ses aigus faciles contrastent trop peu avec Anja Harteros (voir en particulier le Recordare des deux femmes… et le Liber scriptus de la Lettone, très sopranisant !). La soprano allemande, artiste superlative par ailleurs, constitue la vraie déception de l’enregistrement. Peut-être en méforme, elle connaît de sérieux problèmes d’intonation qui culminent dans un Si bémol du Libera me franchement bas. René Pape, lui non plus, n’est pas au mieux, même si l’instrument est exceptionnel. La basse attaque souvent par en-dessous avec des sons engorgés peu élégants, la voix bouge et manque de projection, en particulier dans le Confutatis.
Le bilan d’ensemble reste excellent et ce disque évènement vient se placer très haut dans la discographie abondante de la messe verdienne. On ne peut toutefois s’empêcher de songer avec regret au chef-d’oeuvre qui aurait pu être offert avec les quatre solistes au mieux de leur forme.