La fida ninfa (1732) ouvre la dernière décennie active de Vivaldi, qui s’épanouira en une série de chefs-d’œuvre influencés par le style napolitain (L’Olimpiade, La Griselda, Catone in Utica), dans lesquels l’efflorescence des airs, très développés et ornementés, prime sur la densité théâtrale. Les circonstances de sa création n’ont pas été sans incidences sur sa forme : l’ouvrage devait inaugurer le vaste Teatro filarmonico de Vérone, dessiné par Francesco Galli da Bibbiena, dont la construction avait duré treize ans et dont le principal mécène était le marquis Scipione Maffei, académicien et auteur de la plus célèbre des tragédies italiennes, Merope (1713). Pour cette circonstance solennelle, Maffei imposa sa propre mise en scène et un texte de sa plume : un livret élaboré près de vingt ans plus tôt… qui ne témoigne guère de sa familiarité avec le genre !
Difficile de résumer ce salmigondis : des pirates ont enlevé deux jeunes bergers qu’ils élèvent dans l’île de Naxos sous de nouvelles identités – l’un porte désormais le prénom de l’autre : Osmino. Bien des années plus tard, les mêmes pirates traînent dans la même île deux nymphes, dont l’une, Licori, était promise à Osmino. Licori demeurera-t-elle fidèle à l’Osmino d’autrefois ou à celui qui s’appelle désormais ainsi ?…
Si La fida ninfa ne compte pas aujourd’hui parmi les opéras les plus connus du Prêtre roux (en partie à cause de son déficient livret), il fut pourtant le premier à être enregistré : dès 1958, par le précurseur Angelo Ephrikian, dans une version raisonnablement complète mais où les rôles de castrats avaient été transposés à l’octave. Il fallut attendre 2008 et la gravure de Jean-Christophe Spinosi (Naïve) pour disposer d’une intégrale digne de ce nom.
Le présent enregistrement ne peut s’y comparer, notamment en raison des nombreuses coupures : deux rôles épisodiques, une dizaine d’airs et plusieurs da capo passent ici à la trappe ! Mais ce n’est pas à l’aune d’une production de studio qu’il faut juger cet écho d’un spectacle donné au Festival d’Innsbruck de 2023 – capté sur le vif, mais en plusieurs soirées et sans public, ou avec un public réduit au silence, étant donné qu’aucun applaudissement intempestif n’est à déplorer. Cette production a été victime des restrictions budgétaires qui frappent le monde artistique : la scénographie semble avoir été minimale, les chanteurs peu connus, l’orchestre réduit. Cependant, économie ne rime pas toujours avec médiocrité et cette parution a le mérite de nous faire découvrir une équipe attachante.
Certes, cinq violons et un seul violoncelle (auxquels s’ajoutent deux cors, deux flûtes, trompette, percussions et un continuo limité à trois instruments), c’est peu, pour un ouvrage de ce prestige, qui s’achève sur une trépidante tempête. Mais Chiara Cattani, se prenant moins au sérieux que Spinosi, qui tendait à tout sur-dramatiser, opte pour une direction à la mesure de son excellent petit ensemble (scindé en due cori pour le Concerto en Fa tenant lieu d’ouverture) : souple, alerte, fine et claire dans ses intentions, très vivante dans les ensembles (les deux délicieux duos, le fameux trio et son contrepoint à plusieurs sujets), privilégiant l’esprit et la drôlerie sur le pathos – un choix qui se discute mais s’avère parfaitement assumé.
L’équipe vocale, à l’unisson, se caractérise d’abord par son excellente élocution. Le contre-ténor Nicolo Balducci qui, au disque, ne nous a pas toujours convaincu, a rarement paru aussi inspiré et se montre fort émouvant dans la sicilienne venue d’Orlando furioso. Sans pouvoir vraiment se mesurer à Sandrine Piau, la soprano Chelsea Zurflüh affronte crânement le pyrotechnique « Alma oppressa » et, tout comme le poignant sopraniste Vojtech Pelka (parfois mis en difficulté par des tempi frénétiques), campe un personnage juvénile, combatif et crédible. Le ténor Kieran White séduit par un timbre suave (de haute-contre à la française), mais paraît tétanisé par l’exigence de ses grands airs, tandis qu’au contraire la basse Yevhen Rakhmanin abuse de sa grosse voix un peu grinçante (mais, après tout, il s’agit d’un pirate) et que l’agréable mezzo Eline Welle n’a plus grand-chose à chanter.
L’ensemble n’offre donc pas à l’ouvrage une référence discographique : il constitue plutôt une jolie carte de visite pour des interprètes tout à fait prometteurs.