Comme de très nombreux artistes lyriques, la soprano Alketa Cela attend avec espoir et beaucoup de patience la réouverture des théâtres. Française d’origine albanaise, elle a choisi depuis 1995 de vivre en France pour s’y installer artistiquement et y fonder une famille. En cette période incertaine, elle évoque avec passion, certains points qui lui tiennent beaucoup à çœur, liés à la situation actuelle et à sa carrière.
Ces dernières décennies, le public français a eu la chance de vous apprécier dans de nombreux rôles du répertoire, Pamina, Mimi, Liu, Butterly, Micaëla, Valentine…Dans quelle ville avez-vous débuté et dans quel rôle ?
Après avoir suivi des études musicales à Tirana en Albanie, je me suis construite par la suite, seule à cet art. J’ai finalement débuté à Trévise en Italie dans le rôle de Pamina puis vite repérée et engagée à l’Opéra de Lyon fin 1996 pour le même rôle de la Flûte Enchantée, mais cette fois-ci en langue française. Aussi, il a fallu que j’apprenne très rapidement le français. C’est l’amour pour la culture de ce pays qui m’a fait rester en France et y mener ma carrière et ma vie familiale. Les contrats se sont rapidement enchainés dans plusieurs autres villes : Nancy, Metz, Tours, Montpellier, Lyon, Bordeaux…
Les dernières années avant le premier confinement, vos prestations eurent surtout lieu à Varsovie, ville dans laquelle vous avez triomphé. La France vous aurait-elle abandonnée ?
En effet, je le regrette vivement. Les tous derniers contrats avant la pandémie ont eu lieu à l’Opéra de Varsovie avec Butterfly sur plusieurs saisons et Violetta. La fidélité avec un théâtre est importante pour l’approfondissement des rôles et le développement d’une carrière. L’artiste a besoin d’avoir un retour permanent du public pour pouvoir donner le meilleur de lui-même. Contrairement par exemple à certains de mes collègues qui ont la chance de continuer à travailler en Allemagne, je pense que l’abandon en France des troupes sédentaires ou des artistes attitrés à une maison d’opéra, entrave la fidélité entre les chanteurs et son public, empêchant toutes tentatives de prises de nouveaux rôles.
La situation actuelle mondiale liée à l’épidémie du coronavirus est catastrophique pour de nombreuses professions, mais celle de l’Art vivant semble être encore plus problématique, qu’en pensez-vous ?
Même si je garde un espoir entier pour l’après confinement, les artistes lyriques se retrouvent un peu seuls. Nous n’appartenons pas à une structure collective. Cette solitude actuelle est doublement pénalisante car on ne peut pas du tout pratiquer son art et on se retrouve seul face à ses problèmes et angoisses. Cette période est dure. Tous les artistes ont besoin de retrouver des moments de communion directe avec le public. En attendant des jours meilleurs, il faut soutenir les talents, les fidéliser avec le spectateur. Cette situation actuelle nous fait réagir et surtout nous fera réfléchir sur l’avenir.
Votre puissante voix de soprano lyrique, lumineuse et cuivrée, vous ouvre t-elle les portes d’un nouveau répertoire, frôlant le soprano dramatique ?
Effectivement, on m’a reproché pour certains rôles, une voix trop imposante. Ce que je ne pense pas. Je mets ma voix au service de l’expression dramatique et émotionnelle du personnage. Comme ma tessiture vocale est imposante cela peut donner cette impression de puissance. Je crois en effet que c’est un atout pour certains rôles dramatiques. Aujourd’hui, avec des voix trop lissées et uniformisées, tout le monde croit pouvoir tout chanter. Ne devrions-nous pas au contraire revenir aux tessitures originales de l’œuvre dans lesquelles chaque chanteur apporterait ses propres émotions et le relief exigé au personnage ? J’en suis profondément convaincue.
Peut-on parler aujourd’hui de projets alors que la situation n’est pas réglée et que toutes les structures lyriques n’ont pas encore repris leurs activités ? Quels sont toutefois vos rêves ?
Je n’ai pour l’instant que des contrats de récitals d’airs d’opéras à Lyon, à Toulon et Paris, sous réserves et une tournée de concerts avec orchestre, en Asie, en Chine et au Japon. Malheureusement aucune piste dans une production d’opéra. Mon grand rêve serait d’aborder les rôles comme Elisabeth de Valois, Amelia, Madeleine de Coigny ou encore Manon Lescaut et pourquoi pas, sur une scène parisienne. Pour l’instant, optimiste et patiente, mon seul souhait est de retrouver très vite mon public et surtout de chanter, pour lui.
Propos recueillis le 17 novembre 2020 ©