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Karina Gauvin, style rocaille

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Actualité
12 janvier 2015
Karina Gauvin, style rocaille

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Récitals à Grenoble, Paris… Niobe dans l’opéra du même nom d’Agostino Steffani en version de concert un peu partout en Europe… Karina Gauvin est au cœur de l’actualité de ce mois de janvier. Son medium est charnu mais ses aigus s’étranglent souvent, sa tessiture est large mais ses vocalises sont rêches, et son timbre coloré qui sait s’alléger en un souffle peut aussi se durcir et heurter : ce ne sont pas des limites mais une signature, sa bizarrerie, un style que Karina Gauvin sait transformer en charme.

Karina Gauvin est l’incarnation vocale du style rocaille : style décoratif qui se développe dans l’Europe baroque du début du XVIIIe siècle et qui tente par les artifices de la pierre de reproduire le foisonnement de la nature et du végétal en agençant foison de coquillages et d’éclats de roche. Notre perle du jour a la dureté et la beauté d’une grotte aux parois hérissées de sentiments et où coule le ruisseau du drame. Rocaille que son timbre : dur comme de la pierre pour le drame, mais souple et sensuel pour les atermoiements. Rocaille que ses vocalises où la voix généreuse semble s’écorcher. Rocaille que son jeu : ses emportements de reine où les yeux, hallucinés, s’écarquillent et la mâchoire semble vouloir mordre. Rocaille enfin que sa prosodie : ces mots affutés par une articulation qui en exploite tout le relief musical. Ce style qui précède l’avènement du rococco n’a pas l’insouciance de ce dernier : Karina Gauvin excelle à remuer les tréfonds de l’âme humaine, pas à gazouiller. Un peu comme Inga Kalna, on ne croit jamais vraiment au bonheur des personnages qu’elle interprète. La blessure se signale toujours, même dans la joie : une vocalise qui s’éreinte, un aigu à la dure stridence, une phrase qui s’essouffle.  Le miracle tient justement à ce que ces effets n’apparaissent pas comme des défauts, des manquements, mais bien comme des variations, belles car porteuses de sens dramatique.  Et lorsque l’héroïne souffre, son soprano tellurique terrifie. Elle sait parer la splendeur hédoniste d’une voix pulpeuse par des cassures, des brisures qui semblent rappeler en permanence son caractère éphémère, mortel. Une vanité. Cet alliage est d’une puissance rare et suffit à des emportements qui ne paraissent jamais factices ni surjoués.

Si la discographie officielle de Karina Gauvin est fournie, ce sont surtout les chefs qui l’accompagnent dont les choix peuvent porter à débat, hélas : elle est de presque toutes les intégrales d’Alan Curtis, dont la mollesse légendaire soutient mal le drame ou le dynamisme des airs. On reste aussi dubitatif sur Alexander Weiman qui la dirige dans deux récitals et une intégrale où l’orchestre chétif peut vite agacer à force de chercher à exister face à sa prima donna. Nous aimerions cependant davantage l’entendre dans le répertoire français ou dans Mozart.

Chez Haendel, son plus grand rôle est certainement Alcina et, paradoxe, elle ne l’a jamais enregistré. Si vous ne pouvez mettre la main sur le live des représentations de Beaune en 2005, il faudra vous contenter des extraits de l’un de ses récitals Handel. Pour être conquis, il suffit d’entendre avec quelle intelligence dramatique et musicale elle s’empare des premières phrases d’un « Ah mio cor » ciselé — la rocaille encore — mais jamais narcissique : un « ah » râpeux suivi d’un léger vibrato avant que la pulpe de la voix ne vienne envahir le texte, et notamment ces « stelle » et « dei » qui commencent comme des invocations et se rétractent en une fraction de seconde. Sa Morgana reste cependant étonnante, offrant une épaisseur dramatique et vocale inédite à ce personnage, sœur d’Alcina et non sa femme de chambre, rappelons-le.

Allez ensuite l’écouter en Fulvia dans Ezio : « La mia constanza » ou « Ah non son io che parlo » sont des joyaux méconnus de l’œuvre du Saxon ; le reste de l’œuvre est plus inégal. Enfin ne manquez pas le délicieux, mélancolique et pastoral Tolomeo où elle est idéalement entourée. L’Alessandro lui offre un rôle moins intense mais elle est dirigée cette fois-ci de baguette de maître par George Petrou.

Ses récitals consacrés à ce compositeur souffrent quant à eux d’accompagnements soit trop sages, soit trop voyants, mais le Stream of pleasure consacré à l’oratorio lui offre des moments bouleversants où, spiritualité du répertoire aidant, elle devient allégorie de l’humanité souffrante. Ses Asteria (Tamerlano) ou Angelica (Orlando) sont très honorables mais la direction pas toujours à l’avenant fait ressortir des formules toutes faites au détriment du drame. Quant aux Ginevra (Ariodante) ou Cleopatra (Giulio Cesare), les airs les plus insouciants lui conviennent mal et seuls les lamenti la trouvent magnifique. Coté live, ses Rodelinda ou Armida sont idéales.

Chez Vivaldi c’est son Manlio qu’il faut découvrir en priorité : l’air du sommeil devrait vous marquer durablement et la direction d’Ottavio Dantone est parmi les toutes meilleures pour ce compositeur. Les airs de Teutile du Motezuma donné en live à Paris valent également le détour, tout comme la vidéo de Juditha Triumphans (avec un « Armatae face » où elle utilise sa voix parlée de façon effroyable). Par contre son disque de Motets de Vivaldi enregistré en tout début de carrière la montre plus soucieuse de pureté de l’émission que fervente, trop jeune encore pour y imprimer sa singularité. Quant au récital Porpora, certains airs brillent au firmament de la discographie de ce compositeur (« Smanie d’affano ») quand d’autres sont tout bonnement sabotés par le chef (« Nobil onda »).

Ne manquez pas non plus son récital Purcell, modèle du genre où elle rappelle Yvonne Kenny, utilisant toutes les ressources du texte avant de donner de la voix pour les moments les plus intenses. A la même époque, l’Ariadne de Conradi est un bel exemple d’opéra hambourgeois, berceau de Haendel, qui y puisera les éclats de ses premières magiciennes.

Chez les Français, on commencera par son disque de cantates « Hyver », à défaut de pouvoir découvrir sa Circé infernale du Scylla et Glaucus de Leclair ou sa récente et impériale Armide de Gluck captées uniquement par la radio.

Pour Mozart enfin, puisque beaucoup l’ont découverte en Vitellia mégère repentie, il faudra vous tourner vers son dernier, superbe et impétueux récital ou attendre la sortie du Don Giovanni dirigé par Currentzis où elle incarnera Donna Elvira.

Dans les prochains jours, les parisiens pourront l’applaudir dans un récital Handel à la salle Gaveau et en Niobe de Steffani. Courez-y.

DISCOGRAPHIE

1996
BACH J.S., Petit livre d’Anna Magdalena Bach – Beauséjour (Analekta)
BEETHOVEN, Musique de scène pour l’Egmont de Goethe – Rescigno (Analekta)

1997
VIVALDI, Motets pour soprano – Les Chambristes de Ville-Marie (Analekta)

1999
HANDEL, Arias – Lamon (Analekta)
Récital, Fête galante – Hamelin (Radio Canada)
HANDEL & MOZART, Messiah – Parrot (Arabesque)
Récital, Images de Noël (CBC)

2000
HANDEL : Silete venti & Apollo e Dafne – Labadie (Dorian)
BARBER, Knoxville : Summer of 1915 – Alsop (Naxos)
COUPERIN, Concert dans le goût théâtral – Sempé (Astrée)

2001
MOZART & SCHUBERT, Motets – Labadie (CBC)
MOZART, Requiem – Labadie (CBC)

2002
CANTELOUBE, Chants d’Auvergne – Armenian (CBC)

2003
CONRADI, Die schöne und getreue Ariadne – Stubbs (CPO)
MAHLER, Symphonie n° 4 – Nézet-Séguin (Atma)

2004
SCARLATTI A., Agar e Ismaele esiliati  – Seattle Baroque (Centaur)

2005
BOISMORTIER, L’Hiver & CLÉRAMBAULT, Orphée – Colpron (Atma)
VIVALDI, Tito Manlio – Dantone (Naïve)

2006
PURCELL, Arias – Colpron (Atma)
HANDEL, Tolomeo – Curtis (Archiv)

2007
LULLY, Psyché – Stubbs (CPO)
HANDEL, Alcina – Curtis (Archiv)

2008
HANDEL, Arias – Weimann (Atma)
HANDEL, Ezio – Curtis (Archiv)

2009
BACH J.S., Cantate 82 et Psaume 51 – Labadie (Atma)
POPORA, Arias – Curtis (Atma)
BRITTEN, Les Illuminations – Zeitouni (Atma)

2010
HANDEL, Ariodante – Curtis (Virgin)
VIVALDI, Farnace – Fasolis (Virgin)

2011
HANDEL, Streams of pleasure (avec MN.Lemieux) – Curtis (Naïve)
HANDEL, Bestiary (livre-disque de Dona Leon; avec A.Hallenberg) – Curtis (Heinemann)

2012
Pasticcio, L’Olimpiade – Marcon (Naïve)
HANDEL, Alessandro – Petrou (Decca)
HANDEL & VINCI, Prima donna – Weimann (Atma)
HANDEL, Messiah – Taurins (Tafelmusik)
HANDEL, Giulio Cesare – Curtis (Naïve)

2013
HANDEL, Giove in Argo – Curtis (Virgin)
MOZART, Arias – Labadie (Atma)

2014
HANDEL, Tamerlano – Minasi (Naïve)

2015
MOZART, Don Giovanni – Currentzis (Sony)
STEFFANI, Niobe – Stubbs (Erato)

 

RADIO & TV

Bizet, Les Pecheurs de perles – Chaslin (Montréal 2008)
Fauré, Requiem – Equilbey (Saint-Denis 2013)
Gluck, Armide – Bolton (Amsterdam 2013)
Handel, Alcina – McCreesh (Beaune 2005) & Labadie (Montréal 2004)
Handela, Rodelinda – McCreesh (Beaune 2013) & Adamus (Cracovie 2013)
Handel, Rinaldo – Dantone (Paris 2009)
Handel, Solomon – Labadie (Québec 2014)
Leclair, Scylla et Glaucus – Rousset (Versailles 2005)
Mozart, La Clemenza di Tito – Rohrer (Paris 2014)
Vivaldi, Juditha Triumphans – Marcon (Amsterdam 2009)
Vivaldi, La Senna Festeggiante – Marcon (Amsterdam 2011)
Vivaldi, Motezuma – Curtis (Paris 2007)

http://karinagauvin.com/

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