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Les dix commandements du critique

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Humeur
9 août 2018
Les dix commandements du critique

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« Qui êtes-vous pour oser critiquer ainsi ? » Cette phrase, beaucoup de critiques l’ont entendue, généralement après avoir émis un avis négatif sur une œuvre ou une interprétation, car, bizarrement, tout le monde serait légitime à dire du bien. Mais dire du mal, ou simplement nuancer l’enthousiasme sur tel chef d’œuvre ou tel ténor acclamés par tous nécessiterait d’être quelqu’un, sans que l’on sache bien qui d’ailleurs. Nous le dirons tout net : il n’est pas besoin d’être autre chose qu’un spectateur ou un auditeur pour juger esthétiquement, n’importe qui est en droit de qualifier ce qu’il voit ou ce qu’il entend, mais pour le faire bien, voici dix commandements qui pourront servir au critique en herbe comme aux pontes de la profession (et nous entendons déjà les « qui êtes-vous pour oser commander aux critiques ainsi ? »).

  1. Dogmatique tu ne seras pas
    En d’autres termes, tu n’as jamais raison car personne n’a raison. Ce n’est pas de science dont il s’agit ici, mais d’art et donc de polysémie entremêlée de subjectivité. Inutile donc de se prévaloir d’une orthodoxie critique : les critiques publiées dans les médias généralistes ou spécialisés ne sont pas plus légitimes que d’autres. Tu n’es personne pour juger, mais il n’est pas besoin d’être autre chose qu’un être humain capable d’émotions et de sentiments pour le faire.
  1. Ton propos tu argumenteras
    Ce que tu n’as pas aimé hier, tu peux l’adorer demain : l’opéra n’est pas du domaine de l’alimentaire et la discussion esthétique sert aussi à faire évoluer le goût. Que tes critiques soient élogieuses ou pas, tu argumentes ton propos sur des exemples aussi précis que possibles ; tu restes poli sans donner dans le béni oui-oui, tes éloges délirants pour tel artiste sont à la mesure de ton désintérêt profond pour tel autre. 
  1. Ta connaissance en rien ton goût esthétique ne légitimera
    Tu as beau avoir de plus grandes connaissances dans le répertoire du XVIIIe siècle que dans celui du XIXe siècle finissant, ne t’interdis pas de critiquer du Strauss. Ton avis sera cependant moins fouillé et renseigné que pour du Handel, il n’en est pas pour autant moins valable, mais simplement moins défendable. Chacun a le droit d’aimer ou de détester du moment qu’il argumente autant qu’il lui est possible. De fait, l’avis d’un spécialiste n’est absolument pas plus vrai que celui d’un dilettante ou d’un néophyte, il est simplement plus solide.
  1. De Sainte-Beuve tu t’abstiendras
    En la matière, tu es du côté de Proust. Tu critiques des interprétations ou des œuvres et non des êtres humains, ni des biographies, ou des réputations. Tu te fiches qu’un tel soit encensé par la presse, qu’une autre ait chanté sur les plus grandes scènes du monde, que celui-ci soit le protégé de tel grand chef… Peu t’importe qu’un tel soit un chaud lapin, celui-ci insupportable avec ses collègues, que telle autre soit une fumiste ou alcoolique… C’est le résultat sur scène que tu juges : tu prétends te soustraire à tous les « on dit » et ce n’est pas toujours évident. Les mœurs et l’état de santé n’excusent ni ne justifient en rien de l’indulgence ou de la hargne envers un travail esthétique. Tu peux être friand d’anecdotes et de rumeurs, mais tu te gardes bien de les divulguer ou de les tenir pour autre chose que des détails « pipoles ». Le plus grand honneur que l’on puisse faire à un artiste, c’est de discuter son art ; le faire eu égard à sa situation morale ou physique, c’est l’humilier en refusant d’argumenter sur ce qui fait l’intérêt ou le désintérêt de son œuvre/interprétation.
  1. Humble tu resteras
    Tu n’arrives pas à la cheville des artistes que tu fustiges. En critiquant tu as si peu de mérite esthétique et ne rentreras certainement pas dans l’histoire de l’art. Florence Foster Jenkins aura sur ce terrain toujours plus de mérite que toi, celui d’être montée sur scène et d’avoir chanté (à tout le moins d’avoir essayé).
  1. Dans l’optique d’engager une discussion, tes critiques tu publieras
    Toute critique a pour première raison d’être d’engager la discussion. Sur le Web, les commentaires au bas des articles sont souvent l’espace de cette discussion, et qui viendra sereinement engager la discussion recevra toujours une réponse de ta part. Nous disons « sereinement » car les attaques ad hominem, sans argumentation, cherchant à en découdre plus qu’à en débattre, elles, resteront lettres mortes. 
  1. Sur ce que tu vois et entends durant le spectacle seulement tu te baseras
    Répètons-le, l’avis de la presse, de l’artiste ou du directeur d’opéra t’intéressent peu : quel que soit l’inintérêt que présentent les commentaires de Natalie Dessay pour son DVD Le Miracle d’un voix, il n’en reste pas moins que ses prestations sont le plus souvent géniales à ton goût ; quoi que tu penses des prises de parole publiques de Stéphane Lissner, tu juges la qualité de sa direction artistique à l’Opéra national de Paris à partir de ses spectacles et non de ce qu’il en dit ou de ce que la presse en dit ; etc.
  1. De respecter ces commandements tu t’efforceras
    Tu n’es pas parfait et il t’arrive de déroger à ces règles. Ainsi tu acceptes tout à fait que l’on te reproche, en les démontrant, tes exagérations, erreurs manifestes, sous-argumentation… mais pas ton manque d’objectivité, c’est un reproche non valide ici : encore une fois il s’agit d’art et non de science (hors musicologie éventuellement).
  1. Te taire tu pourras
    Vouloir traduire par le verbe une œuvre et une interprétation dont la richesse est musicale et théâtrale avant d’être parfois littéraire, c’est inévitablement l’appauvrir. Les sentiments et les émotions ressenties au spectacle n’étant pas forcément transposables dans l’univers plus ou moins logique du langage, tu respectes tout à fait le mutisme de certains devant une œuvre d’art : pourquoi l’apophatisme serait-il uniquement religieux? Mais dans ce cas, que l’on ne vienne pas attaquer le littéreux que tu es.
  1. Pas trop au sérieux tu ne te prendras
    La preuve : « pouët ! ».

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