Luan Góes, je vous ai découvert grâce à Xavier Carrère de France Musique et à l’émission le « Live ». Par la suite, je vous ai entendu en direct pour la première fois dans un festival à Aoste en Italie, à l’occasion d’un congrès sur l’énergie renouvelable. C’était en plein air face à un public, a priori peu mélomane, mais que vous avez conquis car il vous à réservé une ovation incroyable. Je vous ai ensuite entendu deux fois à l’église de Saint-Louis-en-l’Île, en 2024 et le 16 mai dernier où vous étiez accompagné par l’ensemble d’Ophélie Gaillard. Et le même phénomène s’est produit.
En 2024, c’était la première fois que je chantais à Paris. Ce concert était très important pour moi car c’était le début d’une nouvelle aventure avec l’ensemble les Furiosi Galantes que je dirige. Je venais de découvrir des airs inédits de compositeurs baroques italiens dont certains avaient été enregistrés par Nathalie Stutzmann et d’autres que j’avais interprétés avec l’ensemble d’Ophélie Gaillard.
Les concerts à Saint-Louis-en-l’Isle, étaient consacrés à la musique baroque italienne qui est vraiment votre domaine. Curieusement, c’est encore un répertoire peu prisé des contre-ténors de l’hexagone, si on excepte le remarquable Paul-Antoine Bénos-Dijan. Votre voix ample, au timbre chaleureux, et votre virtuosité ont captivé immédiatement l’auditoire.
C’est que la musique baroque italienne est avant tout l’expression de sentiments extrêmes, que ce soit la plus grande douleur dans des lamenti déchirants où la plus grande joie qui explose en coloratures virtuoses. Les affects jouent un rôle essentiel dans l’art baroque. Cette expressivité extrême va droit au cœur du public.
Je m’intéresse ainsi beaucoup au répertoire des castrats. La vision de la musique baroque et, donc, celle des contre-ténors qui interprètent le répertoire des castrats, a beaucoup évolué au cours des dernières années. On a souvent dit que les contre ténors avaient des petites voix et que leur fragilité faisait partie de l’émotion qu’ils provoquaient. Cette fragilité fait bien sûr partie de l’univers baroque, mais il ne faut pas oublier que les castrats avaient des voix très puissantes. L’opéra s’est particulièrement développé à l’époque baroque et, si les premiers théâtres et salons où les œuvres étaient représentées étaient de taille réduite, à l’époque de Vivaldi ou de Haendel les théâtres étaient devenus immenses, à l’image du San Carlo de Naples en 1737. Il est difficile d’imaginer des petites voix sur ces scènes d’autant que, dans la fosse, les orchestres étaient aussi devenus plus importants.
N’oublions pas que c’est à l’époque baroque que naît le bel canto, qu’on limite trop souvent à l’époque de Bellini ou Donizetti. Les castrats possédaient donc une technique très aboutie qui leur permettait une émission et une ampleur vocales qu’on retrouvera peu après dans les grandes voix belcantistes du XIXe siècle. Il s’agit bien d’une évolution tout à fait naturelle. Outre les traités de Mancini et Tosi, il faut signaler surtout la méthode d’enseignement du chant de Manuel García, le père de la Malibran et de Pauline Viardot qui a été, en son temps, un professeur de bel canto renommé internationalement. Les grands maîtres du chant lyrique s’en inspirent encore aujourd’hui. Or, dans son traité, il parle des castrats comme une référence essentielle et j’ai eu la chance d’avoir des professeurs qui m’ont aidé dans ce sens.
Luan Góes et son Ensemble Furiosi Galantes © Daniele Dentamaro
Vous êtes brésilien et tout a commencé pour vous dans votre ville de Rio de Janeiro.
J’ai eu quatre grands maîtres qui m’ont beaucoup apporté, à commencer par Maria José Chevitarese qui dirigeait la maîtrise dont j’ai fait partie à l’âge de sept ans. Elle a ainsi enseigné le chant à des centaines d’enfants, en insistant sur le travail corporel et une technique de souffle très naturelle. Je me souviens qu’un jour la soprano américaine Kathleen Battle est venue à Rio et nous avons participé à un concert avec elle. Elle était connue pour être plutôt revêche et, à la fin du concert, elle a demandé à parler à Maria José. Au grand étonnement de celle-ci elle lui a dit « Mais ces enfants chantent avec tout leur corps et un appui bas du souffle. C’est rare. Bravo madame ! ». Maria José est alors devenue en quelque sorte ma « maman musicale ». C’est elle qui m’a accompagné à l’aéroport quand je suis parti en Europe. L’autre personnalité qui m’a beaucoup apporté c’est le ténor wagnérien Marcos Louzada qui a fait une courte carrière internationale avant de se consacrer totalement à l’enseignement.
Mon rêve c’était alors de partir étudier en Europe mais je n’avais pas les moyens. J’ai fait alors une rencontre inattendue qui a changé ma vie. J’avais dû quitter mes parents, hélas, et c’est le scénographe et peintre, Nilson Pena, qui m’a recueilli et soutenu. Il avait vécu en France et avait été dessinateur de mode et de décors de théâtre. Il est mort à l’âge de 95 ans et lors de ses obsèques dans la belle église de la Gloria qui domine la baie de Rio j’ai chanté en son honneur. Dans la salle il y avait deux facteurs d’orgue français, Daniel Birouste et Bertrand Lazerme, qui étaient en train de construire l’orgue de la cathédrale. Impressionnés par ma voix ils ont compris que je devais me perfectionner et ils m’ont demandé si j’étais prêt à partir en Europe. Ils ont contacté l’Ambassade de France. Celle-ci ne pouvant pas me payer le voyage a eu l’idée d’organiser un concert à Rio, en collaboration avec l’Ambassade d’Italie où j’avais étudié le piano (je suis pianiste à la base). Le concert a eu un tel succès que j’ai pu payer mon voyage à Paris. Bertrand et Daniel sont devenus alors mes parents spirituels et ont alors contacté pour moi le baryton Yves Sotin, professeur au Conservatoire de Paris, afin qu’il me conseille pendant mon séjour dans la capitale. J’ai auditionné à l’École Normale Alfred Cortot et j’ai obtenu une bourse qui m’a permis d’y étudier pendant trois ans. Puis j’ai été admis à la Haute École de Musique de Genève dans la classe de Nathalie Stutzmann. C’est elle qui a vraiment développé ma voix. Quand Nathalie s’est consacrée à la direction d’orchestre c’est la contralto italienne Sonia Prina qui m’a pris sous son aile. Je l’admirais depuis longtemps pour ses interprétations de la musique baroque italienne. Je l’ai connue alors que je participais en tant qu’interprète et musicologue (notamment pour la recherche d’airs inédits de castrats italiens) au Pasticcio lyrique monté par Florence Malgoire avec l’appui de Leonardo García Alarcón. Sonia Prina est alors devenue mon professeur et mon mentor.
Par la suite, j’ai fondé mon propre ensemble, basé en France, que j’ai intitulé les Furiosi Galantes. Lors de notre premier concert à Paris en 2024, organisé à l’église de Saint Louis en l’Isle, grâce à l’association culturelle de Carla Arigoni, j’ai eu la chance de rencontrer Eve Ruggieri qui m’a fait part de son enthousiasme et nous a aussitôt invité au Festival de Saint Malo qu’elle dirige en collaboration avec Radio Classique. Elle est devenue marraine de l’ensemble et présentera notre concert le 7 juin prochain à la Mairie du 8e arrondissement et celui du 16 août à l’église de Plaisance dans le Gers. Enfin l’ensemble se produira le 2 octobre au théâtre Déjazet de Paris.