Le 7 février prochain, Magdalena Kožená retrouvera Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre pour ses débuts très attendus dans le rôle-titre d’Alcina de Haendel à la Philharmonie de Paris. Nous retrouvons pour l’occasion la mezzo-soprano tchèque, qui nous parle de baroque, de musique française et de ses multiples nouveaux projets !
Vous ferez dans quelques jours vos débuts dans le rôle-titre d’Alcina. Pouvez-vous nous parler de ce nouveau projet ?
C’est une prise de rôle que j’attends avec impatience ! Alcina est un rôle de soprano, ce qui constitue pour moi un véritable défi, un peu comme lorsque j’avais incarné Cleopatra dans Giulio Cesare, déjà en compagnie des Musiciens du Louvre. Je suis ravie de les retrouver ainsi que Marc Minkowski avec qui j’ai tant travaillé par le passé. Le rôle d’Alcina est non seulement musicalement magnifique, mais c’est également l’un des rares rôles où l’on assiste à un tel développement du personnage tout au long de l’œuvre. Chaque aria présente Alcina dans un état d’esprit particulier, avec des émotions différentes.
Fin 2020, vous deviez interpréter le rôle de Ruggiero dans cette même œuvre, aux côtés de Cecilia Bartoli en Alcina. Un projet malheureusement annulé en raison de la crise sanitaire…
J’ai en effet étudié le rôle de Ruggiero, mais sans pouvoir le chanter. C’est un rôle particulièrement long, notamment dans les récitatifs. En dépit de son feu d’artifice final, il est très différent de celui d’Alcina et nettement plus uniforme en termes d’émotions.
Magdalena Kožená © Julia Wesely
Vous avez travaillé avec Marc Minkowski à de nombreuses reprises, comment votre collaboration s’est-elle développée ?
Nous nous sommes connus il y a plus de vingt ans. Je me souviens très précisément de mon premier projet avec lui : un second rôle dans Armide de Gluck. Lorsque nous nous sommes rencontrés, je venais comme lui de signer avec Deutsche Grammophon. J’ai au fil du temps chanté des rôles de plus en plus importants sous sa direction. À une époque, j ’avais presque l’impression de vivre à Grenoble, où l’orchestre répétait, c’était un peu comme ma deuxième maison ! Cette rencontre a eu une influence déterminante pour moi, car Marc était l’un des premiers grands chefs baroques avec lequel je collaborais. C’était une période extrêmement stimulante.
Fin janvier 2023, vous reprendrez le rôle de Donna Elvira à la Mozartwoche de Salzbourg, après vos débuts dans le rôle l’an passé à Verbier.
Ce Don Giovanni sera donné en version semi-scénique, avec une mise en scène de Rolando Villazón. Donna Elvira est souvent interprétée par des sopranos, donc ce rôle est pour moi un challenge techniquement parlant. De toute façon, chanter Mozart n’est jamais facile. On ne peut pas tricher, le chant doit être pur et précis. Des trois rôles féminins de Don Giovanni, Donna Elvira est pour moi le plus intéressant. Bien que trahie, elle pardonne tout ; c’est un personnage très touchant, dans lequel on peut exprimer de la fureur, mais également beaucoup d’émotion.
Après avoir chanté le rôle de Nerone, vous incarnerez pour la première fois Ottavia dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi au Liceu de Barcelone.
Oui, et j’en suis ravie car j’avais déjà chanté le « Addio, Roma » d’Ottavia mais sans jamais aborder le rôle en entier. Le rôle d’Ottavia est assez court, mais chacune de ses apparitions est très marquante. Le Couronnement de Poppée est pour moi, qu’il s’agisse de la musique ou du livret, l’un des plus beaux opéras jamais composés. En outre, ce sera pour moi l’occasion de collaborer pour la première fois avec Jordi Savall, que j’admire depuis tant d’années. Il m’arrive d’écouter ses disques en conduisant ma voiture ! Nous nous retrouverons également l’année prochaine dans La Clemenza di Tito à la Mozartwoche de Salzbourg. Ma prochaine saison est des plus enthousiasmantes : outre ce que nous avons déjà mentionné, je reprendrai le rôle de Médée dans l’opéra de Charpentier en octobre prochain.
Est-il important pour vous d’aborder des œuvres moins connues, notamment dans le baroque, autour de compositeurs comme Marcello, Caldara, Giacomelli par exemple ?
Le baroque restera toujours mon répertoire de cœur. Même si je chante beaucoup d’autres compositeurs, comme Mahler par exemple, il m’est important de toujours revenir au baroque comme à Mozart. Ce répertoire aide à maintenir la jeunesse de la voix, à atteindre une certaine pureté, sans trop de vibrato. En outre, dans le baroque, il reste beaucoup de territoires inexplorés voire inconnus. J’ai d’ailleurs enregistré récemment des œuvres de Benedetto Marcello avec le Collegium 1704, dont certaines venaient tout juste d’être redécouvertes. C’est toujours merveilleux de présenter de nouvelles œuvres au public !
Avez-vous d’autres projets dans l’opéra français ?
J’adore le répertoire français, qu’il s’agisse de l’opéra ou de la mélodie, et j’y suis toujours restée fidèle. Au cours de cette saison, je présenterai en tournée avec Mitsuko Uchida un programme 100% français, qui comprendra notamment les Chansons de Bilitis et Poèmes de Baudelaire de Debussy ainsi que les Poèmes pour Mi d’Olivier Messiaen. Même si je ne suis pas parfaitement bilingue, j’accorde une grande importance au texte – je dis souvent par plaisanterie que je préfère les récitatifs aux arias. La langue française donne à cet égard davantage l’occasion de jouer avec les mots que les autres langues, comme l’italien par exemple.
Magdalena Kožená © Julia Wesely
Quels sont vos projets discographiques pour le label Pentatone ?
Nous nous apprêtons à enregistrer l’Alcina que nous venons d’évoquer. J’ai également capté en live deux albums avec le Czech Philharmonic. Le premier regroupe des Folk Songs avec orchestre de plusieurs compositeurs : Berio, Ravel (Cinq Mélodies populaires grecques), Montsalvatge (Cinco Canciones Negras) ainsi qu’un cycle de Béla Bartók. Le second comprend notamment un cycle de Martinů, l’opus 1 de Hans Krása (jamais enregistré à ce jour), Lullaby de Gideon Klein. Je prévois enfin d’enregistrer un album faisant écho à notre tournée avec Mitsuko Uchida. C’est une grande chance pour moi de pouvoir concrétiser tous ces projets discographiques, dans une période où ce marché n’est plus aussi florissant que par le passé.
Quels rôles aimeriez-vous aborder à l’avenir ?
Je rêve toujours de rôles que je ne pourrai jamais chanter (rires). J’incarnais précisément hier à Londres le rôle de Varvara dans Kátya Kabanová, dont je rêverais de chanter le rôle-titre, mais celui-ci est trop aigu pour ma voix. À l’avenir, la Judith du Château de Barbe-Bleue de Bartók ou encore le rôle-titre d’Ariodante de Haendel, dont je n’ai interprété que certaines arias, m’intéresseraient particulièrement.
Envisageriez-vous de retourner à Carmen ?
Absolument ! J’ai beaucoup aimé chanter ce rôle, même si tout le monde n’a pas été du même avis. Je suis convaincue qu’il n’a pas nécessairement été composé pour une puissante voix poitrinante. Ce que je trouve particulièrement intéressant dans l’opéra de Bizet est ce contraste entre les rôles de Don José et Micaëla, où l’on perçoit un caractère italien dans l’écriture musicale, et de Carmen qui chante plutôt des chansons, presque du cabaret ! Je retournerais sans hésitation vers ce rôle si on me le proposait.
Comme vos collègues, votre carrière s’est trouvée affectée par la crise sanitaire. Comment avez-vous vécu cette période ?
Au début de la pandémie, j’étais presque heureuse de pouvoir passer plusieurs semaines d’affilée à la maison avec ma famille et mes enfants. C’était une période totalement inédite qui m’a donné l’occasion de faire des choses inhabituelles, comme par exemple me mettre au piano et déchiffrer un recueil de Lieder de Schumann. Évidemment, cette période s’est révélée un peu trop longue en fin de compte ! Mais j’ai eu beaucoup de chance, car j’avais du travail, notamment par le biais de représentations en ligne, à la différence de beaucoup de mes collègues qui se sont retrouvés brutalement sans rien. Au-delà de l’aspect financier, c’est le fait de ne plus pouvoir pratiquer son art qui les a beaucoup affectés. Les choses sont de plus en plus difficiles pour le secteur culturel, qui est toujours le premier à souffrir de coupes budgétaires. L’avenir ne sera pas simple pour les artistes, en particulier pour ceux qui entrent dans le métier.