Bien sûr, on peut regretter le choix d’un programme qui comprenait peu d’œuvres vraiment intéressantes; c’est la forme même du récital d’airs d’opéras qui est critiquable, enchaînant hors contexte dramatique des situations sans lien les unes avec les autres, des airs juste faits pour mettre le ténor en valeur, et dieu sait que le répertoire du bel canto en compte beaucoup ! Bien sur, l’orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie n’est ni le meilleur du pays, ni le plus fin spécialiste de cette musique un peu en dehors de son répertoire habituel, et montre de-ci de-là quelques faiblesses. Bien sûr, on peut déplorer que le spectacle ait eu lieu dans une salle, certes de grande contenance, mais surtout faite pour la variété. Et pour tout dire, cette soirée de gala – les spectateurs en grande tenue avaient massivement joué le jeu de la représentation – vous avait un air un un peu endimanché et passablement provincial. Mais la tension était palpable dès avant le début du concert, l’attente était grande et le public nerveux.
Après une petite introduction orchestrale, arrive la vedette… Et nom d’une chique, quelle voix !
C’est en 2002 lors d’un concert de présentation à la presse, pour la sortie de son premier disque (airs de Rossini), que j’ai entendu Juan Diego Florez pour la première fois. Depuis lors, dix ans de travail et d’expérience plus loin, la voix s’est affermie, sans perdre pour autant sa belle ardeur juvénile, et l’artiste s’est affirmé, révélant une vraie personnalité et un indéniable talent scénique. Et de fait, les plus grandes scènes se l’arrachent, à juste titre. Car personne aujourd’hui ne chante le bel canto comme Florez; il ne chante que cela, certes, mais comme il le chante bien ! Quelle parfaite maîtrise de la technique vocale, qui lui permet d’enchaîner presque sans discontinuer les airs les plus périlleux du répertoire, de véritables sommets de difficulté, et de vous lancer sans faillir des contre-ut et des contre-ré avec un naturel déconcertant ! Mais il n’y a pas que des prouesses vocales dans la prestation de ce chanteur hors pair : il y a le timbre doré et pénétrant d’une voix gorgée de soleil et dont il maîtrise toutes les inflexions ; il y a le charme vibrant d’un latin lover, qui aime plaire et qui montre une véritable joie d’être en scène, qui communique remarquablement avec un public, il est vrai, conquis d’avance ; il y a tout l’art d’un musicien accompli, le contrôle parfait du souffle, un legato à faire pâlir d’envie tous ses confrères, une diction impeccable, même en français. Parce que, pour une fois, ce récital de bel canto ne compte pas que de la musique italienne : très intelligemment, Florez y a introduit une partie d’opéra français (étonnant Piccini aux vocalises spectaculaires mais un peu gratuites), et une autre, plus légère encore, consacrée à quelques airs de Zarzuela, en espagnol donc – sa langue maternelle, apportant une heureuse diversité de style et révélant au passage non pas des chefs d’œuvre inconnus, mais quelques partitions peu fréquentées. Et lorsque le public ravi et comblé se lève débordant d’enthousiasme et que vient le moment des bis, ce sont quand même les tubes du répertoire qui reviennent, Donizetti (La fille du régiment) ou Verdi (Rigoletto : « La donna e mobile »).
La salle alors se laisse emporter par l’émotion, dans une ambiance irrésistible et on passe tout simplement une des meilleure soirée lyrique de la saison !