L’entrée de l’avant-dernier ouvrage de Bellini au répertoire de l’Opéra de Paris constitue un événement qu’il convient de saluer. Créé à La Fenice en 1833, deux ans après Norma et juste un an avant Les Puritains, Beatrice de Tenda n’a pas eu la carrière que le compositeur espérait. Est-ce à cause du livret, trop décousu, dont l’intrigue est calquée sur celle d’Anna Bolena, créée deux ans plus tôt ? Ou à cause de la partition, qui comporte, certes, nombre de pages d’une haute inspiration mais qui aurait nécessité peut-être davantage de concision pour mieux tenir en haleine l’auditeur ? Mal reçu par le public et la critique, l’ouvrage est rapidement retiré de l’affiche et tombe dans l’oubli jusqu’au milieu du vingtième siècle où la Scala le monte en 1961 avec Joan Sutherland, qui enregistre plus tard la première intégrale en studio aux côtés du jeune Pavarotti. Par la suite, d’autres sopranos ont mis à leur tour cet opéra à leur répertoire ; citons Leyla Gencer, Marianna Nicolesco, June Anderson, Edita Gruberova et Mariella Devia entre autres. Le livret où se mêlent complots, jalousie, trahison et conflits politiques, s’inspire de la vie de Beatrice Lascaris comtesse de Tende qui avait épousé en secondes Noces Filippo, duc de Milan. Convaincu de l’infidélité de son épouse, celui-ci l’envoie en prison avec Orombello qu’il avait surpris à ses genoux. Les deux prétendus amants seront torturés et bien que contrairement à Orombello, Béatrice clame son innocence jusqu’au bout, ils seront exécutés. Pour défendre cet ouvrage, il est nécessaire de réunir des interprètes rompus au style belcantiste au sein d’une production qui, par son efficacité, serait à même de palier les insuffisances du livret. Force est de reconnaître qu’avec l’équipe convoquée par l’OnP le compte n’y est pas toujours en dépit du triomphe réservé à l’ensemble de la distribution au rideau final. Tout d’abord parce que Peter Sellars, absent lors des saluts pour raisons familiales, signe ici l’une de ses mises en scène les moins abouties, et c’est un euphémisme. Les décors de George Tsypin, quelques arcades apparemment en plexiglas, et de fausses haies d’un vert criard qui occupent tout le plateau laissant peu de place aux mouvements d’acteurs, sont particulièrement inesthétiques. Les protagonistes se retrouvent la plupart du temps les bras ballants sur le devant de la scène. Quant aux costumes, on a déjà vu des dizaines de fois ces tenues en cuir noir qu’arborent les choristes pour figurer l’oppression ou le totalitarisme, sans parler de la garde rapprochée de Filippo, kalash au poing comme il se doit. Et que dire de la robe plissée verdâtre que porte Béatrice durant le premier acte, d’une laideur absolue ? On ne peut pas dire que les débuts à l’OnP de la costumière Camille Assaf soient une franche réussite. Au cours de la représentation, on n’échappe pas au téléphone portable que Béatrice consulte, assise sur les troènes. D’autre part, à quoi riment ces jardiniers qui taillent les haies et ces laveurs de carreaux qui nettoient les parois ? Du remplissage superflu. Au dernier acte, afin de dénoncer l’horreur de la torture, les deux héros apparaîtrons affreusement défigurés, les yeux crevés, couverts de sang.
Quant à la distribution, en dépit des qualités des chanteurs, elle n’aura pas manqué de laisser quelque peu les amateurs de bel canto sur leur faim. Taesung Lee et Amitai Pati sont impeccables dans leurs interventions, notamment le second qui fait preuve d’un style adéquat et parvient à se faire entendre en dépit d’un volume modeste. Theresa Kronthaler, dotée d’une voix homogène et d’un timbre trop suave pour faire croire à la noirceur de son personnage, se montre particulièrement émouvante dans la scène finale lorsqu’elle supplie Béatrice de lui accorder son pardon. Pene Pati est un Orombello pleinement convaincant. Rompu comme son frère au style belcantiste, il déploie une ligne de chant élégante et rend justice à ce personnage timoré d’amoureux transi, dépassé par les événements auxquels il doit faire face. Quinn Kelsey, estimable baryton Verdien, peine à trouver ses marques dans ce répertoire. Le timbre est flatteur, la voix puissante est capable de nuances bienvenues et le personnage est incarné avec une grande conviction mais le chanteur cherche à respecter une esthétique qui lui échappe par moment comme en témoigne son dernier air « Il decreto fatal si segni alfine » plus vériste que belcantiste. Tamara Wilson admirable Turandot sur cette même scène à l’automne dernier, aborde crânement un rôle dont les exigences sont à l’opposé de celles de la princesse frigide de Puccini et parvient a forcer le respect tant son interprétation sonne juste. La cantatrice américaine qui possède de grands moyens, est capable d’alléger et même de nuancer sa ligne de chant, de vocaliser avec vélocité et d’ornementer la reprise de sa cabalette au premier acte. Cependant force est de reconnaître que ses vocalises manquent parfois de netteté et que les suraigus, certes non écrits, sont aux abonnés absents. Saluons enfin l’excellente prestation des chœurs, protagonistes à part entière dans cet ouvrage, remarquablement préparés par Ching-Lien Wu.
Comme l’indique le programme de salle c’est une nouvelle édition critique de l’œuvre qui nous est proposée, qui rétablit de nombreux détails dans l’instrumentation et restitue des parties habituellement coupées ainsi que le final originel de la partition. Mark Wigglesworth propose une direction précise et scrupuleuse mais ses tempi trop lents finissent par rendre certaines scènes languissantes comme le dénouement qui semble s’étirer interminablement.