Sans l’interdire formellement, le cardinal Ganganelli, qui deviendra pape sous le nom de Clément XIV, estime en 1748 illicite le recours à la castration. De plus en plus ce mode de production de voix extraordinaires – non naturelles – sera proscrit et l’opéra devra apprendre à s’en passer. Rossini choisira des voix graves féminines pour remplacer celles des hommes castrés. En 1830 la nouvelle de Balzac Sarrasine actera cette évolution, le castrat dit Zambinella n’étant plus qu’un mort en sursis assistant à l’avènement de sa petite nièce dans le rôle de Tancredi. 1830, c’est l’année de la création de I Capuleti e I Montecchi, où le rôle de Romeo est dévolu à une femme. En 1831 cela indignera Berlioz, qui entendra l’œuvre à Florence, et en 1966 Claudio Abbado jugera bon de l’attribuer à un ténor.
A l’Opéra de Toulon qui poursuit sa saison hors les murs pendant les travaux au Théâtre, on a choisi de s’en tenir à la version originale, donnée en concert, et ce respect du compositeur a trouvé un très heureux prolongement dans l’exécution musicale et vocale. On a rarement entendu avec autant de clarté les nuances d’une orchestration dont la priorité est de servir les voix mais qui saisit la moindre des pauses vocales, si brèves soient-elles, pour insérer un accent, plaquer un accord, souligner une couleur. La direction d’ Andrea Sanguinetti est d’une vigilance impeccable et la réponse des musiciens ne l’est pas moins, nette, précise, sensible, le chef et l’orchestre voguant de concert à démontrer la fausseté des parti-pris qui taxent cette musique de facile. Si elle prend l’oreille, c’est parce qu’elle est mélodieuse et adaptée à son sujet, celui du drame vécu par deux jeunes amoureux, et les soli dévolus à la clarinette, au cor, au violoncelle, sont les joyaux de cette partition. Redisons-le, dans cet auditorium du Palais Neptune, l’exécution musicale comble.
Il en est presque de même pour l’exécution vocale. Les artistes des chœurs contribuent haut la main à démontrer l’excellence de leur préparation, les hommes évidemment, puisqu’ils sont de toutes les interventions, et les femmes pour la déploration du dernier acte. On se plait à souligner les nuances qui caractérisent les différentes entrées.
Si la qualité vocale est aussi au rendez-vous pour les solistes, on ne peut pas ne pas signaler la gêne que nous a communiquée l’interprète du rôle de Lorenzo. Que ce médecin soit le conseiller de Capellio, ce qui explique son lien profond avec Giulietta, n’en fait pas moins l’allié objectif de Romeo. Pourquoi, dès lors, chanter en force comme s’il leur criait dessus ? Önay Köse est doté d’une grande, d’une grosse voix, qu’il est tout à fait capable de contrôler, comme il le démontre dans le quintette. On reste perplexe : s’agit-il pour lui de faire de l’effet ? Le but est atteint, mais ce chant brutal ne convient pas au personnage. Du coup Patrick Bolleire, qui chante Capellio sans outrance, avec la musicalité qu’on lui connaît, paraît parfois presque faible, moins déterminé. Cela crée un déséquilibre peu pertinent.
Belle surprise en revanche avec le Tebaldo de Davide Tuscano, dont la qualité vocale et l’engagement font échapper le personnage à son rang secondaire. La voix est claire, homogène, bien projetée, l’extension est tout à fait satisfaisante et surtout l’intention est de bien chanter ce répertoire, comme il le prouve dès son premier air en variant la reprise. Un chanteur élégant qu’on aura plaisir à réentendre.
Gilda en début de saison, Maria Carla Pino Cury se montre sous son meilleur jour, son attitude contrainte et son physique délicat campant très justement Giulietta, le rameau menacé par la tempête, avant que sa voix souple et agile ne s’élance vers les hauteurs qu’elle atteint sans effort perceptible, accomplissant ainsi une brillante prise de rôle.
Antoinette Dennenfeld aussi, débute en Romeo, à en croire sa biographie. Ceci explique peut-être le vibrato large de son entrée, attribuable au trac, car il disparaît assez vite et on peut goûter la maîtrise d’une voix qu’on pourrait souhaiter plus corsée, plus sombre, mais qui est bien celle prévue par la tessiture et en a toute l’agilité. La chanteuse – pantalon mais corsage et pendants d’oreille – ne fuit pas la difficulté et trouve pour les notes les plus graves les ressources d’un registre de poitrine qui n’écrase pas le son. Elle exprime avec la fougue nécessaire les élans du jeune homme et on peut saluer sa performance d’un « brava » de circonstance.
Très concentré pendant le concert le public se libère et exprime sa reconnaissance par de très longs applaudissements. Evviva Bellini !