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BELLINI, Norma – Toulon

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Spectacle
30 juin 2025
Du gui dans les pins

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Vincenzo Bellini

Norma

Opera seria en deux actes

Livret de Felice Romani, d’après la tragédie Norma ou l’Infanticide d’Alexandre Soumet

Création à Milan, Teatro alla Scala, 26 décembre 1831

Détails

Mise en espace

Emmanuelle Bastet

Scénographie

Tim Notham

Lumières

François Thouret

 

Norma

Salome Jicia

Pollione

Matteo Falcier

Adalgisa

Emily Sierra

Oroveso

Önay Köse

Clotilda

Kaarin Cecilia Phelps

Flavio

Andrès Agudelo

 

Orchestre et chœur de l’Opéra de Toulon

Chef de choeur

Christophe Bernollin

Direction musicale

Andrea Sanguinetti

 

Châteauvallon, 26 juin 2025, 21h

Est-il besoin de rappeler que Norma est la partition la plus jouée de Bellini, la plus célèbre aussi, ne serait-ce qu’au travers de Casta diva, l’invocation dont Maria Callas affirmait non sans humour que Bellini l’avait écrit pour elle (1), abondamment reprise sous toutes les formes (musique de nombreux films, chansons etc.) ? S’il n’en fut pas toujours ainsi (2), Norma s’est imposé comme l’apothéose du bel canto et du romantisme italien, ouvrage dont la portée outrepasse les prouesses vocales qu’il exige de ses interprètes.

Il y a fort à parier que le gui des druides ne poussa jamais dans la belle pinède odorante où se niche Châteauvallon. C’est pourtant là que se presse le plus nombreux public pour assister à l’oracle que Norma va délivrer aux Gaulois prêts à en découdre avec l’occupant, dans le bois sacré, à la lumière de la lune. Dans la Gaule rebelle, la prêtresse et fille du chef des druides, Oroveso, aime secrètement Pollione, le proconsul romain dont elle a deux enfants. Ce dernier s’éprend d’Adalgisa, associée à Norma dans le culte druidique, et trahira Norma. Celle-ci marchera au bûcher après avoir avoué publiquement sa faute, et Pollione, l’y accompagnera, touché par la grâce.

La configuration singulière du site – un amphithéâtre en plein air – impose des contraintes spécifiques à la réalisation scénique. Dès sa découverte du lieu, le spectateur observe, surpris, que l’orchestre, à rebours des habitudes, se trouve relégué derrière le plateau, dans une sorte de demi-fosse qui permettra au public de le suivre avec attention. De surcroît, sa disposition interroge : déplacés d’un quart de tour, les musiciens observeront le chef, côté jardin, dirait-on dans une salle habituelle. Cette initiative s’avérera particulièrement bienvenue. Acoustiquement, la clarté y gagne, comme les équilibres (les cordes ramenées à leur juste valeur), et, surtout, le chant, pleinement valorisé, proche du public, prendra toute sa dimension, sans qu’il soit besoin d’une amplification, malgré l’absence de paroi réfléchissante en fond de scène. Visuellement, la magie de la tombée de la nuit sur le décor naturel de la pinède, assortie de cette sorte de bandeau formé par la lumière des pupitres, jouera pleinement, à la faveur des éclairages subtilement dosés de François Thouret. Ce cadre sylvestre, magnifié, où les caresses de la brise participent au bonheur musical, suffit pour ce qu’avec modestie le programme signale comme une « mise en espace ». Il est vrai que le décor, unique, mais changeant à la faveur des lumières, se résume à sept troncs stylisés sur un plateau noir, réfléchissant. Solistes et chanteurs du chœur mettront à profit un couloir circulaire au pied du plateau pour leurs apparitions et déambulations. Ainsi, la dernière scène permettra au chœur d’entourer, efficacement et à distance, Norma, son père et son amant. Il faut louer la qualité d’invention d’Emmanuelle Bastet et de Tim Notham, qui signent ce petit miracle en allant à l’essentiel. Ni lune (qui préside à la cérémonie druidique sur laquelle s’ouvre l’opéra), ni bûcher, qui verra périr Norma et Pollione : les lumières suffiront à les suggérer, débarrassant l’opéra de tout caractère anecdotique. Unique accessoire, le poignard. Nulle transposition, forcément réductrice (suggérant plus d’une fois l’Occupation allemande, ou russe en Ukraine), on est dans l’intemporalité. La dimension politique n’est pas occultée pour autant par le conflit amoureux. Les costumes sont également dépouillés de toute référence, uniformément noirs (le chœur et les solistes masculins, Oroveso porteur d’une redingote), seules les couleurs permettront de différencier les héroïnes. A ce minimalisme répond une direction d’acteurs efficace, malgré quelques gestuelles conventionnelles.

L’ambitus des deux principaux rôles féminins est rigoureusement le même (du si bémol au contre-ut), il est utile de le rappeler. Norma et Adalgisa, bien qu’attendues différentes (une grande-prêtresse, mère protectrice et sa jeune assistante et amie), ont été fréquemment chantées en passant – naturellement – de la seconde à la première (ainsi Karine Deshayes récemment). Salome Jicia, incarne de nouveau Norma (après Cologne et Hambourg en 23) après voir chanté Adalgisa en septembre dernier à Marseille. Disciple de Renata Scotto et d’Alberto Zedda, la soprano géorgienne traduit à merveille la complexité et l’évolution de Norma. On sait l’exigence exceptionnelle du rôle qui, outre les qualités vocales et dramatiques, appelle une endurance assurée pour aborder le finale. La voix est chaude, qui trouve la lumière pulpeuse des aigus, qu’ils soient amples et brillants ou de délicats piani, ronde sur tout le registre, assortie d’une diction exemplaire. On oublie la technique, superlative, tant les traits et vocalises expressives semblent couler de source. C’est une authentique tragédienne, qui a le sens du récit et le charme attendus. La présence, magnétique, fascine et touche, une véritable incarnation. Evidemment chacun attend Casta diva. La douceur caressante, mélancolique de l’orchestre introduit idéalement le chant, et il est évident que chacun l’écoute avec sa référence (qui n’est pas forcément Callas). Mais celles-ci sont vite oubliées tant la liberté de la ligne, ses modelés, et l’émotion qu’elles suscitent sont justes. Comment résister à l’intensité, à la générosité, si authentiques ?  La cabalette suivante Ah ! bello a me ritorna, n’est pas moins admirable : le bel canto idéal où le chant le plus virtuose, aux ornements et vocalises exemplaires, au souffle infini, sert une incontestable vérité dramatique. La puissance déclamatoire, fréquemment sollicitée, confirme que nous avons là une très grande Norma.

Adalgisa, Emily Sierra, n’est pas moins expressive ni douloureuse. La jeune vierge que protège Norma a la grâce, la candeur, et, surtout, l’étoffe du rôle. La voix est ample, séduisante, l’aigu aussi savoureux que les graves du trio qui ferme le I, jamais poitrinés, le legato superbe, le souffle long, et on se prend à regretter que l’ouvrage ne lui réserve ni air, ni cavatine, ni romanza. Son récit d’entrée, Sgombra è la sacra selva, suivi de l’arioso Deh proteggini o Dio, imposent le personnage, incarné avec justesse. Si le premier duo avec Norma, idéalement équilibré, dépasse la pure virtuosité vocale pour l’expression intense, le second est d’une exceptionnelle beauté et nous captive par sa magistrale progression (Si, fino all’ore estreme en particulier).

Pollione, amant orgueilleux, partagé et tourmenté, puis touché par la grâce, est confié à Matteo Falcier. Le ténor connaît bien son rôle, malgré quelques discrètes défaillances, certainement imputables à la position singulière des chanteurs par rapport à la direction. Energique, sans exhibition des muscles ou de l’aigu, son médium est nourri, la ligne est bien conduite, au style franc et châtié, même si le timbre n’a pas la rondeur de références tenaces. Le lyrisme est servi avec l’aisance attendue. La tendresse des inflexions dans ses dialogues avec Adalgisa nous touche (3). Le trio du I (Oh di quel sei tu vittima) où l’amant changeant est entouré de la mère de ses enfants et de sa maîtresse est un pur joyau, équilibré, convaincant.

Chef de guerre, père aimant, Oroveso est confié à Öney Köse, spécialiste du rôle, qu’il avait chanté à Strasbourg en juin dernier (sous la baguette du chef de ce soir, qui y dirigeait l’Orchestre symphonique de Mulhouse). Préfiguration des pères verdiens, toujours porté par le chœur de ses obligés, notre imposant Oroveso a l’autorité et la noblesse attendues, servies par un timbre de bronze, au médium bien placé, ferme.

Pour ponctuelles et rares que soient les interventions de Clotilde, Kaarin Cecilia Phelps promet beaucoup. Le mezzo est riche, la voix saine et devrait s’épanouir dans des emplois plus consistants. Le Flavio de ce soir est un futur Pollione, n’en doutons pas. Alexander Marev, se révèle dès les quelques répliques avant la cavatine du proconsul. La voix est solide, bien placée, jeune, expressive, sonore et vaillante.

Le chœur, préparé avec soin par Christophe Bernollin, se signale par son engagement, sa cohésion et ses équilibres, quelle qu’en soit la disposition, renouvelée à souhait. Evidemment, les hommes se payent la part du lion, en guerriers farouches (Non parti ?, puis le spectaculaire Guerra, guerra ! Sangue, sangue ! vendetta !). Chaque intervention est un bonheur, jusqu’au finale du second acte.

Andrea Sanguineti, en authentique chef de théâtre, se montre toujours attentif à soutenir et inspirer le chant. Pour autant, il rend justice à la partition en ne se contentant pas de faire valoir les voix. L’urgence dramatique, l’énergie, sont manifestes, mais aussi la suavité, la douceur, la tendresse, sans ces facilités qui dénaturent parfois l’élégance bellinienne. Les tempi sont justes. Dès l’ouverture, alerte, tendue, les qualités de l’orchestre de l’Opéra de Toulon sont évidentes. L’ampleur, la clarté, la vie palpitante, les respirations, la précision, toutes sont au rendez-vous pour traduire avec justesse ce romantisme sensible, qui allie la poésie, le clair-obscur à la force paroxystique. La souplesse du propos, la construction des progressions, les variations de tempo, les contrastes, tout nous ravit. Sans oublier les couleurs, des cordes de velours, des vents caressants (hautbois et flûte solo tout particulièrement) ou incisifs, des percussions efficaces. Les pianissimi, les nuances subtiles de l’écriture orchestrale, la qualité de la dynamique, c’est un constant bonheur que d’écouter l’orchestre. Le finale du II démentirait si besoin l’étiquette de « mélodiste » que l’on colle encore trop souvent à Bellini. Cette ultime scène, magistrale, entraînera, d’un seul élan, tout le public à se dresser pour ovationner longuement chacun des artisans de cette belle réussite.

(1) Giuditta Pasta en fut la créatrice, il y aura bientôt deux siècles. C’était Giulia Grisi qui chantait Adalgisa. 
(2) La création française, en 1835, dut son succès à la Grisi, mais Le Ménestrel n’y consacra que peu de lignes, en affirmant sa préférence pour les Puritains. (« Norma ne peut soutenir la comparaison avec Les Puritains [...) Rubini, Lablache et Mlle Assandri, jeune débutante âgée de 17 ans, ont dignement secondé Mlle Grisi... »).
(3) Mais pourquoi le faire fumer, avec Flavio ?

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