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JACQUET DE LA GUERRE, Céphale et Procris — Versailles

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Spectacle
30 janvier 2023
Bicéphale et Procris

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Céphale et Procris, tragédie lyrique en un prologue et cinq actes

Musique d’Elisabeth Jacquet de la Guerre sur un livret de Joseph-François Duché de Vancy

Création en mars ou avril 1694 sur la scène du Palais Royal à Paris

Détails

Céphale, Nérée
Reinoud Van Mechelen
Procris
Déborah Cachet
L’Aurore
Ema Nikolovska
Flore, Dorine
Lore Binon
Iphis, la Prêtresse
Gwendoline Blondeel
La Jalousie
Marc Mauillon
Borée, Pan
Lisandro Abadie

Arcas

Samuel Namotte

Chœur de Chambre de Namur

A nocte temporis
Direction musicale
Reinoud Van Mechelen

Salon d’Hercule du Château de Versailles

Mardi 24 janvier 2023, 20h

On connaît mal les compositrices du Grand Siècle ; d’abord parce qu’elles furent peu nombreuses, mais aussi parce que les musicologues ne s’intéressent à elles que depuis peu d’années. Elisabeth Jacquet de la Guerre est peut-être la plus célèbre et fascinante d’entre elles. Enfant prodige, fille d’un fameux claveciniste et claveciniste virtuose elle-même, Elisabeth Jacquet se fait rapidement un nom à la cour de Louis XIV par l’entremise de Madame de Montespan, avant d’épouser l’organiste Martin de la Guerre. Fait assez rare à l’époque, son statut de femme mariée ne l’empêche pas de poursuivre ses activités de composition : elle publie jusqu’à sa mort des pièces pour clavecin, des sonates pour violons, quelques cantates et compose en 1694 une tragédie lyrique pour l’Académie Royale de musique : Céphale et Procris.

Cette tragédie lyrique, qui constitue donc le premier opéra français composé par une femme, s’inspire des Métamorphoses d’Ovide. Le librettiste Joseph-François Duché de Vancy fait de Céphale et de Procris un couple d’amants qui ne peuvent s’aimer, puisque leur amour est condamné par les dieux. Le poète introduit le personnage de Borée, prétendant légitime de Procris, leurs suivants Arcas et Dorine, couple qui apportent une touche pastorale et comique à la tragédie, ainsi que l’Aurore, déesse éprise de Céphale et qui invoque la Jalousie pour le détourner définitivement de Procris. À la fin de l’ouvrage, Céphale tue accidentellement Procris en voulant atteindre Borée. 

Céphale et Procris est proche du canon lulliste, dont elle se distingue cependant par cette fin malheureuse, peu courante (même si la Médée de Charpentier et Corneille, créée en 1693, ne se termine pas très bien non plus…) et par la personnalité musicale d’Elisabeth Jacquet de la Guerre, qui donne aux airs de lamentation de Procris une couleur presque italienne et fait vivre habilement le récitatif par de belles trouvailles harmoniques et un sens de la précision rhétorique admirable. L’œuvre fut un échec lors de sa création, comme toutes les tragédies lyriques qui furent créées peu de temps après la mort de Lully, mais si on peut reprocher quelques défauts au livret, la résurrection de cette œuvre, dans ce somptueux écrin à l’acoustique exemplaire qu’est le Salon d’Hercule du Château de Versailles, révèle un bijou qui mérite largement d’être redécouvert – ce qui sera bientôt possible à ceux qui n’étaient pas à Versailles ce soir-là, puisque l’œuvre fera l’objet d’une publication CD.

Il ne s’agit d’ailleurs pas à proprement parler d’une résurrection, puisque l’œuvre a déjà été donnée et même enregistrée, mais avec de nombreuses coupures. On peut donc plutôt parler d’une première exécution complète de l’œuvre, permise grâce à l’implication du compositeur François Saint-Yves, qui a imaginé l’orchestration de toute l’œuvre à partir des quelques éléments qui nous restent aujourd’hui : les lignes de chant, de premier violon et de basse continue. Pour la déclamation du texte, un choix hybride a été fait : la prononciation du français est la même qu’aujourd’hui, sauf pour le phonème wa qui est prononcé wɛ (on dit donc « le roué » plutôt que « le roi »).

Reinoud Van Mechelen est le grand instigateur du projet et il assure avec une virtuosité impressionnante la direction d’orchestre et le rôle masculin principal, en se retournant simplement pour passer de son statut de chef (de dos), à celui de chanteur (de face) devant son pupitre, à côté des autres solistes. À la tête de son ensemble A nocte temporisqui assurait pour la première fois l’accompagnement d’une œuvre lyrique intégrale, l’interprète bicéphale insuffle couleurs, textures et dynamiques variées dans une partition qui en appelle beaucoup. Les scènes de divertissements dansés sont particulièrement expressives et colorées, notamment grâce à l’implication vigoureuse du percussionniste Sylvain Fabre. Dans les passages récitatifs, la basse continue est toujours d’une expression juste et ductile, apportant un soutien constant à l’avancement du drame.

La distribution vocale est composée de très bons éléments, mais on peut tout de même observer un manque d’homogénéité stylistique dans le résultat global. Certains interprètes s’appliquent naturellement à faire vibrer le poème, en le déclamant avec clarté et vigueur, quand d’autres relèguent la diction au second plan – le livret mis à la disposition du public dans le programme de salle se révélait parfois fort utile. De même, les techniques vocales des chanteurs sont toutes assez différentes, ce qui renvoie parfois une image un peu composite de l’œuvre sur le plan stylistique, plus proche d’un patchwork que d’une vue d’ensemble cohérente.

Cette réserve énoncée, louons l’engagement et le charme de chaque soliste. Déborah Cachet, tout d’abord, émerveille en Procris pleine de fraîcheur et de finesse, qui fait résonner avec une grâce délicate les différents airs lents qui échoient au personnage, notamment un « Lieux écartés » désarmant d’élégance et de mélancolie. Sa prononciation affûtée et son timbre doux constituent un contrepoids parfait au Céphale de Van Mechelen, plus expansif et brûlant et tout aussi impliqué par ailleurs dans la mise en valeur du texte. Cette alchimie porte la scène finale, où Procris meurt dans les bras d’un Céphale désespéré, au comble de l’éloquence tragique.

Le personnage étonnant de l’Aurore est incarnée par une interprète non moins surprenante, la canadienne Ema Nikolovska. La manière dont elle attribue une intention singulière à chaque note et chaque mot peut certainement lasser, voire agacer certains spectateurs, mais nous avouons avoir été fasciné par l’engagement et la hardiesse de la chanteuse. L’hyper-expressivité et la sophistication extrême de son chant s’éloigne d’un certain « naturel » rattaché au style de l’époque, mais on reste malgré tout (malgré nous) suspendu à ses lèvres, admirant la manière dont elle propose de nombreuses variations de dynamique et de couleur sur une même note et donne un éclat différents à chaque mot – même si cela réduit parfois le texte à un agglomérat de sons divers que l’on peine à comprendre. 

Lisandro Abadie, après avoir donné beaucoup de présence au Pan du prologue, accorde au cours de l’œuvre une belle aura à Borée. Le personnage, qui se réduit à devoir jouer d’abord l’amant éconduit, puis l’amant triomphant et heureux, sans qu’on n’entende plus parler de lui à la toute fin de l’ouvrage, se charge d’un mordant et d’une assurance remarquables. Marc Mauillon, toujours aussi savoureux et rayonnant, interprète plusieurs petits rôles avant de revêtir les habits de la Jalousie, avec une malice et une autorité souveraines. Cette figure allégorique n’est pas très éloignée de la Haine de l’Armide de Quinault/Lully, et bien que la partition lui confère moins d’éclat, Mauillon sait bien comment révéler sa noirceur avec une éloquence confondante. 

La distribution est complétée par une Gwendoline Blondeel qui met d’abord le moelleux de son timbre au service du personnage d’Iphis, avant de trouver des accents plus autoritaires et mordants dans l’incarnation de la Prêtresse. Lore Binon campe quant à elle avec conviction la Flore du prologue, puis la suivante de Procris, Dorine. Le timbre est fruité et l’interprétation est séduisante, mais la diction est floue et on peine souvent à comprendre ce qu’elle dit. Son amant Arcas est incarné par Samuel Namotte, à la projection plus confidentielle que ses collègues, mais qui n’en demeure pas moins très touchant.

Plusieurs solistes s’extraient des rangs du Chœur de Chambre de Namur pour prendre en charge des personnages très secondaires, avec élégance et application. L’ensemble du chœur intervient régulièrement au cours de l’œuvre et s’applique à révéler les merveilles de l’écriture chorale de Jacquet de la Guerre, comme dans l’ensemble énergique qui finit le prologue (« Volez, ô guerriers invincibles ! »), dans le chœur des suivants de la Volupté au troisième acte (« Tendres amants »), où se déploie les charmes des timbres des dessus et des hautes-contre, ou bien encore dans la scène infernale du quatrième acte, qui convoque cette fois-ci les voix de basse. 

 

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Céphale, Nérée
Reinoud Van Mechelen
Procris
Déborah Cachet
L’Aurore
Ema Nikolovska
Flore, Dorine
Lore Binon
Iphis, la Prêtresse
Gwendoline Blondeel
La Jalousie
Marc Mauillon
Borée, Pan
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