L’opéra de Lorraine, en coproduction avec Caen et Lille, ajoute à son répertoire, comme beaucoup de théâtres de villes moyennes outre-Rhin, une nouvelle production de Tristan und Isolde. Si l’échec scénique est patent, la réalisation musicale nancéenne vaut bien celle de maisons plus prestigieuses.
Leo Hussain s’avère un des acteurs clés de cette réussite. Certes, l’orchestre manque de quelques instrumentistes pour trouver l’épaisseur voulue, notamment chez les cordes dans le final du deuxième acte et l’ouverture du troisième. On fait avec la fosse que l’on a. En attendant, la formation, irréprochable, atteint à l’excellence : clarté des cuivres, langueur des bois et somme des talents des solistes. Le chef puise dans ces ressources et joue avec de beaucoup de plasticité sur les textures et les rythmes. Ce Wagner se veut chatoyant et théâtral en même temps qu’il ménage un plateau où les trois interprètes principaux effectuent leur prise de rôle.
Dorothea Röschmann, mozartienne en pleine reconversion comme elle nous l’expliquait, réussit en grande partie le défi d’Isolde. Le volume et la projection sont suffisants pour une salle et une fosse comme celle de l’Opéra national de Lorraine. Certes, le haut de la tessiture se tend rapidement et les deux uts de la partition s’avèrent hors de portée, marqués au mieux, criés au pire. Mais l’incarnation et le portrait trouvent dans la ligne, la diction et la rondeur du medium tout ce qu’il faut. Les récits et imprécations du premier acte résonnent déjà avec la maturité d’une habituée du rôle, le duo du deuxième, dès lors qu’il s’apaise, lui permet de déployer toute l’onctuosité savamment acquise chez Mozart. La diseuse se charge du reste et si son retour au troisième manque d’endurance et de souplesse, elle sait se couler dans ces raucités pour toucher au plus juste. Samuel Sakker se révèle être la vraie surprise de cette première. Le ténor que nous avions jusqu’alors modérément apprécié, aborde son premier Tristan avec la prudence nécessaire : économies au premier acte et gestion au deuxième pour se préserver. Mais quel dernier acte ! Il incarne avec une très juste expressivité chacun des cinq longs monologues, résiste aux assauts d’une écriture vocale aussi meurtrière que le personnage agonise et préserve tout du long la fraicheur du timbre, la ligne et la musicalité. Gageons que désormais rasséréné, il délivrera très vite un portrait complet de Tristan. Aude Extrémo, elle aussi en prise de rôle, offre un timbre opulent et de beaux accents à Brangäne. Alliés à un long souffle, ses appels du deuxième acte deviennent un moment suspendu. Jongmin Park propose un Marke aussi sonore qu’abyssal. La basse nuance son chant mais l’émotion peine à affleurer par manque d’incarnation. Enfin, si le Kurwenal inégal de Scott Hendricks ne rejoint pas tout à fait le reste de la distribution, tous les seconds rôles participent à la réussite musicale de ce spectacle.
Côté scénique, Nancy a poussé l’audace wagnérienne jusqu’à faire appel à Tiago Rodrigues, l’actuel directeur du festival d’Avignon, lui offrant sa première mise en scène d’une oeuvre lyrique. Le résultat s’avère un refus d’obstacle qui pose un certain nombre de problèmes. La scène se passe dans une archive, des rayonnages en amphithéâtre. Un couple de danseur – qui n’esquissera que quelques pas convenus sur l’ouverture – retire des pancartes des étagères, donnant à lire un texte du metteur en scène et à faire naitre la fable sous nous yeux. Les textes remplacent le sur-titrage et se veulent à la fois traduction de l’action, commentaire et matière poétique. Échec sur toute la ligne ! Déjà, on attend du spectateur le niveau d’un habitué de la Colline verte et quand celui-ci en dispose, il lui est aisé de se rendre compte des incohérences, retards, redondances etc. Le texte souligne aux trois actes, le trop plein de mots chez Wagner quand lui-même s’avère verbeux et creux : « l’homme triste est triste » ; « ils s’envolent » sont autant de « légendes » de l’action scénique qui tombent à plat. Rares sont les moments d’adéquation ou de résonnance, comme ce « philtre qui guérit de la vie ». Si l’on regarde dans le corps du texte de Tiago Rodrigues, des contresens se font jour. « La morale », « les règles » sont le cadet des soucis de Wagner quand il compose Tristan après son séjour chez les Wesendonck. Il n’y a rien de bourgeois dans ce qui se joue. Il aurait suffit d’écouter le monologue de Marke plutôt que de le paraphraser en synthèse. Eros et Thanatos ont disparu ; Schopenhauer semble n’avoir jamais existé. Le commentaire scénique ne dépasse que rarement le niveau de la bluette candide et perd toute valeur performative même quand les personnages tiennent les pancartes de « l’épée » ou des « philtres » en lieu et place des objets. Il était tout de même aisé, en quatre heures de musique de se rendre compte que brandir des pancartes au milieu d’un décor austère ne fait pas une mise en scène. Saluons tout de même le métier de Danaïades de Sofia Dias et Vitor Roriz. Les chanteurs – trois prises de rôles nous l’avons souligné – sont laissés à eux-mêmes dans des poses convenues. A l’exception du troisième acte, porté par les interprètes de bout en bout, l’émotion fuit souvent cette proposition.