Stéphane Bern apparaît derrière nous sur le petit podium duquel il assure les transitions entre les différents morceaux du programme, destinées à la télévision et inaudibles depuis le Champ-de-Mars. L’Orchestre National de France entame la « Marche hongroise » de La Damnation de Faust de Berlioz : la septième édition du Concert de Paris démarre selon un rituel désormais bien établi.
22 caméras, 1 hélicoptère, 7 semi-remorques, 200 musiciens et 450 techniciens mobilisés : l’événement, retransmis sur France Inter, sur France 2, et dans plus de dix pays à travers le monde, a toutes les caractéristiques de ces grosses machines où les chiffres impressionnent parfois plus que le résultat final, où la prouesse technique peut étouffer les émotions. Pourtant, cette année encore, le Concert de Paris frappe par sa spontanéité, son mélange de clins d’œil enjoués et d’esprit bon enfant qui coche toutes les cases d’une grande fête populaire réussie. Il ne s’agit pas d’un concert normal, évidemment, et les cadres à l’intérieur desquels le critique a l’habitude d’exercer s’en trouvent explosés. Mais c’est un concert tout de même, en ce qu’il accorde, deux heures durant, une vraie primauté à la musique.
Si la sonorisation brouille quelque peu les intentions de Khatia Buniatishvili dans le célèbre mouvement lent du 23ème Concerto pour piano de Mozart, elle n’empêche pas Jakub Orlinski (dont les téléspectateurs purent apparemment apprécier une démonstration de break dance) de suspendre le temps, dans ce « Vedro con mio diletto » qu’il distille comme personne, ni Gauthier Capuçon de faire souffler, dans une transcription pour violoncelle de l’air de Rusalka, un vent de lyrisme plus fort que les quelques bourrasques endurées durant la soirée. Evidemment très attendues, les prestations de Roberto Alagna, nombreuses et généreuses, n’ont pas déçu : aussi engagé dans un poignant « Rachel, quand du seigneur… » que dans la « Mama » en hommage à Aznavour, il donne aussi de sa personne dans une « Heure exquise » en duo avec Aleksandra Kurzak, qui avait auparavant affronté crânement les roulades de la Juliette de Gounod, et dans des couplets de La Périchole particulièrement enlevés, avec la toujours parfaite Gaëlle Arquez. Anniversaire oblige, Offenbach reste à la fête du côté de l’orchestre, qu’Alain Altinoglu entraîne avec enthousiasme dans l’ouverture vibrionnante de La Gaîté Parisienne.
René Pape et Gaëlle Arquez, toujours, contribuent à la coloration très française du programme de cette année, le premier dans un « Veau d’or » de haute stature, la seconde dans une sensuelle « Habanera », mais les frontières hexagonales sont dépassées, avec Verdi (« Va, Pensiero », encore un tube, mais ainsi chanté, et dans ce décor, qui s’en plaindra ?), Bernstein (beau duo entre Chen Reiss, jeune talent de l’Opéra de Vienne, et Christian Elsner), Brahms, Khatchaturian, Rodrigo… après « l’Ode à la Joie » et « la Marseillaise », bissée, le feu d’artifice vocal cède au traditionnel spectacle pyrotechnique de la Tour Eiffel. Les chiffres d’audience publiés ce matin estimaient à 3,2 millions le nombre de téléspectateurs ayant suivi ces 2 heures de musique. Ce n’est peut-être pas exactement le « plus grand concert classique du monde » largement vanté, mais quel succès indéniable !