Autant le Teatro Farnese deux soirs auparavant nous avait valu un Requiem de Verdi dans des conditions proches de l’idéal (cf. notre compte-rendu), autant le vaste hémicycle de bois et de stuc édifié au seicento pour les ducs de Parme s’avère peu adapté à la représentation d’opéra. La visibilité est bonne d’à peu près partout mais la forme oblongue de la salle éloigne les chanteurs du public. Surtout l’acoustique s’avère pire qu’aléatoire : diffuse. Privées de contours et de relief, les voix semblent flotter dans un brouillard permanent. De l’orchestre installé dans une fosse de fortune au niveau du parterre (alors qu’il était placé sur la scène derrière les solistes et devant le chœur pour le Requiem), on entend d’abord les vents tandis que les autres instruments forment un arrière-plan fantomatique. Difficile dans ces conditions de goûter les raffinements d’une partition dont l’orchestration est l’une des premières qualités. Difficile aussi d’apprécier le travail d’Andrea Battistoni. On se contentera de relever l’extrême jeunesse du chef d’orchestre véronais (24 ans !), qui rend d’autant plus remarquable la virtuosité de sa direction (on note juste quelques décalages dans l’ensemble à neuf voix qui conclut le premier acte). On remarque aussi l’énergie théâtrale avec laquelle il ponctue ses finales. Accélération et coup de poing, la recette est connue mais reste d’une indéniable efficacité quand elle est comme ici maîtrisée.
Difficile toujours, compte tenu de la nébulosité sonore, de porter un jugement sur une distribution qui a au moins le mérite de l’équilibre, une condition nécessaire à tout Falstaff digne de ce nom. Se détache dans le rôle-titre Ambrogio Maestri qui, s’il donne quelques signes de fatigue en fin d’opéra, croque le Pancione avec une gourmandise contagieuse. Ce Falstaff a de la puissance à revendre mais ne se contente pas de tonner en se tapant la cloche. On perçoit dans son chant toutes les nuances et les couleurs qui font la richesse du personnage, l’emploi habile du falsetto, le souci du mot ainsi qu’une large palette expressive. La Nanetta de Barbara Bargnesi tire, elle aussi, son épingle du smog avec quelques aigus délicieusement suspendus au dessus des brumes phoniques. Les « reverenza » de Romina Tomasoni (Mrs Quickly) tombent juste alors que par ailleurs la voix semble relativement légère pour un rôle qui a vu défiler les plus grands contraltos de la terre. Peu avantagés par l’acoustique, Svetla Vassileva en Alice a l’air de dominer un vibrato qui d’autres fois nous a paru plus large et le Ford de Luca Salsi, sans mettre le feu aux planches, s’efforce de jouer les maris jaloux. Malgré toutes les précautions qu’il semble prendre, Antonio Gandia malmène le rôle de Fenton. Le ténor le plus délicat du répertoire verdien demande moins de métal et davantage de raffinement.
A défaut de son, reste l’image. Intelligemment stylisée, la mise en scène de Stephen Medcalf suit à la lettre un livret dont elle parvient à préserver toute la lisibilité. Quelques effets déjà vus ailleurs continuent de faire mouche (l’utilisation de draps suspendus sur des fils pour permettre l’enchainement plausible des séquences dans le deuxième tableau du premier acte). A l’intérieur de l’auberge de la Jarretière, Falstaff, la chemise souillée de vin, trône sur un lit immense tel un roi fainéant. En toile de fond, un plan de ville façon topographie médiévale, d’abord noir sur blanc, glisse blanc sur noir au troisième acte pour figurer la nuit. Idée simple et géniale qui, ajoutée au reste, fait d’autant plus regretter de n’avoir pas disposé de conditions sonores plus favorables. C’est la première fois qu’un opéra de Verdi était représenté Teatro Farnese. Faudra-t-il renouveler l’expérience ?