Depuis trente-six ans, le festival de Ravenne propose une programmation aussi ambitieuse que pléthorique entre les mois de mai et juillet, sans oublier une trilogie lyrique chaque automne au mois de novembre. Si Riccardo Muti a rassemblé la semaine dernière trois mille choristes venus de toute la péninsule pour un projet lyrique autour du vivre-ensemble, seuls neuf chanteurs ce soir illuminent l’extraordinaire écrin de la basilique San Vitale.
A la demande du festival, l’ensemble vocal Odhecaton – invité récurrent – y offre un hommage à deux artistes majeurs : d’une part, Giovanni Pierluigi da Palestrina, à l’occasion du 500e anniversaire de sa naissance et Alessandro Scarlatti 300 ans après son décès. Un programme de luxe donc, dans un cadre qui l’est plus encore,
Un écho sensible se déploie entre ce programme bicéphale et le décor composite de la basilique qui juxtapose avec brio de sublimes mosaïques byzantines et une coupole baroque. Le décor rejoue l’écart temporel entre les deux musiciens dans une même sensation générale d’unité et d’harmonie. Le festival est coutumier du fait, s’attachant à rendre vivant le patrimoine spirituel de son territoire.
Le rapprochement entre ces deux grands compositeurs n’est pas qu’une simple question de calendrier : Tous deux sont romains et ont essentiellement œuvré pour la cour pontificale. « Princeps musicae », le travail de Palestrina représentait le paradigme du style polyphonique pour tous ses successeurs y compris Scarlatti dont la production sacrée n’est pas exempte de l’influence de son illustre aîné.
La meilleure preuve en est la Messe brève à Palestrina, écrite dans le même style à cappella que celui du maître. Elle est ici associée avec des motets de Palestrina dans une création liturgique inédite. Rien de fortuit donc dans la construction de ce programme qui relève le défi de créer de la variété, d’éviter la lassitude dans une soirée à cappella où fioritures et distractions sont exclues, puisque seules les voix s’élèvent en majesté, pour dire la gloire de Dieu.
L’ensemble Odhecaton – uniquement composé d’hommes comme l’imposait la chapelle papale à l’époque – explore depuis bientôt trente ans le territoire vocal de la Renaissance dans une approche très précisément historiquement informée.
Plus tôt dans la journée, à l’occasion de la Messe de Pentecôte, les chanteurs ont fait résonner la célèbre Messe du Pape Marcel de Palestrina dans la basilique de Sant’Apollinare in Classe, rendant à la pièce sa force liturgique. La Messe pour ce pape dont le pontificat ne dura que vingt-deux jours fut interprétée pendant le Concile de Trente devant les cardinaux assemblés alors que la question de la polyphonie divisait le clergé. Il s’agit donc d’un jalon important de la contre-Réforme musicale. L’ensemble est l’auteur d’un enregistrement de référence de cette partition pour le label Arcana.

Ce soir, à San Vitale, la ferveur monte progressivement au fil des pièces interprétées. Le « Gloria » de Scarlatti s’avère éminemment musical avec des mélismes en volutes artistiquement conduits. L’air reste toutefois un peu extérieur contrairement au magnifique « Agnus Dei » recueilli et nourri d’une belle progression émotionnelle. Il en est de même pour le « Salve Regina », puissamment émouvant où le jeu des nuances se fait écho du flux et reflux d’une pensée qui chemine.
Le tuilage entre les deux compositeurs fonctionne parfaitement et l’oreille chemine avec fluidité entre les deux écritures. A cet égard, la manière dont le superbe « Dominus Jesus in qua nocte » de Palestrina est intercalé entre les passages de la Messe de Scarlatti en fait l’un des temps fort du concert.
Dès les premières notes de l’« Exsultate Deo » s’impose la qualité de la pâte sonore des neuf chanteurs ; veloutée, enveloppante. Quel dommage que le texte ne soit pas toujours compréhensible, ce, d’autant que Palestrina se voulait le chantre d’une polyphonie intelligible. De même, au delà de la plénitude du son, on aurait espéré plus de variété dans les palettes de couleurs, celle-ci n’arrive que tardivement dans le concert, offrant alors une sublime efflorescence vocale.
Oscillant entre quatre et huit voix différentes selon les pièces, l’ensemble conserve un excellent équilibre entre les pupitres, s’attachant à une émission naturelle et franche avec une belle conduite de la ligne et des finales impeccables. Les propositions sont toujours suprêmement élégantes. Au dessus, plane le timbre rond et plein du premier contre-ténor, Alessandro Carmignani tandis que chacun suit la direction de Paolo Da Col, limpide, précise, diapason en main.
La fougue de l’Ensemble éclate pleinement avec un « Laudate Dominum » dense et passionné qui clôt le concert avant un joli « Sicut Cervus » en bis, ultime hommage au maître de la Renaissance.