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PUCCINI et MASCAGNI, Gianni Schicchi et Cavalleria rusticana – Verbier

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Spectacle
26 juillet 2025
Pléthore de grands fauves

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Giacomo Puccini (1858-1924)
Gianni Schicchi
Opéra en un acte
Livret de Giovacchino Forzano, d’après la Divina Comedia de Dante Alighieri
Création au Metropolitan Opera de New York le 14 décembre 1918

Pietro Mascagni (1863-1945)
Cavalleria rusticana
Opéra en un acte
Livret de Giovanni Targioni-Tozzetti et Guido Menasci, d’après une nouvelle de Giovanni Verga
Création à Rome, Teatro Costanzi, le 17 mai 1890

Détails

Pour Gianni Schicchi
Gianni Schicchi
Bryn Terfel
Lauretta
Ying Fang
Rinuzzio
Sungho Kim
Zita
Elena Zilio
Gherardo
Giorgi Guliashvili *
Nella
Katrīna Paula Felsberga *
Gherardino
Maryam Wocial *
Betto de Signa
Maksim Andreenkov *
Simone
Ossian Huskinson
Marco
Theodore Platt
La Ciesca
Ellen Pearson *
Spinelloccio, Ser Amantio di Nicolao
Felix Gygli
Guccio
Edward Birchinall *
Pinellino
Anton Beliaev

Pour Cavalleria Rusticana

Santuzza
Yulia Matochkina
Turiddu
Freddie De Tommaso
Alfio
Ludovic Tézier
Lucia
Elena Zilio
Lola
Ava Dodd

Oberwalliser Vokalensemble

Verbier Festival Orchestra
Direction musicale
Andrea Battistoni

* membres de l’Atelier lyrique de l’Academy

Création vidéo (pour Cavalleria rusticana)
Johanna Vaude

Verbier Festival & Academy
Salle des Combins
24 juillet 2025, 18h30

Dès les premières notes de Gianni Schicchi, et le bruyant chagrin (feint) de la famille endeuillée au chevet de l’oncle Buoso Donati, on sait que les grands héros de la soirée (mais il y en aura d’autres) seront le Verbier Festival Orchestra et son chef Andrea Battistoni, venu remplacer Fabio Luisi.

Andrea Battistoni © Nicolas Brodard

Un orchestre énorme emplissant à ras bord l’immense plateau de la salle des Combins, constitué de jeunes venus du monde entier, où les États-Unis et la Corée sont très représentés, mais la France par quatre musiciens seulement…, un orchestre renouvelable par tiers et par concours chaque année, et qui est l’une des forces de ce Festival à l’offre pléthorique (le Gotha des interprètes s’y presse depuis trente ans) et dont l’une des vocations premières est la formation et la transmission.
Rappelons qu’outre l’Orchestre de Chambre, formation professionnelle dont nous reparlerons les jours prochains, il y a aussi un troisième orchestre, le Junior (les moins de dix-huit ans) dont les performances sont étonnantes (incroyable Concerto en sol de Ravel il y a quelques jours avec Jean-Efflam Bavouzet, sous la direction électrique de Roberto González-Monjas).

Bryn Terfel © Nicolas Brodard

Un numéro dont on ne se lasse pas

Mais si la foule est venue, c’est évidemment sur le nom de Bryn Terfel, qui fera dans le rôle du madré Florentin un numéro d’un réjouissant cabotinage – mais le personnage s’y prête –, distillant avec science et un peu de rouerie les effets d’une voix qui certes n’a peut-être plus la rondeur et la profondeur d’autrefois, mais demeure d’une présence et d’une puissance percutantes. Sur la même scène, on le vit jadis en Leporello (avec le Don Giovanni de René Pape) et le jeu avec la casquette rouge sous laquelle se dissimulera Gianni Schicchi pour berner le notaire sera une auto-référence à l’échange de costumes avec Don Giovanni, réduit à un échange de couvre-chefs…
On l’y vit aussi en Wotan (grandiose de dénuement dans le « Leb wohl »), mais c’est surtout à son Falstaff que fait penser sa composition et l’opéra de Puccini n’est-il pas un hommage au dernier de Verdi ?

© Nicolas Brodard

Travail de troupe

Les nombreux pezzi concertati seront impeccables de mise en place, dans un beau travail de troupe, se posant, se glissant sur le constant tissu symphonique, tour à tout acidulé, goguenard, sensuel, ample ou piquant. Un régal d’orchestration, truffé de leitmotives, du moins de motifs récurrents (celui du testament ou celui des amours de Rinuzzio et de Lauretta).

Des violons frémissants, d’amples phrases de violoncelles, un commentaire de flûtes puis de bois ironiques, un crescendo ponctué des Oooh et des Hein accablés et comiques des héritiers frustrés, la lecture du testament est d’une saveur farcesque, jusqu’au vaste fortissimo du dépit. Le jeu des acteurs-chanteurs est si drôle qu’il en ferait oublier la virtuosité du discours orchestral dont Andrea Battistoni ponctue leurs interventions, variant les climats de cette comédie en musique en vrai chef de théâtre. Et contrôlant l’équilibre entre les solistes (légèrement sonorisés sans doute) et l’énorme formation.

Bryn Terfel et Elena Zilio © Nicoals Brodard

Quatre fois vingt ans voire davantage

Le jeu de la tante Zita est un vrai bonheur : menue, cheveux blancs, Elena Zilio rayonne de malice, d’expérience. Elle est à la fois rouée et touchante, minuscule et intensément présente. Avec ses quatre fois vingt ans un peu dépassés, elle ajoutera aussi son poids d’humanité au personnage de Lucia dans Cavalleria Rusticana. Et aux saluts l’hommage que lui rendront ses camarades et le public sera d’une jolie émotion.

À côté d’elle, ce sont des « alumni » de l’Atelier Lyrique qui constituent une bonne partie de la nombreuse distribution voulue par Puccini, avec des voix plus que prometteuses, la Nella de Katrīna Paula Felsberga, ou le Gherardino de Maryam Wocial, et du côté des hommes le Marco de Theodore Platte ou le Gherardo du ténor Giorgi Guliashvili, Mais tous seraient à nommer.
S’y ajoutent la belle basse d’Ossian Huskinson (Simone, le doyen du village, chanté par un jeune homme) ou Felix Gygli dans deux rôles de composition, le curé et le notaire (qui rédige en latin les desiderata de Gianni Schicchi, s’appropriant la maison, les moulins et même la mule d’une valeur de trois cents florins).

Ying Fang et Sungho Kim © Nicolas Brodard

Mais surtout c’est le jeune couple qui recueille tous les suffrages, le très beau ténor Sungho Kim, lyrique, généreux, dont les phrasés sont à l’unisson de ceux de l’irrésistible Ying Fang, voix lumineuse, rayonnante, dont le « O mio babbino caro » est un modèle d’émotion et de justesse (c’est en situation que cet air ressassé retrouve toute sa fraîcheur).

Un grand chef à l’italienne

Le chef véronais, également compositeur, et aujourd’hui directeur musical du Teatro Regio de Turin, sera ensuite le maître d’œuvre d’un opéra d’une facture tout autre. Il trace dès le prélude orchestral de Cavalleria Rusticana de longues lignes, laissant respirer ses solistes, animant les vagues du paysage maritime que brosse Mascagni, et qu’illustre la belle création vidéo de Johanna Vaude projetée sur l’immense écran de fond de scène. Y apparaîtront aussi de nombreuses photos anciennes, visages, gestes et paysages siciliens d’autrefois, tout cela s’appuyant sur la musique avec beaucoup de goût et de sensibilité, puis au fil de l’action ce seront des images plus animées, de l’Etna en éruption, qui viendront illustrer le drame. Ces belles projections pallieront un jeu d’acteurs plutôt fruste (j’excepte Elena Zilio), et feront oublier l’absurde robe blanche ornée de strass de Santuzza (il faut toujours avoir une petite robe noire en réserve, c’est bien connu) et la balourdise de Turiddu…

Freddie de Tomaso et Yulia Matochkina © Nicolas Brodard

En revanche quelle superbe pâte orchestrale, quel naturel à l’animer, à faire dialoguer les pupitres dans une manière de conversation, et à entourer de poésie aérienne la chanson des femmes célébrant la beauté du jour, et les voix des hommes chantant le charme des femmes. On a fait appel à l’Oberwalliser Vokalenensemble, chœur de tradition germanophone bien sûr, qu’Andrea Battistoni parvient à teinter d’italianitá, et à alléger (on n’a jamais vu un chœur aussi nombreux dans Cavalleria Rusticana).

Ce chœur accompagnera la chanson d’Alfio, première intervention de Ludovic Tézier, qui vient chanter les joies de la vie de charretier. Le grand baryton français, pour qui c’est une prise de rôle, est bien le charretier le plus distingué qu’on puisse imaginer. Il ne fait qu’une bouchée de cette chanson pimpante, que Mascagni fait suivre d’un hymne de Pâques, d’une radieuse ferveur, où à nouveau les voix féminines du chœur témoignent d’une tradition chorale en Suisse toujours vivante, même si l’ancienne maxime « En Suisse tout le monde chante » semble moins vraie que naguère.

Freddie De Tommaso et Elena Zilio © Nicolas Brodard

Deux grands fauves

La voix, aux couleurs très russes, de Yulia Matochkina surprend d’abord, grand mezzo qui après s’être chauffé prend son envol dans le célèbre « Voi sapete o Mamma » où elle raconte la valse-hésitation de Turiddu entre Lucia et elle. C’est un timbre aux couleurs fauves, à la tessiture très longue, aux aigus puissants et descendant très profond avec une manière de sauvagerie. Un léger vibrato ne fait qu’ajouter un surcroît de dramatisme et elle ose y ajouter des passages quasi parlando d’une noirceur saisissante.

Elle franchira un palier d’engagement supplémentaire dans la querelle avec Turiddu qui est le cœur même du drame. Freddie De Tommaso pour qui c’est aussi une prise de rôle y est d’une puissance lyrique foudroyante. La voix semble avoir gagné encore en fermeté et en brillance. Et son « Bada, Santuzza, schiavo non sono di questa vana tua gelosia ! » resplendit de santé vocale et de force dramatique.

Ava Dodd © Nicolas Brodard

Ce sont deux grands fauves qui se font face, chacun allant jusqu’au bout des lignes musicales, et chacun poussant l’autre dans ses derniers retranchements. Ils seront interrompus dans leur duel par l’apparition gracieuse de Lola, la rayonnante Ava Dodd, délicieuse voix légère et juvénile, mais reprendront bien vite leur échanges tempétueux tandis que Andrea Battistoni brassant l’orchestre à grands gestes fougueux les mènera à un unisson glorieux et grandiose.

Tézier dans sa majesté

Le retour d’Alfio donnera à entendre Ludovic Tézier dans toute la majesté de son art. Un modèle de phrasé, d’homogénéité du timbre, de solidité, de noblesse et de simplicité. Il y a là quelque chose qui tient de l’évidence. Tout semble en harmonie, la tenue en scène, la respiration, l’autorité. Rien d’ostentatoire. La présence. Son jeu théâtral semble s’être définitivement trouvé : il ne fait plus rien, il est là, droit dans ses bottes et une main dans la poche, et cela suffit. Il dit les mots et la musique prend alors toute sa force.

Freddie De Tommaso et Ludovic Tézier © Nicolas Brodard

Le duo des deux hommes est un nouvel affrontement de fauves. Tout cela transcende le mélodrame, il n’y a là plus aucune trace du chant vériste tel qu’on le caricature parfois. Rien que la vérité humaine et la passion poussée à son paroxysme. Et Mascagni mènera dans un crescendo d’intensité irrésistible le drame jusqu’à son sommet.

Mais pour terminer comme nous avons commencé, sur la magistrale direction orchestrale, on dira à quel point le célèbre Intermezzo aura été splendide de transparence, constamment animé d’accents, respirant largement, à l’instar de la grande phrase des violoncelles (Batistonni est violoncelliste au départ), rayonnant de lyrisme, de mélancolie, et d’un amour profond pour cette musique.

L’un des très beaux moments d’une soirée mémorable, saluée d’une longue standing ovation.

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Giacomo Puccini (1858-1924)
Gianni Schicchi
Opéra en un acte
Livret de Giovacchino Forzano, d’après la Divina Comedia de Dante Alighieri
Création au Metropolitan Opera de New York le 14 décembre 1918

Pietro Mascagni (1863-1945)
Cavalleria rusticana
Opéra en un acte
Livret de Giovanni Targioni-Tozzetti et Guido Menasci, d’après une nouvelle de Giovanni Verga
Création à Rome, Teatro Costanzi, le 17 mai 1890

Détails

Pour Gianni Schicchi
Gianni Schicchi
Bryn Terfel
Lauretta
Ying Fang
Rinuzzio
Sungho Kim
Zita
Elena Zilio
Gherardo
Giorgi Guliashvili *
Nella
Katrīna Paula Felsberga *
Gherardino
Maryam Wocial *
Betto de Signa
Maksim Andreenkov *
Simone
Ossian Huskinson
Marco
Theodore Platt
La Ciesca
Ellen Pearson *
Spinelloccio, Ser Amantio di Nicolao
Felix Gygli
Guccio
Edward Birchinall *
Pinellino
Anton Beliaev

Pour Cavalleria Rusticana

Santuzza
Yulia Matochkina
Turiddu
Freddie De Tommaso
Alfio
Ludovic Tézier
Lucia
Elena Zilio
Lola
Ava Dodd

Oberwalliser Vokalensemble

Verbier Festival Orchestra
Direction musicale
Andrea Battistoni

* membres de l’Atelier lyrique de l’Academy

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24 juillet 2025, 18h30

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