Récital Asmik Grigorian – Madrid

Au début de l’année 2022, Asmik Grigorian et le pianiste russo-lituanien Lukas Geniušas faisaient paraître l’album Dissonance, consacré aux mélodies de Sergeï Rachmaninov, premier album de récital avec piano de la soprano lituanienne. Au printemps de la même année, tous deux entamaient une longue tournée de concerts (qui les a conduits notamment à Genève et Bucarest), avec, toujours comme fil rouge, Rachamninov. Au gré des récitals, le programme pouvait être complété par des pièces d’autres compositeurs de l’Europe de l’Est.
Tournée toujours en cours trois ans plus tard ; et elle va se poursuivre à Valence, Vienne, Luxembourg, Naples, New York en 2025 et Francfort en 2026. A l’occasion de sa venue à Madrid pour une reprise d’Otello, Asmik Grigorian propose ce concert aux Madrilènes, entre deux représentations du chef d’œuvre de Verdi.
L’écrin est magnifique, le Teatro Real étant l’un des plus beaux théâtres à l’italienne qu’on puisse imaginer, avec une qualité acoustique assez confondante qui permet à la voix et au piano (dont le couvercle reste la plupart du temps entrouvert) de parfaitement diffuser dans l’immense salle. Programme chambriste, soirée entre amis.
Lukas Geniušas est le compagnon de studio et de route d’Asmik Grigorian en cette tournée. Les morceaux qu’il a choisi d’intercaler entre deux romances chantées se fondent admirablement dans l’économie d’ensemble du programme. On retiendra la romance en fa mineur op. 5 de Tchaïkovski, qui prolonge la rêverie de Une larme tremble qui précède, rendue tout en délicatesse et, en seconde partie le dernier des treize préludes de l’opus 32 de Rachmaninov dans lequel Geniušas fait montre d’une vista et d’une virtuosité enviables. D’une façon générale, il sera un accompagnateur discret et attentif. De toute évidence, ces deux-là n’ont pas besoin de se parler pour se comprendre.
Grigorian, dans la veine de son enregistrement studio, donne dans la nostalgie et la romance. Une première partie est consacrée à Tchaïkovski. Six romances qui nous parlent d’amour, de souffrance et de mélancolie. Les registres médian voire grave sont à l’ordre du jour. Toute une chaleur les habite ; nul n’est besoin de forcer la voix pour dire la peine et l’espoir ; souvent le public saura respecter le silence entre deux pièces.
Dans la seconde partie, consacrée à Rachmaninov, c’est la complexité de l’âme torturée et la violence des sentiments qui sont illustrées, confinant à la Dissonance, qui donne son titre à l’album et sa conclusion au concert. Et c’est alors (Ne chante pas pour moi) que la voix se débride et se permet quelques rares incursions dans le forte.
Mais ce soir l’intensité n’est pas dans la puissance de la voix, mais dans l’évocation de sentiments authentiques.