Pour le dernier concert de sa saison 2021-22, Clermont Auvergne Opéra a délaissé les ors de l’opéra de Clermont-Ferrand pour s’installer dans la jolie église Saint-Genès, prisée des mélomanes clermontois pour son acoustique délicate. Le lieu se prêtait parfaitement à un programme très équilibré de musique baroque italienne, sous la direction d’Antonio Florio, avec pour pièce maîtresse le Stabat Mater de Pergolèse.
Le concert s’est ouvert par une pièce instrumentale de Michele Mascitti, une passacaille en la majeur pour cordes magistralement interprétée par une Cappella Neapolitana inspirée. Très contrasté, ce morceau enchaîne mouvements lents et rapides, en binaire ou en ternaire, et alterne des tutti avec des trios (deux violons et violoncelle) et un duo violon-violoncelle, qui permettent de savourer pleinement l’allant du violon solo Marco Piantoni et peut-être plus encore le jeu investi et nuancé du violoncelliste Alberto Guerrero, aussi impressionnant dans les parties orchestrales et solistes qu’en continuiste. Les attaques sont mordantes, les notes pointées précises, l’ornementation discrète ; le passage d’un mouvement à l’autre s’opère dans une fluidité parfaite, faisant de cette passacaille une entrée en matières plus que prometteuse pour la suite.
Et ces promesses sont tenues. Dans le ravissant Salve Regina de Leonardo Leo, la jeune soprano napolitaine Leslie Visco, finaliste en 2015 du concours de chant de Clermont-Ferrand, séduit par son interprétation sobre et expressive. Le timbre est agréable, la voix homogène sur toute la tessiture, le vibrato régulier, le souffle long ; les vocalises, impeccables, semblent d’une grande facilité. Elle conduit sa ligne de chant avec intelligence et sensibilité. Tout au plus peut-on regretter quelques consonnes dentales pas toujours bien projetées (« dulcis virgo »), et un léger déséquilibre en terme de volume, l’orchestre ayant tendance à la couvrir dans les piani et dans le grave.
La Cappella Neapolitana © Yann Cabello
Leslie Visco se révèle tout aussi convaincante dans le Stabat Mater ; ses interventions trouvent cet équilibre pas toujours facile à obtenir entre le caractère opératique de l’œuvre et le tragique du texte religieux. Ainsi dans le « Cujus animam gementem » parvient-elle à rester touchante et à ne pas basculer totalement vers la légèreté que le côté dansant de la partition orchestrale peut évoquer, sans l’exclure toutefois. Dans un passage plus lent et plus mélancolique, « Vidit suum dulcem natum », elle bouleverse avec entre autres un « dum emisit spiritum » d’une grande intériorité sans jamais tomber dans le pathos. Si sa voix se marie bien avec celle de Marta Fumagalli, et si les deux chanteuses sont très à l’écoute l’une de l’autre, l’avis est plus réservé sur la prestation de la mezzo. Cela est dû d’une part à une question, une fois encore, de volume sonore ; la chanteuse est souvent couverte par l’orchestre, surtout dans le grave, rendant par exemple la phrase « dolentem cum filio » presque inaudible dans le cinquième mouvement. Plus gênante est une tendance opératique où la recherche de l’effet atténue la portée du texte et de la musique. Les retards quasiment systématiques sont parfois si longs que la note d’arrivée en est escamotée, et l’ornementation très – trop – présente peut ici ou là tenir de l’affèterie. Ainsi le dixième mouvement, « Fac ut portem », se voit-il doté d’une véritable cadence, tandis que les nombreux ornements brouillent la si belle ligne de chant sur « et plagas recolere. » Dommage, car le timbre est beau et l’engagement indiscutable.
Côté orchestre, aucune réserve. Les tempi, pas trop rapides dans les mouvements allants, permettent de bien entendre les nombreux contrastes de cette œuvre magistrale, par exemple le dialogue entre les violons et les basses dans le « Quae moerebat et dolebat. » La direction d’Antonio Florio, précise, parfaitement en phase avec les chanteuses, propose des contrastes intéressants, avec par exemple un ralenti sur « me sentire vim doloris » dans le septième mouvement. Aucune réserve non plus de la part du public d’une église comble, qui ovationne les artistes et obtient en bis un « Fac ut ardeat » très réussi, point d’orgue approprié pour une belle soirée.