Les Arènes de Vérone peuvent accueillir jusqu’à 15 000 personnes, dont beaucoup ne sont pas amateurs d’opéra. Et on n’est pas loin de l’industrialisation avec pas moins de 764 représentations d’Aida aux Festival depuis 1913 ! Dans ces conditions, la tentation pourrait être grande de proposer une distribution au rabais, ou des « hurleurs », d’autant que, immensité du lieu oblige, ce n’est pas l’endroit idéal pour faire des fioritures.
Pourtant, les artistes réunis ce soir sont des chanteurs de stature internationale et surtout, qui s’efforcent de nuancer leur chant, quand bien même une partie de ces efforts se perdra sous les étoiles.
Le Radamès de Yusif Eyvazov est bien connu. On apprécie la puissance vocale confortable du ténor, qui a d’ailleurs tendance à couvrir un peu ses partenaires. Les aspérités de timbre qui peuvent parfois gêner sont moins perceptibles que dans une salle de concert et, surtout, le ténor ose les demi-teintes, et nous gratifie même d’un superbe si bémol morendo à la fin de sa « Celeste Aida ».
Son Aida a la voix de Maria José Siri (qui remplace Marina Rebeka initialement annoncée). La tessiture est ici aussi parfaitement assumée et, comme son partenaire, la soprano uruguayenne allège, nous valant un duo final d’une grande beauté. Tout juste regrettera-t-on un déficit de projection de la quinte aiguë, qui peine à surnager dans les ensembles.
© Ennevi Foto/Fondazione Arena
De même l’Amneris d’Agnieszka Rehlis disparaît quelque peu dès que l’orchestre ou le chœur donnent de la voix. Mezzo rond et homogène, mais relativement clair, sa puissance se révèle enfin à l’acte IV dans la scène du jugement.
Yougjun Park semble être un véritable pilier du Festival de Vérone (rien que cet été il chante également Nabucco et Rigoletto dans les arènes). Voix saine et puissante, voilà un Amonasro quelque peu monolithique mais diablement efficace.
Chez les basses, l’avantage tourne au Grand prêtre de Simon Lim, d’une belle autorité, plus sonore que le roi de Ramaz Chikviladze.
Enfin on reconnait la qualité d’une distribution au soin accordé aux petits rôles. Ici le messager (Riccardo Rados) et la grande prêtresse (Francesca Maionchi) sont parfaitement au diapason du reste du plateau.
On aurait pu craindre une certaine routine dans la direction de Daniel Oren à la tête de l’Orchestre de la Fondation des Arènes de Vérone, qui est en elle-même une véritable institution. Pour autant, le geste large et une belle gestion des équilibres avec la scène prouvent les avantages d’une fréquentation assidue d’un œuvre et d’un lieu. Les chœurs, eux, sont autrement plus convaincants et en place que dans Carmen la veille : est-ce ici encore dû à la force de l’habitude ?
Reste la proposition scénique de Stefano Poda (créée en 2023), qui comme à son habitude cumule les casquettes (mise en scène, décors, costumes, chorégraphie, lumières). On pourra reconnaître une certaine modernité au spectacle, avec l’utilisation de lasers, de belles images et tableaux, tels ces corps qui s’agglutinent auprès d’Amonasro, l’enveloppant comme un grand manteau, symbole d’un peuple uni à son roi. De même, quelques effets viennent animer les gradins en arrière-scène, mais sans signification dramatique évidente.
Pour autant, le sens de cette main géante articulée qui surplombe la scène (élément principal de la scénographie) restera obscur jusqu’au bout, les scènes de danses ne sont pas beaucoup plus convaincantes, tentant des effets de masse organiques alla Chrystal Pite (mais sans son talent !) et, surtout, la direction d’acteur est réduite à un néant absolu.
On est sans aucun doute en face de l’œuvre d’un plasticien, mais peut-on réellement parler de mise en scène ?