Rameau à Royaumont le mois dernier mettait en lumière les insuffisances d’une version de concert. Rameau à Évian ce mois-ci démontre l’inverse. A la suite des représentations parisiennes, Les Indes galantes allégées de leur appâts scéniques font une dernière escale dans la Grange au Lac. Cet auditorium en bois de pin et cèdre, cadeau du fondateur et président de Danone, Antoine Riboud, au violoncelliste Mstislav Rostropovitch, a pour avantages sa taille, à échelle humaine, et sa qualité acoustique, contrairement à d’autres salles – suivez mon oreille. Ici, point n’est besoin de grossir la voix pour emplir un trop vaste espace. Libérés des impératifs de projection, les chanteurs peuvent soigner les détails et par extension la caractérisation de leurs rôles avec pour conséquence un drôle de paradoxe : il y a plus de théâtre dans cette version de concert que dans les représentations réglées par Clément Cogitore à Paris. Faudra-t-il se résoudre à fermer Bastille ?
Pris ensemble ou séparément, chacun des solistes apporte aux personnages interprétés ce supplément d’âme sans lequel Rameau tournait à vide – pour reprendre la formule de Guillaume Saintagne dans son compte rendu de la première parisienne. La partition a été adaptée aux circonstances. Stanislas de Barbeyrac, Jodie Devos et Florian Sempey retenus par d’autres engagements, des pans de musique ont été coupés et des bouts de rôle redistribués, pour une durée diminuée d’une petite heure par rapport à Paris. La troupe est réduite mais la complicité entre ses membres intacte.
© Aline Paley
En ajoutant Adario à Osman et Ali, Edwin Crossley-Melcer empoche le tube de l’œuvre, le duo des Sauvages, « Forêts paisibles », forcément bissé. Déjà, son Turc, d’une présence renouvelée, trouvait dans ses quelques interventions matière à mieux laisser percevoir « un cœur qui s’est trop combattu ». En Emilie comme en Fatime, Julie Fuchs resplendit d’un chant dont on ne sait s’il faut admirer le timbre, le style ou l’aplomb. Dire qu’à la Bastille, elle fut trouvée « un brin sage » ! Son duo avec Mathias Vidal, « Volez, Zéphyrs » est de ceux qui suspendent le cours du temps. Le ténor n’a ici nul besoin d’enlaidir certains sons pour forcer le trait. Valère comme Tacmas et dans une moindre mesure Don Carlos et Damon, empruntés à Stanislas de Barbeyrac, s’imposent avec une juste hauteur d’émission pour que la voix marque la toile sonore d’une encre vive. Et quelle netteté dans la diction ! Le soprano effilé de Sabine Devieilhe s’épanouit avec une aisance accrue. Les quelques extensions dans le suraigu sont toujours bienvenues. L’air de Phani, avec son tendre accompagnement de flûte, arrache à la salle une salve d’applaudissements, comme à Paris. Annoncé souffrant, Alexandre Duhamel invoque le soleil sur le fil de la voix à la manière d’une déclaration d’amour, sans que ce parti-pris ne soit imposé par son état de santé. La seule volonté de sortir Huascar de son carcan manichéen justifie l’approche. Les éclats de rage du grand prêtre n’en sont que plus impressionnants.
Est-ce l’effet de ce surcroît d’intentions interprétatives ? L’approche déliée de Leonardo Garcia Alarcón, inspirée par les rythmes latino-américains, trouve son entière légitimité. L’énergie de la Cappella Mediterranea est contagieuse et les sonorités du chœur de chambre de Namur demeurent jouissives. Rendue inflammable par la danse du grand calumet de la paix, la salle salue debout en trépignant et en frappant des mains l’ensemble des artistes.