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Stéphane Degout : « A l’opéra, on ne peut pas être que dans le divertissement »

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Interview
10 décembre 2018
Stéphane Degout : « A l’opéra, on ne peut pas être que dans le divertissement »

Infos sur l’œuvre

Détails

Stéphane Degout fait son retour à l’Opéra Comique à partir du 17 décembre pour une reprise d’Hamlet, dans une mise en scène de Cyril Teste. Le baryton national revient sur ce rôle, déjà abordé en 2013 à la Monnaie, et nous présente son rapport au répertoire français et sa vision du devoir social dont dispose la représentation d’opéra aujourd’hui.

Comment vivez-vous cette reprise de rôle ?

Très bien ! Je n’ai pas chanté le rôle depuis cinq ans, j’ai eu le temps de l’oublier et c’est un avantage finalement, j’arrive avec un esprit frais et libre. Évidemment, en relisant le rôle, des souvenirs assez forts me revenaient car la production d’Olivier Py était puissante. Sur ce nouvel Hamlet, on se situe dans un autre registre de travail et d’approche. Il n’est pas difficile de se détacher des travaux réalisés les années passées sur cet ouvrage.

En quoi la mise en scène d’Olivier Py était-elle puissante ?

Olivier Py a une signature qui est particulièrement marquée. Sa façon de traiter le théâtre est presque sur-jouée, mais juste à la fois. Il pousse les choses toujours très loin, autant dans la construction du spectacle que dans les recherches effectuées sur les personnages. Le travail de Cyril Teste est un mélange de théâtre et de cinéma, amenant forcément un aspect plus contemporain, moins distancié mais tout aussi fort et intelligent dans le traitement du théâtre dans le théâtre par exemple, qui est un élément fondamental de Hamlet aussi bien au théâtre qu’à l’opéra.

Connaissez-vous bien l’œuvre de Shakespeare ?

Oui, je l’ai vue de très nombreuses fois au théâtre. Barbier et Carré ont un peu remodelé la pièce. Ils ne l’ont pas modifiée, mais ils ont changé des scènes de place ou condensé certaines en une seule. A l’origine, la pièce finit sur le duel entre Laërte et Hamlet. Ici, elle finit au cimetière, scène qui se situe en amont dans l’œuvre de Shakespeare. Autre exemple, le spectre qui intervient au cinquième acte de l’opéra alors qu’il ne revient pas dans la pièce. D’autre part, il y a des traits du caractère d’Hamlet qui sont absents dans l’opéra. A l’origine, il a une ironie très marquée, un certain humour, et il dispose d’un sixième sens qui lui permet de deviner les situations à l’avance. Il est capable de sentir la manipulation. Il peut la démonter, ou la retourner contre les manipulateurs. Ces traits sont peu présents dans l’opéra. Cela peut s’expliquer par le fait que dans l’opéra, on a l’obligation d’aller directement au but, parce que si on écrivait un opéra sur la pièce telle qu’elle est, cela serait interminable. Et puis la musique prend en charge beaucoup de choses. 

La musique d’Ambroise Thomas donne-t-elle, selon vous, véritablement sens à l’œuvre de Shakespeare et au livret de Barbier et Carré ? 

Oui complètement ! Ambroise Thomas exploite à fond les codes de la musique romantique, mais va au delà d’un certain académisme. La scène de l’invocation, la première fois qu’Hamlet rencontre le spectre du Roi, est glaçante ! Ce moment est presque cinématographique. L’utilisation des silences est assez rare. Même chez ses contemporains comme Verdi, on n’utilise pas le silence de cette manière. Et c’est extrêmement fort, cela donne une puissance théâtrale particulière à cette musique. C’est quelque chose d’inhabituel pour cette époque, qui permet de se rapprocher de la pièce originale. Il est le premier à utiliser le saxophone dans l’orchestre et même à lui donner un solo dans le deuxième acte, il fallait oser ! La pièce est passée par de nombreux filtres entre le moment où elle a été créée et le moment où 250 ans après, elle a été donnée à l’opéra. Alexandre Dumas l’a remise au goût du jour, Barbier et Carré l’ont modelée à la mode de ce qui se faisait à l’opéra à cette époque. Mais sa trame centrale reste bien dessinée et on sent que Shakespeare n’est pas loin.

Aviez-vous déjà une idée du travail de Cyril Teste ? 

Oui ! J’avais vu son Festen l’an passé au théâtre de l’Odéon. Le film avait déjà été une claque il y a vingt ans et sa pièce l’est aussi. La fidélité de son travail au film était marquante et la virtuosité qu’il a avec le jeu de la caméra et le son, m’avait vraiment impressionnée. Tout était très travaillé dans son approche et j’ai le même sentiment ici dans son Hamlet. Rien n’est laissé au hasard et rien ne tombe dans une impasse. Il trouvera toujours des solutions, quitte à revenir en arrière pour trouver quelque chose de nouveau. 

Cela lui arrive-t-il de revenir sur ses propositions ? 

Bien sûr. A l’heure actuelle, cela fait trois semaines qu’on est dans un travail d’essai, de mises en place. Il a une idée précise de ce qu’il veut, il connaît parfaitement les lignes de dessin de sa mise en scène. Mais naturellement, quand on met l’imagination au contact de la réalité, il y a des choses qui doivent s’adapter parce qu’il arrive qu’on parte dans des schémas qui, dans les faits, sont irréalisables. 

Est-ce un metteur en scène qui travaille en collaboration avec les artistes ? 

Absolument. Il nous demande beaucoup, mais il a aussi conscience que nous chanteurs, nous sommes sur un autre registre de travail, différent de celui des acteurs. La musique et le chant prennent tellement de choses en charge qu’on n’a pas besoin de cette recherche spontanée que demande son travail. Mais en soi, avec lui, on est beaucoup dans l’échange, et c’est assez passionnant ! C’est encore un autre registre et une autre approche qu’Olivier Py qui, finalement, était moins dans la recherche de la psychologie juste. 


Répétition d’Hamlet | Stéphane Degout (Hamlet) et Sabine Devieilhe (Ophélie)  © Stéfan Brion

Votre approche du rôle a donc nécessairement évolué. 

En effet ! On a, dans le travail de Cyril Teste, trouvé un Hamlet qui est en total effondrement intérieur. Il est détruit, même si la vengeance est bien accomplie à la fin de l’œuvre. On travaille particulièrement sur ce point, et cela demande beaucoup d’énergie. D’ailleurs, je pense qu’à la fin de la production, ma fatigue sera plus psychique que physique.

Au regard des autres grands rôles du répertoire, Hamlet est-il, d’après vous, un personnage complexe ? 

Complètement, et on n’en vient pas à bout en une ou trois productions. D’ailleurs, je pense qu’en définitive, on ne vient jamais à bout de ce type de personnage. Toutes les approches d’interprétation sont bonnes à prendre, sauf qu’on ne peut pas toutes les essayer dans une unique mise en scène.

N’est-ce pas le cas de tous les opéras ? 

Non. Ce qui fait la richesse d’Hamlet, avec d’autres personnages comme le Comte dans Les Noces de Figaro ou encore, Golaud dans Pelléas et Mélisande, Wozzeck, c’est que ce sont des personnages issus de la littérature. Ils n’ont pas été inventés pour l’opéra. De fait, ils sont beaucoup plus riches et développés. Même le Comte dans Le Mariage de Figaro de Beaumarchais a une autre épaisseur que dans Les Noces. En étant transposés pour l’opéra, ces personnages sont déjà chargés de sens.

Certains rôles peuvent donc être traités en une unique production.

Oui ! Certains sont très marqués, et ne permettent pas de nombreuses approches. Je pense notamment à Papageno, Guglielmo. Ces rôles n’ont, à mon sens, pas eu de traitement très poussé, que cela soit sur le plan du jeu, ou sur le plan musical et vocal.

La musique d’Ambroise Thomas est-elle compliquée vocalement ? 

Non, car comme je le disais, c’est très académique. Il a respecté la tessiture du baryton, et il n’y a pas vraiment de virtuosité (il la réserve à Ophélie !). Certes il y a des aigus, des graves et la ligne demande un vrai chant. Mais on n’a pas vraiment d’appréhension vocale d’autant qu’en cinq ans, j’ai gagné en confort dans ce type d’écriture.

Que retenez-vous de votre expérience en troupe ? 

Je suis resté trois ans à l’Opéra de Lyon, la première année à l’opéra-studio et les deux années suivantes dans la troupe, qui n’existe plus aujourd’hui. Ce qui était marquant c’était le confort de travail dont on disposait. Nous étions à l’année, dans le même théâtre, très encadrés, et très aidés par le chef de chant pour appendre des rôles plusieurs mois en avance, et ça c’était un luxe incroyable. Quand je suis sorti de la troupe et que j’ai commencé à avoir des engagements ponctuels dans différents théâtres, j’ai compris ce qui me manquait : cette structure et le fait de pouvoir travailler de façon confortable. C’est vraiment formateur comme expérience.

Un chanteur devrait passer par la troupe pour développer son parcours…

… oui, en tout cas pour le commencer. C’est vraiment dommage que cela n’existe plus.

On en trouve encore quelques-unes dans les théâtres en Allemagne.

Tout à fait, mais les théâtres de répertoire proposent encore un autre modèle d’apprentissage. On y enchaine les productions, on chante cinq fois par semaine des rôles très différents et cela peut être très fatiguant.

Le récital est-il toujours quelque chose d’important pour vous ? 

Oui et il le restera ! J’ai vraiment commencé ma carrière par ce répertoire, notamment dès mon entrée au conservatoire et ma rencontre avec Ruben Lifschitz. La découverte de cette musique m’a permis de me rendre compte à quel point il était important de la mettre en regard du répertoire de l’opéra. Étant français, ayant étudié et vivant en France, c’était essentiel de passer par la mélodie française et ça l’est toujours. Après, le public de la musique de chambre est un peu spécifique. C’est souvent un public constitué de connaisseurs. Sur le plan artistique, c’est une littérature très différente, celle de la poésie. Quand on attaque ce répertoire et qu’on travaille cette poésie, on se rend compte à quel point la langue est riche et à quel point il faut bien la traiter. En travaillant la mélodie, on acquiert des réflexes de travail propres à l’utilisation de la langue française, et on prend conscience qu’on ne peut pas ne pas avoir ce souci du mot, au-delà du sens qu’il porte. Je suis convaincu que si je n’avais pas fait de mélodie française, je n’aurais jamais fait Pelléas par exemple. 

Mais Debussy avait un goût particulièrement prononcé pour la poésie et Pelléas et Mélisande en est un témoin.

Oui c’est vrai, et il a eu la même attitude face à la pièce que face à la poésie ! Mais pour citer un autre exemple, si je n’avais pas fait de mélodies françaises, je n’aurais peut-être pas chanté Valentin ou Mercutio, rôles qui restent très inscrits dans l’opéra romantique. Cela dit, j’ai travaillé Valentin il y a quelques mois et il est vrai que ce n’est pas tout à fait la même chose, en matière de traitement de la langue. On y fait attention mais Debussy est vraiment allé très loin sur ce point, comme Fauré ou Ravel. La prosodie est vraiment ciselée avec ces compositeurs. Pour les autres, cela fonctionne aussi, mais il n’y a pas autant de recherche.

Pelléas, Hamlet, Valentin, Oreste, etc. vous êtes marqué par le répertoire français. Est-ce la résultante de propositions faites, ou une volonté de votre part ? 

Un peu les deux. On m’a souvent proposé de chanter du répertoire français et il se trouve que je m’y sens très bien. On dit aussi que j’ai une voix française, ce qui est assez logique… Pendant huit ans, j’ai été « LE » Pelléas français et cela a forcément été une référence en matière de répertoire. Cela étant, j’ai aussi pas mal abordé le répertoire baroque français. Le souci de la langue y est tout aussi important. D’ailleurs Debussy admirait beaucoup le travail de Rameau, justement pour cette écriture du chant qui était très proche de la déclamation. Le parlé et le chanté sont très proches chez Rameau, et chez Debussy aussi. Dans le répertoire du XIXe siècle, on est plus dans une recherche de la ligne de chant, et l’écriture vocale est très recherchée, parfois au détriment de la langue, comme dans le bel canto. On a essayé de faire du bel canto français, mais à mon goût, cela ne marche pas toujours. 

Carmen, Faust, sont pourtant les plus joués au monde…

… oui et ce n’est pas un hasard non plus ! Mais ce n’est pas via ces opéras qu’on va aller chercher la recherche poétique d’un livret. 

Quels rôles aimeriez-vous aborder ? 

Dans le répertoire français, il y a Golaud que je vais bientôt chanter. J’y fais attention, même si je l’ai beaucoup côtoyé. Ayant été Pelléas pendant huit ans, j’ai un rapport un peu spécifique avec ce rôle puisque j’ai toujours eu, face à moi, des Golaud plus sombres, portés par de véritables barytons-basses tels que Laurent Naouri. Ils apportent une autre dimension vocale au rôle, dimension que je ne pourrais jamais apporter. Mais le souci du mot, le travail de peintre, de coloriste de Debussy est le même que pour Pelléas, avec en plus une dimension théâtrale et dramatique.

Et hormis le répertoire français ? 

J’ai abordé le répertoire italien mais de façon ambiguë. J’ai chanté certains rôles de la série Da Ponte, mais Mozart reste, avant tout, un compositeur autrichien. Et puis mon premier Verdi, je l’ai chanté en français ! C’était à Lyon en mars dernier, Rodrigue mais dans un Don Carlos. Finalement qu’est-ce qui est italien, qu’est-ce qui ne l’est pas ? Je vais aller voir du côté russe, notamment des rôles comme Yeletsky dans La Dame de Pique, et Onéguine aussi. D’autre part, cela fait très longtemps que j’ai envie de toucher à Wozzeck et il se trouve qu’il y a un projet qui a pointé son nez. J’ai étudié la pièce quand j’étais au lycée et la première fois que j’ai entendu et vu l’opéra, je me disais que ce n’était pas un rôle pour moi. Quand je l’ai entendu à Bastille en 2008, avec Simon Keenlyside, j’ai eu un déclic et finalement je me suis dit que c’était possible. D’ailleurs, on a un peu les mêmes parcours lui et moi, même si je n’irai pas autant vers les ouvrages de Verdi. Mais malgré tout, je me suis dit que s’il faisait Wozzeck, alors je pouvais peut-être y songer. J’avais l’habitude d’entendre, dans ce rôle, des voix très puissantes, un peu âpres. Et finalement, j’ai constaté que c’était un rôle très écrit, ce n’est pas simplement du Sprechgesang.

Il fait partie des chanteurs que vous avez suivis ? 

Oui, comme Thomas Hampson, ou des chanteurs aujourd’hui disparus, Camille Mauranne, Michel Dens, Charles Panzerra mais ils sont vraiment issus d’une autre époque où on ne chantait pas de la même façon, et on appréhendait les rôles de manière assez différente. Les standards ont changé.

Accordez-vous de l’importance à l’avis d’autrui, que cela soit le public, les lyricomanes, vos mentors, etc. ? 

Oui bien sûr, et notamment à ceux de Ruben Lifschitz qui avait une oreille très aiguisée, même pour l’opéra. Je me réfère aussi à mon professeur de chant et aux échanges avec les chefs d’orchestres, les directeurs d’opéra.

Les avis et les propositions des directeurs d’opéra, qui vous recrutent, vous sont-ils importants ? 

Cela dépend, mais quoiqu’il en soit, ils amènent toujours des éléments de réflexion. Quand un directeur d’opéra me propose un nouveau rôle qui n’est pas dans mon répertoire, cela apporte de nouvelles interrogations : « pourquoi pense-t-il à moi ? ».  Cela n’aboutit pas forcément à une réponse positive de ma part mais au moins, cela nourri la réflexion. Il y a quelques directeurs en qui j’ai vraiment confiance parce que j’ai une histoire avec leur maison. Je pense notamment à la Monnaie et Peter de Caluwe. C’est un directeur qui prend des risques, qui les fait prendre aussi à ses artistes mais de façon très mesurée et réfléchie. 

Quand on vous propose des rôles qui n’étaient pas nécessairement prévus dans votre plan de carrière, notamment sur le plan de la voix, comment arbitrez-vous ? 

Il y a vraiment plein de paramètres qui rentre en compte dans ce type de situation. C’est difficile de choisir, et c’est surtout difficile de savoir si la voix permettra d’aborder lesdits rôles en temps voulu. Typiquement, Golaud c’est vraiment un rôle qui m’attire énormément. Mais je sais que, selon les circonstances dans lesquelles je serai amené à le faire, le lieu, la mise en scène, le chef, cela peut m’être interdit. Il faut trouver un équilibre et ce n’est pas toujours évident. Cela demande des réflexions, qui sont à la fois nécessaires et passionnantes.

Cela vous est-il arrivé de regretter d’avoir signé pour un rôle ? 

Rarement. Il y a deux moments où je me suis dit « non je n’ai pas eu un bon souvenir la première fois, donc je n’ai pas envie d’essayer de nouveau ». Et puis, par exemple, Don Giovanni fait partie de ces rôles qui souffrent de leur image d’Épinal de « latin lover ». On y fait presque toujours la même chose. Et Eisenstein dans La Chauve-souris : le rôle est plaisant, la pièce drôle mais je me suis senti assez loin de l’écriture vocale. Par contre, décider de ne plus chanter Pelléas il y a deux ans et demi, ce n’était pas un caprice. Il s’agissait d’une vraie décision mûrie.

En 2012, vous disiez déjà à la rédaction de Forum Opera que vous ne chanteriez plus Pelléas

Oui en effet, je pensais surtout, à juste titre, que ce n’est pas un rôle qu’on chante jusqu’à 50 ans. Un an et demi avant le Pelléas d’Aix, je sentais que tôt ou tard, je devrais l’arrêter parce que ma voix changeait déjà. Aujourd’hui, je sens que j’ai pris la bonne décision, réfléchie et surtout, que je l’ai prise au bon moment puisque cette année-là Rodrigue arrivait. Je prenais conscience que je ne pourrais pas garder Pelléas à mon répertoire si je voulais aborder des rôles comme Rodrigue, Golaud ou Onéguine.

Pour quelles raisons ? 

Parce que cela demande une respiration et une approche qui sont très différentes et puis l’évolution normale de ma voix m’en éloignait.

Rodrigue et Onéguine sont des rôles un peu plus corsés…

… oui et justement, garder la légèreté que demande Pelléas devenait compliqué. Je ne pouvais pas faire le grand écart qui se trouve entre un Pelléas très léger, et ces rôles qui demandent un investissement physique et vocal plus importants. 

En matière de prises de rôle simultanées, comment se passe le travail sur Les Troyens à Bastille ? 

On a commencé il y a deux semaines. La première semaine de répétitions était un peu particulière parce que j’étais le matin à Bastille, et l’après-midi au Comique. A l’heure actuelle, Hamlet prend toute la place, et j’aurai bien du mal à travailler sur Les Troyens avant janvier. Cela étant, c’est prévu de cette façon, les maisons s’étant mises d’accord.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur cette production ?

C’est une sacrée production, un opéra-péplum. Ici on est dans la mythologie, donc ce sont encore des choses monstrueuses, où on ne comprend pas toujours qui est qui, du moins, il faut nous l’expliquer en permanence (rires). L’action se passe pendant la guerre de Troie. Même si cela appartient à la mythologie grecque, cela reste quelque chose qu’on connaît tous plus ou moins puisqu’on a notamment cette image d’Épinal du cheval de Troie. Et à l’intérieur de ça, il y a beaucoup de personnages dont le mien, Chorèbe, qui, bien qu’étant relativement peu présent sur scène, reste très important dans le fonctionnement de l’histoire. Berlioz a aussi un traitement de la voix extraordinaire qui, a mon sens, est à part du reste du répertoire du XIXe siècle. D’ailleurs, beaucoup de chanteurs le disent. A titre d’exemple, pour les ténors, et les voix aiguës d’une façon générale, c’est monstrueux. Je ne sais pas comment fait notre Enée car c’est extrêmement sportif. Berlioz demande une endurance incroyable aux rôles principaux : Enée, Cassandre et Didon. Mais je suis préservé cette fois !

Encore une fois !  

Oui le rôle est très bien écrit pour ma voix. J’ai vraiment de la chance ! (rires).

Vous avez un parcours particulièrement complet dans la mesure où vous êtes passé par le conservatoire, l’opéra-studio, la troupe, de très belles maisons, etc. Vous abordez également beaucoup de répertoire – opéra, lied/mélodie, oratorio –, vous faites du disque. En somme, vous feriez, sur le papier, un professeur de chant parfait. Est-ce quelque chose qui vous intéresserait ?  

J’ai commencé à enseigner l’été dernier dans le cadre des académies du festival d’Aix-en-Provence et de Orsay-Royaumont. Je n’étais pas un professeur de chant. Il s’agissait d’aborder un répertoire précis avec les participants, celui de la mélodie française. Dans le cadre des académies, ce n’est pas un enseignement à proprement parlé qu’on demande, puisqu’on est vraiment dans l’échange avec les participants. J’étais surtout une oreille attentive à leur interprétation, et vigilante aux caractéristiques de ce répertoire : langue, ponctuation, musique, etc.   

Et suite à cette expérience, diriez-vous que la transmission est quelque chose qui vous plait ?

Oui et je pense que c’est le bon moment, ayant suffisamment de recul et d’expérience avec ces vingt années de carrière. Mais je ne pourrais pas être professeur dans un conservatoire ou un opéra-studio, encore moins à l’heure actuelle puisque je suis en pleine carrière. Enseigner le chant, et la technique vocale plus précisément, demande du temps et du suivi. Je connais trop de cas de jeunes chanteurs qui se plaignent de l’absence de leurs professeurs. Ce n’est pas responsable et honnête de leur part, c’est un enseignement qui est en vérité une sacrée responsabilité.

Au côté de vos activités de chanteur, avez-vous des choses qui vous tiennent à cœur ?  

Je ne suis un pas militant dans l’âme mais en effet, il y a des questions de société, qui me touchent. En 2012, j’étais assez choqué de la tournure que prenait les débats autour du mariage pour tous. Je m’étais exprimé à ce sujet et par la suite, on m’a mis une casquette de militant sur la tête, chose que je n’ai pas vraiment appréciée. Depuis quelques temps, tout ce qui se passe avec les migrants sont des phénomènes qui, encore une fois, me laissent sans voix. D’ailleurs, je suis plus agacé par mon impuissance vis-à-vis de cette situation que par le fait en lui-même. Certes ce n’est que de la politique, mais la société civile, que nous représentons, doit faire quelque chose. Je pense qu’à ce jour, on n’en fait pas assez et c’est quelque chose qui me questionne beaucoup. J’ai rencontré à Aix une jeune syrienne arrivée en France avant les flux migratoires qu’on accuse aujourd’hui de tous les maux. Quand elle en parlait, on sentait que la blessure était encore ouverte et très profonde, même si elle et sa famille étaient plus chanceuses. On ne peut pas rester froid vis-à-vis de ces situations car on a forcément, dans notre entourage, quelqu’un qui connaît quelqu’un qui est touché directement par ces sujets. Et l’été dernier, le festival d’Aix avait organisé une soirée au profit de SOS-Méditerranée. On a rencontré les marins de l’Aquarius qui sont venus parler de leur expérience au public dans le cadre d’un concert. Quelle claque on a pu prendre ! Quand on voit ces faits derrières nos écrans, vraiment, on ne se rend pas compte de la réalité des choses. Mais quand on a un marin qui vient nous expliquer de vive voix qu’il ramasse des corps morts qui flottent à la surface de l’eau, cela amène vraiment à réfléchir.

L’opéra a, d’après vous, toujours une véritable carte à jouer sur ces problématiques de société…

… oui bien sûr ! Et je pense que l’attitude du festival d’Aix-en-Provence, et spécifiquement de Bernard Foccroulle lors de ses années à la tête de l’institution, est très forte symboliquement. Cette création de ce réseau autour de la Méditerranée qui a amené à mélanger différents types de musique, la musique classique européenne et la musique nord-africaine, a abouti à un opéra l’été dernier, Orfeo & Majnun. C’est une action vraiment belle, et lourde de sens en matière d’ouverture à l’autre. Et l’année d’avant encore, il y a eu une création d’opéra en langue arabe. On n’avait jamais entendu ça de notre vie auparavant ! 

Dans son ouvrage, Faire vivre l’opéra, Bernard Foccroulle avance justement que « la relation à la Méditerranée est d’une urgence criante », notamment en matière de politique d’ouverture. 

Et aujourd’hui encore plus, puisqu’il y a vraiment toutes ces problématiques de migrations. Pour Bernard Foccroulle, il fallait que le festival, qui jouit d’une visibilité particulière, évoque et parle de ces sujets. C’est un directeur qui a un regard très pointu sur ces questions d’ordre social et géopolitique. Ses programmations ne sont jamais innocentes par rapport à ça. Je suis convaincu que les directeurs de ces institutions ont un rôle à jouer sur ces problématiques. A l’opéra, on ne peut pas être uniquement dans le divertissement. Le théâtre, dans notre société aujourd’hui, peut être un véritable instrument politique. Cela était déjà le cas à l’époque de Shakespeare. Si les comédiens étaient excommuniés jusqu’à la révolution française, ce n’est pas un hasard. Le théâtre est encore une force dont les politiques peuvent se méfier puisque la scène est un outil pour faire entendre une vérité. De fait, il arrive que cela puisse faire grincer. L’attitude qu’avait Olivier Py et qu’a aussi aujourd’hui Cyril Teste avec Hamlet en sont de très belles démonstrations. 

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