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Moi je crois au père Joël

Divine surprise : Nicolas Joël nommé à l’Opéra de Paris. Petite déception : un article sanglant sur celui qu’on donnait gagnant – Monsieur Bayle – qui ne verra pas le jour. Il est des circonstances où il faut savoir rengainer le sabre, même si l’on avait passé quelques veillées à en affûter le tranchant.

Divine surprise, qui nous dissuade d’entrer dans les considérations politiciennes dont s’entourent généralement ces nominations. On ne veut pas savoir de qui Monsieur Joël était le candidat, de qui il a triomphé et comment et pourquoi. De toutes façons, on n’en sait rien. C’est très compliqué. En plus, on s’en moque. Il est nommé. Belle décision, bravo à tous et merci.

Nicolas Joël est metteur en scène. De ceux dont le travail ne fait pas couler l’encre pâle des théoriciens. Dont le mérite n’est pas de proposer des relectures, qui sont bien souvent des non-lectures. De ceux plutôt à qui l’oreille sert d’œil. Ils sont rares. S’il y a parfois quelque chose d’un peu « à l’ancienne » dans les mises en scène de Nicolas Joël, c’est tout simplement parce qu’il respecte des œuvres qui ne sont pas d’hier et dont la musique même dicte une certaine conception de l’espace, une forme particulière de posture physique, un poids du geste théâtral un peu démodé par l’à-la-va-comme-je-te-pousse du boulevardisme post-brechtien et de la vulgarité tragi-comique des zélateurs d’un opéra revu et  corrigé façon Josiane Balasko (y aura-t-il un jour un « post-balaskisme » ?).

Dans tel Don Carlo récent à Toulouse, Nicolas Joël osait le statisme des ensembles, l’intensité simple d’un geste posé et calculé, l’électricité des regards aux dépens des gesticulations. En sortait un hiératisme proprement tragique, qui est le fond de Don Carlo, jusqu’à cette espèce d’explosion finale (la catastrophe, disait Aristote) qui aura rarement revêtu une aussi évidente puissance. Si les plus grands théâtres du monde réclament Nicolas Joël, c’est parce que les chanteurs se sentent non pas seulement dirigés, mais compris et justifiés dans cette manière de faire. Ils ne sont pas la dernière roue de la charrette à patates. Ils ne sont pas ces ânes enchaînés à la meule pour faire tourner le moulin à eau (tiède).

Certes, Nicolas Joël ne s’est pas aventuré sur les terres austères de la modernité la plus avancée (qui lui en voudrait ?). Mais il a donné à Janacek, par exemple, sa lisibilité et sa profondeur dans une marquante Jenufa. Et il a su renouveler ses propres lectures du Ring, par quatre fois.

Il l’a dit, il renoncera le temps de son mandat à ses activités de mise en scène. C’est que Nicolas Joël est aussi directeur artistique. On a lu ici et là qu’enfin la Grande Maison renouait avec un certain sens de la tradition d’opéra. C’est juste. Et même avec un certain conservatisme de bon aloi. C’est faux. A Toulouse, il a su faire renaître un répertoire négligé, notamment français (Ambroise Thomas !). Il a donné sa chance à Marthaler et à d’autres trublions, certes bien tenus en lisière. Du Capitole il a fait l’antichambre de la « grande carrière », offrant des rôles marquants à des artistes prometteurs – Alagna, Massis, Tézier, Uria-Monzon… Ne faisait-on pas le voyage de Toulouse pour voir précisément ce qu’on ne voyait pas ailleurs ? Non pas pour être provoqués, gênés, agressés, mais pour être, pour ainsi dire, cueillis ? Oui, il y a, il y avait, à Toulouse, des concessions parfois excessives au décorum – mais une simple comparaison avec la grandiloquence visuelle du Met suffit à faire passer Toulouse pour le comble de l’épure.

Pourquoi ne pas l’avouer ? La nomination de Nicolas Joël ne nous satisfait pas seulement : elle nous rassure. Sur le fait que l’Opéra de Paris ne servira plus de tréteaux à des numéros de foire savamment médiatisés. Que bien des chanteurs vont obtenir une chance de se faire entendre sans avoir à se mettre une plume dans le derrière ou à se rouler par terre en bavant. Qu’un directeur musical va pouvoir donner cohérence et substance à la vie de l’orchestre. Que le public ne viendra plus pour « y être », mais pour voir et écouter. Que la création contemporaine trouvera face à elle l’exigence d’un connaisseur, non la rouerie d’un faiseur de coups.

De cela nous sommes sûrs. Cela suffit à faire notre Noël. Pour le reste, nous verrons sur pièces.

Dis, père Joël, c’est encore loin 2009 ?

Sylvain Fort
Rédacteur en chef

 
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