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11 novembre 1925 : Janáček avant Janáček

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11 novembre 2025
Il y a 100 ans, Janaček créait son premier opéra après les autres…

En 1887, alors qu’il écrit à Brno des critiques musicales pour une revue qu’il avait créée, les Feuilles musicales, et qu’il commençait à composer, Janáček pense de plus en plus à écrire un opéra. Une première occasion lui est donné par la lecture d’une pièce de l’auteur symboliste Julius Zeyer, Ctirad, elle-même tirée des grands mythes tchèques et notamment de Vysehrad, cette forteresse que Smetana, que Janáček admirait, avait magnifiée dans son cycle Ma Patrie. Janáček, après avoir consulté Dvořák, LA référence musicale tchèque après la mort de Smetana, obtient non sans mal de Zeyer l’autorisation d’adapter sa pièce, mais le poète refuse absolument que son nom soit associé à l’œuvre, jugeant modestement la musique « indigne de son poème ». Le compositeur fera donc le livret lui-même sans plus d’hésitation.

L’argument de l’oeuvre avait tout pour plaire au Janáček de 33 ans : Šárka (il retiendra ce nom pour le titre de l’ouvrage) est une guerrière farouche, qui attire le héros Ctirad dans une embuscade pour venger la trahison des femmes par les hommes. Mais, voilà, patatras, comme par hasard, elle en tombe surtout éperdument amoureuse et, lorsque ses compagnes massacrent finalement Ctirad elles-mêmes, Šárka se donne la mort.

Ce conflit entre passion et devoir, entre l’instinct et la fatalité, entre amour et nation, sera un des thèmes récurrents de l’œuvre dramatique de Janáček, annonçant Jenůfa, Káťa Kabanová et La Petite Renarde rusée.

Mais en 1887-1888, dates de la composition de la partition, on n’en est pas là. Janáček a surtout Smetana et Wagner en tête et son approche de l’orchestration reste nettement romantique. On ne fait que deviner ce qui va devenir sa marque de fabrique, si unique dans l’histoire de l’art lyrique : un sens aigu et même inédit du rythme et des caractéristiques de la langue tchèque pour concevoir les mélodies, une énergie presque étourdissante, de la vivacité et de l’éclat. Et puis cet art de dresser le portrait saisissant et sincère de femmes au destin tragique, mais à la dignité poignante et à la force émotionnelle exceptionnelle.

Une fois sa partition achevée, Janáček pensait faire représenter Šárka à Prague, mais il ne parvient pas à trouver de scène ni de soutien officiel et même celui de son mentor Dvořák, qui lui donne des conseils musicaux, ne parvient pas à l’aider. Janáček n’obtient pas davantage le soutien de l’opéra de sa ville, Brno, pourtant érigé à peine quelques années auparavant. Le projet reste dans les tiroirs du compositeur, qui révise son travail l’année suivante, puis l’abandonne pour de bon.

Pendant près de quarante ans, Šárka demeure inédite, bien que son auteur ne l’ait ni reniée ni détruite (même s’il le croyait lui-même). Ce n’est qu’après le triomphe de Jenůfa que Janáček acquiert une notoriété suffisante pour ressortir des oeuvres plus anciennes. En 1918, il retrouve Šárka au fond d’un vieux coffre et la révise profondément sur le plan orchestral. Iil demande ensuite à son élève et ami Osvald Chlubna d’achever l’orchestration, ce que ce dernier réalise en 1925, sous la supervision du compositeur, qui est au soir de sa vie.

La création mondiale a lieu voici juste 100 ans au Théâtre national de Brno, sous la direction de František Neumann. Janáček, alors âgé de 71 ans, assista à cette résurrection tardive de sa première héroïne.

La critique accueille Šárka avec bienveillance, mais sans enthousiasme. Malgré la profonde révision de 1918, on ne voit dans cette oeuvre qu’une réalisation de jeunesse, une chrysalide avant l’éclosion. Un « Janáček avant Janáček ».

Dès lors, force est de reconnaître que l’opéra, qui ne dure qu’une petite heure, reste rarement joué encore aujourd’hui mais il n’a sans doute pas dit son dernier mot ! En tout cas, pour le défendre, on pouvait compter sur l’un des plus grands interprètes de Janáček, sir Charles Mackerras !

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