« Je le tiens pour l’un des plus doués de mes collègues ». On le sait, Verdi n’était pas toujours tendre pour ses contemporains. Mais son commentaire respectueux pour Johann Strauss junior montre bien dans quelle estime le roi de la valse était généralement considéré. Et on sait bien que le très austère Brahms lui portait une amitié sincère et de l’admiration, illustrée par cette dédicace ironique mais révélatrice à propos du Beau Danube bleu : « Malheureusement pas de Brahms ». Ceux qui considèrent que le compositeur de polkas, de valses et autres galops ou encore d’opérettes pétillantes et légères était un compositeur secondaire en seront pour leurs frais. Car comme le disait également Brahms, Strauss fils peint en musique le mouvement de Vienne. Johann II est en effet parfaitement en phase avec son époque et il a beaucoup travaillé pour ça.

Fils du compositeur, lui-même très en vue, Johann Strauss (qu’on ne connaît plus guère aujourd’hui que pour la fameuse marche de Radetzki), Johann Strauss fils est né à Vienne voici tout juste deux siècles. Son père n’a rien d’un papa gâteau. Et pour commencer, il ne veut pas que son fils suive ses pas et il lui interdit de faire de la musique. Voilà le jeune homme orienté vers une carrière dans la banque et les finances. Mais il apprend en secret à jouer du violon et pas avec n’importe qui : c’est Franz Amon, premier violon dans l’orchestre de Johann Strauss père, qui lui donne les cours, avec d’autres musiciens très renommés à Vienne.

Strauss fils a 19 ans lorsqu’il se lance à son tour dans la création d’un orchestre qui joue dans un restaurant et se pose rapidement en principal concurrent de son père. Le jeune homme s’affirme face à ce dernier, qui meurt en 1849. À 24 ans, voici le jeune Strauss patron des deux orchestres, qu’il fusionne. Dès lors, sa gloire ne cessera plus. Kappelmeister de la cour impériale en 1863, il compose quantités de danses pour les bals de la très haute société viennoise et se révèle un puits d’inspiration et de raffinement orchestral.
Il vient assez tard à l’opérette que, contrairement à une idée répandue, il n’a pas inventée (Franz von Suppé par exemple est son aîné de 6 ans et c’est lui qui a importé à Vienne le modèle offenbachien, très admiré par les Autrichiens). Strauss se décide parce qu’il ne veut pas manquer ce tournant. Après quelques déconvenues, il débute par un triomphe : La Chauve-Souris, créée en 1874 (voir notre article). Il écrira 15 opérettes au total et un seul opéra, Le Chevalier Pásmán.

Il meurt en 1899, auréolé d’un immense prestige. Sa disparition est un peu le symbole du début de la fin de la Vienne impériale, qui change alors radicalement dans sa vie artistique, alors que le mouvement de la sécession viennoise entame sa révolution. Mais Strauss fils symbolisera pour toujours la Vienne de François-Joseph et de Sissi et il n’est pas une oreille qui ne connaisse l’une de ses innombrables valses.
Pour lui rendre hommage, il fallait bien le meilleur. Voici donc Carlos Kleiber dans la fosse, pour l’ouverture de la Chauve-Souris, à Munich en 1987, deux ans avec le plus concert de l’histoire des Concerts du Nouvel An à Vienne.