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MASSENET, Hérodiade

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CD
26 juillet 2025
Sombre et rouge comme une grenade ouverte

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en quatre actes et sept tableaux
Musique de Jules Massenet
Livret de Paul Milliet et Henri Grémont, d’après Hérodias de Flaubert
Création à La Monnaie de Bruxelles le 19 décembre 1881

Détails

Hérode
Étienne Dupuis

Hérodiade
Clémentine Margaine

Salomé
Nicole Car

Jean
Matthew Polenzani

Phanuel
Marko Mimica

Vitellius
Dean Murphy

Un grand-prêtre
Kyle Miller

Une voix dans le Temple
Thomas Cilluffo

Une jeune Babylonienne
Sua Jo

Chœurs et Orchestre de la Deutsche Oper Berlin

 Chef de chœur
Jeremy Bines

Direction musicale
Enrique Mazzola

Naxos, 2 CD, 2h 39 min

Intégrale réalisée à partir de trois enregistrements live les 13, 15 et 18 juin 2023 au Deutsche Oper Berlin

Si l’on voit dans l’Hérodias de Flaubert la source littéraire probable du livret de Milliet et Grémont, l’opulence mordorée de la musique de Massenet dans Hérodiade nous évoque plutôt les mots de Mallarmé qui, entretenant un ami de son projet de poème sur l’Iduméenne, assure avoir eu pour principale inspiration le nom même « Hérodiade » : « ce mot sombre, et rouge comme une grenade ouverte » (à tel point que, dans son poème, Salomé est débaptisée et devient tout simplement Hérodiade). Comme on le sait, du reste, ce livret s’autorise aussi une réécriture assez vertigineuse du récit biblique : Salomé est une pieuse fille abandonnée qui s’enflamme d’amour autant pour le prophète que pour son dieu et qui, loin de réclamer la tête de Jean-Baptiste, se suicide sous les yeux de sa mère quand elle apprend que cette dernière a fait assassiner l’objet de ses soupirs.

Ce trop rare opéra avait été donné en version de concert en novembre 2022 à Lyon et à Paris, au TCE. Ces représentations s’inscrivaient dans un cycle d’opéras de Massenet sous l’égide du Palazzetto Bru-Zane. Si les autres opéras du cycle (Ariane, Werther et Grisélidis) ont donné lieu à un enregistrement au format précieux des livres-CD, Hérodiade a été, semble-t-il, laissée de côté. C’est ce trou que comble l’intégrale distribuée par Naxos ; un enregistrement doublement bienvenu si l’on songe que les dernières intégrales ont trente ans : Plasson pour EMI (Hampson, Denize, Studer, Heppner, van Dam) et Gergiev pour Sony (Pons, Zajick, Fleming, Domingo, Cox).

À l’écoute de cette ambitieuse intégrale, on doit commencer par dire le plaisir qu’on a eu d’entendre cette musique si peu jouée aujourd’hui, alors qu’elle regorge d’un mystère oriental qui ne cède pas à l’exotisme de pacotille et qu’elle fait valoir un orchestre riche, dramatique et inspiré, moderne aussi (qu’on pense au rôle dévolu au saxophone) et enfin parce que le génie mélodiste de Massenet s’illustre particulièrement dans cet opéra plutôt statique malgré ses dimensions. Les rôles principaux sont simplement meurtriers et s’il faut, paraît-il, les quatre meilleurs chanteurs du monde pour monter un Trouvère, il en faut ici cinq : baryton, ténor, basse, mezzo et soprano, tous devant assumer au moins un grand air, un duo de confrontation et deux grandes scènes d’ensemble. Avouez qu’il y a de quoi faire frémir tout amateur de décibels, et pâlir tout directeur de casting.

Enrique Mazzola à la tête de l’excellente phalange qu’est l’orchestre du Deutsche Oper de Berlin ne déçoit pas dans la veine monumentale. Chef en résidence à Bregenz, il a peut-être convoqué ici sa prédisposition au grandiose. Aidé par la magie de l’enregistrement, il peut déchaîner la masse orchestrale sans se soucier de couvrir les chanteurs et accorder une importance égale aux pupitres dont la transparence au CD apporte un confort d’écoute jouissif. Outre la fièvre magistrale de son prélude, retenons la sublime évocation du Temple dans l’interlude du troisième acte, qui prouve que le chef sait jouer des pleins et des déliés de l’écriture de Massenet. Les chœurs berlinois ne sont pas en reste, même si leur rôle n’est que de donner de la profondeur à la fresque qui se dessine sous nos yeux. Pas de morceaux de bravoure donc mais une homogénéité de son qui rend, entre autres, le chœur des esclaves d’Hérode au milieu du premier acte parfaitement envoûtant. On trouve même du charme au tonitruant « Romains, Romains, nous sommes Romains » du dernier acte, dont l’introduction a cappella est assumée ici avec bonheur.

La distribution relève l’essentiel du défi et ce n’est pas rien au vu des exigences démesurées de chacun des rôles. Étienne Dupuis et Nicole Car sont les seuls rescapés de la distribution parisienne de 2022 au TCE. Il aurait été dommage de ne pas graver leurs interprétations : Étienne Dupuis prête à Hérode son timbre clair et tranchant, son art du legato, sa prononciation parfaite. « Vision fugitive » est un bel exemple de contrastes, d’aigus rayonnants, de lignes douloureusement sensuelles. Plus encore peut-être, on apprécie son aisance prosodique dans les récits, servis par un jeu habité mais pas excessif. Il campe ainsi un Hérode concupiscent et en proie à un délire de puissance, qui réussit particulièrement bien la scène d’aveu à Salomé, avec le retour des « Salomé, Salomé » suavement distillés.

Nicole Car a pour elle un français d’une clarté stupéfiante et une longueur de souffle parfaitement adaptée aux phrases suspendues de son personnage. Vocalement, tout y est, aigus, pianissimi, legato, mediums charnus. On l’aime particulièrement quand elle pressent la fin funeste de Jean dans le deuxième tableau du troisième acte (« Charme des jours passés »), où elle trouve une fragilité inspirée doublée d’extase qui lui manque peut-être un peu dans les premiers actes. La complicité des deux chanteurs, couple à la ville, n’est sans doute pas pour rien dans la réussite de leur duo au troisième acte.

Clémentine Margaine impressionne par l’ampleur dramatique de sa voix qui convient à l’entrée fulminante d’Hérodiade (la Française y perd pourtant un peu la précision de la prononciation). Elle sait aussi se faire plus douce dans sa supplique à Hérode (« Ne me refusez pas ») et lorsqu’elle évoque sa fille perdue avec Phanuel. L’équilibre de la distribution permet un beau duo Hérodiade-Salomé avec Nicole Car, très attendu puisqu’il n’apparaît que dans les dernières minutes de l’opéra.

Le rôle de Jean est étrangement assez mal servi par le livret au regard de son importance dans l’histoire. Il a tout de même pour lui un splendide duo avec Salomé au premier acte et un morceau de bravoure au début de l’acte IV, vraie prière au Mont des Oliviers, deux passages qui lui permettent de fendre l’armure monotone et déclamatoire du prophète assuré de vivre éternellement à la droite du Père. Matthew Polenzani nous laisse un peu sur notre faim. Impossible de ne pas louer l’ampleur des moyens, l’excellence du français, l’art de la nuance et la maîtrise de l’aigu mais son Jean au vibrato trop large pâtit d’une émission mal assurée et d’un manque de ligne et de progression dramatique.

Le Phanuel de Marko Mimica est le seul vrai bémol de cette distribution. Le timbre exceptionnellement profond de la basse ne suffit pas à faire oublier un vibrato gênant et un chant pesant émis syllabe par syllabe qui sied peu à l’écriture vocale de Massenet ; on peine en outre à entendre la noblesse mystique du Chaldéen qui prévoit l’avenir avec un calme terrifiant.

Au bout compte, ce plateau vocal très équilibré (qui ressemble fort à un casting du MET), placé sous la baguette experte de Mazzola, donne lieu à une proposition aboutie et enthousiasmante qui pourrait, espérons-le, donner l’idée à des maisons françaises de proposer cet opéra qui a tout pour plaire. Après tout, on hésite moins à monter un autre enfant tardif du grand opéra, Aïda, qui est pourtant très proche d’Hérodiade dans son ampleur et son statisme, dans son intimité paradoxale et son gigantisme scénique.

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Musique de Jules Massenet
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Création à La Monnaie de Bruxelles le 19 décembre 1881

Détails

Hérode
Étienne Dupuis

Hérodiade
Clémentine Margaine

Salomé
Nicole Car

Jean
Matthew Polenzani

Phanuel
Marko Mimica

Vitellius
Dean Murphy

Un grand-prêtre
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Une voix dans le Temple
Thomas Cilluffo

Une jeune Babylonienne
Sua Jo

Chœurs et Orchestre de la Deutsche Oper Berlin

 Chef de chœur
Jeremy Bines

Direction musicale
Enrique Mazzola

Naxos, 2 CD, 2h 39 min

Intégrale réalisée à partir de trois enregistrements live les 13, 15 et 18 juin 2023 au Deutsche Oper Berlin

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