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HAENDEL, Alcina — Paris (Philharmonie)

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Spectacle
9 février 2023
Alcina symphonique

Note ForumOpera.com

2

Infos sur l’œuvre

Dramma per musica en trois actes
Musique de Georg Friedrich Haendel sur un livret anonyme
Créé à Coven Garden, Londres, le 16 avril 1735

Détails

Alcina
Magdalena Kožená

Ruggiero
Anna Bonitatibus

Morgana
Erin Morley

Bradamante
Elizabeth DeShong

Oronte
Valerio Contaldo

Oberto
Alois Mühlbacher

Melisso
Alex Rosen

Les Musiciens du Louvre
Direction musicale
Marc Minkowski

Philharmonie de Paris, mardi 7 février 2023, 20h

Alcina a beau être l’un des opéras les plus populaires et donc joué de son compositeur, il n’existe toujours aucune version discographique, ni même live radiophonique, faisant figure de référence incontestable : il y a toujours quelque chose qui fait que, non, ce n’est pas parfait. Alors quand Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre décident de s’y atteler de nouveau après leurs deux premiers essais viennois (dont une première avec Anja Harteros captée en DVD), les espoirs sont grands. Mais cela ne sera pas pour cette fois non plus, malgré de nombreuses réussites.

 

C’est d’abord du coté des rôles secondaires que le compte n’y est pas vraiment. A commencer par l’Oberto d’Alois Mühlbacher. Alors certes, on est déjà heureux que le rôle n’ait pas été coupé, car même s’il n’apporte rien à l’action principale, l’amour filial a toute sa place dans ce panorama de l’amour et du désir qu’est l’île de la magicienne ; certes également, on entend bien dans cette voix l’écho du créateur du rôle (un enfant), et c’était d’ailleurs lui qui chantait le rôle à Vienne en 2010, il avait alors 12 ans ! Aujourd’hui on entend surtout la verdeur du timbre que la qualité de la projection et de la prononciation ne suffisent pas à compenser. Le Melisso d’Alex Rosen ensuite est très élégant, mais manque de présence pour animer l’air le moins intéressant de la partition, il faut bien l’avouer. Pour Bradamante, on est d’abord très émoustillé par les graves somptueux, ronds et sonores d’Elizabeth DeShong, enfin un vrai contralto pour ce rôle. Malheureusement, c’est presque une autre chanteuse que l’on entend dans les vocalises rapides, la voix change subitement de registre, détimbre et tricote les croches mécaniquement. C’est son dernier air qu’elle réussit le mieux, alors que c’est traditionnellement celui laissé pour compte. Valerio Contaldo déçoit beaucoup en Oronte : lui dont nous admirions il y a quelques années la qualité de l’émission, nasalise ce soir à l’excès, et maltraite la ligne de chant dans ses deux premiers airs ; l’acteur est le plus vivant du plateau grâce à son inventivité dans les effets, il tire toutefois trop l’amant malheureux vers l’opéra bouffe, et il faut attendre son « Un momento di contento » pour enfin retrouver la noblesse d’accents et le cantabile racé attendus. En s’approchant des rôles principaux, on est guère convaincus non plus par la prestation d’Erin Morley : Morgana tout aussi bouffe que son mari dans les récitatifs, elle fait oublier qu’elle est sœur d’Alcina ; ses deux splendides airs concertants arrivent comme un cheveu sur la soupe dramatique, tant on peine à croire qu’une telle coquette puisse soudain faire preuve d’un sincère repentir (« Credete al mio dolore » pourtant son meilleur moment de la soirée) ou d’inquiétude amoureuse (« Ama, sospira » dont la cruelle ambiguïté et l’abandon rêveur lui échappent). Ses deux airs virtuoses du premier acte permettent néanmoins d’admirer une technique solide et un art certains de la vocalise qui lui valent un beau succès aux applaudissements.

 

Dans le rôle de primo uomo écrit pour Carestini, on échappe enfin à un contre-ténor soprano incapable de chanter la moitié du rôle. Le rôle arrive néanmoins un peu tard dans la carrière d’Anna Bonitatibus qui n’a plus la vaillance nécessaire pour traduire la superbe arrogance de ses deux premiers airs (elle semble presque apeurée dans « La bocca vaga » qui manque vraiment de suffisance). Heureusement la suite lui permet de reprendre le dessus : dans la mélancolie bien sûr, où elle reste suprême (« Mi lusinga un dolce affeto » très poétique et d’une puissante introversion, puis « Verdi prati » au mezzo voce caressant presque susurré) tout en signalant quelle technicienne hors-pair et fine actrice elle reste (belle messa di voce pour lancer « Qual portento » ; le fallacieux « Mio bel tesoro » et son jeu d’aparté). Reste « Sta nelle ircana » qu’elle aborde avec beaucoup d’intelligence : prenant le parti du livret en jouant la tigresse hésitante, toutes ses vocalises sont comme retenues à l’image de l’assaut du félin, et elle maintient la tension à grand renfort de coloratures retorses plutôt que de décibels éclatants ; c’est plus que malin, c’est très efficace, sa puissance se devine sans avoir à se montrer.

 

Alors qu’elle enregistrait « Ah mio cor » dans son très bel album Handel il y a 15 ans, il est étonnant que Magdalena Kožená n’aborde le rôle entier que maintenant car elle a énormément à y offrir, et pas uniquement dans les moments dramatiques où un certain raidissement de l’émission pourrait passer pour une illustration de la souffrance de la femme trahie. Dès « Di cor mio » on est heureux de trouver une voix toujours aussi bien projetée, capable de délicatesse, et pulpeuse dans la vocalise. C’est surtout la franchise de son interprétation qui impressionne : toutes ses phrases sont lancées avec un aplomb parfois téméraire quitte à parfois rater certains effets, voire étrangler quelques notes, la prestation est périlleuse mais oh combien excitante ! Sa première déploration est moins poseuse qu’à Versailles quelques semaines plus tôt, plus authentique, même si pas aussi confiante qu’elle pourrait l’être dans les da capo, sans doute trop concentrée encore sur l’exécution des variations. « Ombre pallide » est une vraie réussite : le récitatif qui précède est évidemment royal, et on est marqué par les différences d’intensité de l’émission, partagées avec l’orchestre et qui fait crier la magicienne plus fort à mesure que les ombres approchent puis s’éloignent. Et toujours ces graves superbement poitrinés et lancés (beau canto di sbalzo pour le dernier « Forza » de la partie B). Ce qu’il manque encore à cette Alcina très combative, c’est peut-être de la fragilité, notamment pour « Mi restano le lagrime » et le dernier trio, où la prudence l’a un peu emporté sur la lassitude désespérée.

 

Les vrais triomphateurs de la soirée, ce sont les Musiciens du Louvre et leur chef, plus symphoniques que jamais. Quel plaisir déjà d’entendre du Haendel joué par un effectif convenable (40 musiciens, dont 6 vents, 2 clavecins et 3 contrebasses – mises à contribution jusque dans l’imitation du surgissement d’un fauve), surtout lorsque, comme pour leur récent Ariodante, l’osmose est si frappante, le sens du rythme si affûté (« Semplicetto » le plus rapide que nous ayons entendu ; danses grisantes) et leurs solistes si excellents (Alice Piérot au premier violon et Gauthier Broutin au violoncelle). Les ritournelles sont tellement excitantes qu’on en souhaiterait presque qu’ils enregistrent une Alcina sans parole comme certains chefs l’ont fait avec le Ring de Wagner. Un tel torrent orchestral doit être canalisé, et Minkowski joue les Moïse à la perfection tant les eaux semblent s’ouvrir pour laisser entendre les chanteurs (placés derrière l’orchestre) avant d’emplir de nouveau la Philharmonie et noyer de plaisir tous les égyptiens consentants que nous sommes ce soir. Évidemment il faut aimer les contrastes et parfois avoir le cœur bien accroché, on est très loin d’une interprétation égalisée à l’anglaise. Le seul reproche que l’on trouve à faire concerne les variations pour les da capo (nous supposons qu’elles sont de la main du chef lui-même) : elles sont à la fois originales et complexes mais ne traduisent pour le moment pas d’évolution chez les personnages, les reprises sont variées mais n’apportent pas de nuances nouvelles dans l’expression de l’affect. Espérons qu’au fur et à mesure des représentations prévues (Bordeaux, Hambourg, Madrid, Barcelone et Valence), les interprètes les auront mieux intégrées et pourront y apporter tout le théâtre et le sens psychologique nécessaires.

 

 

 

 

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