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Ann Hallenberg dans les pas de Luigi Marchesi

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Interview
2 novembre 2015

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Dans l’univers délicat des serial killers, Ann Hallenberg serait qualifiée de copycat. Après s’être glissée dans les collants de Farinelli et après avoir essayé le bustier étriqué de Mademoiselle Marcolini, la voilà qui s’attaque au répertoire de Luigi Marchesi ; castrat de l’extrême fin d’un règne vocal, mais castrat qui fut la coqueluche de son époque et qui refusa de chanter pour Napoléon.

Autour du nom de chaque castrat il y a une légende, du mystère et beaucoup de souffre. Qui était ce Luigi Marchesi ?

Qui peut réellement dire qui il était ? Il est surtout célèbre pour avoir refusé de chanter devant Napoléon qui venait d’envahir l’Italie. Malheureusement, c’est la raison pour laquelle la postérité a retenu son nom. Et au-delà de ça, je pense qu’il est l’un des derniers grands castrats ; on a l’habitude de parler des castrats de l’ère baroque en oubliant tous ceux qui suivent, jusqu’au dix-neuvième siècle. Il appartient à ceux-ci. Finalement, les arguments musclés de l’armée française l’auront convaincu de bien vouloir chanter devant Napoléon.

Qui a réellement écrit pour les castrats au dix-neuvième siècle ?

On est à la fin du règne des castrats ; l’opération sur les jeunes garçons se fait toujours un peu, mais l’engouement massif du public est en train de s’épuiser. Des compositeurs comme Sarti, Myslivecek et Cherubini ont continué à écrire pour cette voix. Le fait que Rossini s’y soit très peu intéressé est intéressant et probablement emblématique de désir de voguer vers un genre nouveau. J’ai chanté énormément de Rossini et j’ai consacré un de mes premiers disques à Marietta Marcolini qui fut l’une de ses chanteuses préférées. Or il se trouve que Marcolini et Marchesi ont parfois chanté les mêmes rôles ; pas en même temps, évidemment, mais cela prouve que – lentement – les castrats ont été dépossédés de leur répertoire par les contraltos, puis par les ténors. C’est une période de grands changements. Lentement on accepte plus évidemment le sentiment et l’affect ; pour le chanteur, concrètement, il est de plus en plus question d’intégrer des soupirs et des pleurs à la ligne de chant, ces états qui étaient plutôt mal vus dans la musique plus ancienne. C’est l’amorce de ce qui sera plus tard le Sturm und drang.

Luigi Marchesi était un vrai showman, un artiste qui aimait se mettre en scène. Et je repense à votre tenue et à ce chapeau à plumes que vous portiez pendant votre tournée Farinelli. C’est quelque chose qui vous rapproche.

Peut-être, oui ! Souvenons nous que les castrats célèbres étaient d’immenses célébrités de leur époque qui soignaient leur image presque autant que leur jeu scénique. Cette tenue que vous évoquez m’avait semblée opportune pour un projet Farinelli et pourrait tout aussi bien servir au projet Marchesi.

Parlons un instant des chanteurs suédois, dont vous êtes. Ils ont tous une intonation parfaite, une technique à toute épreuve et une musicalité impressionnante. Dans quel moule êtes vous tous tombés ?

Vous n’êtes pas le premier à me le faire remarquer et j’avoue ne pas avoir de réponse. Certains y voient l’influence des chœurs, qui sont très nombreux en Suède et de nombreux suédois s’y essaient dès le plus jeune âge. Nous avons aussi une langue riche en voyelles qui nous fait effectivement sonner comme le Swedish chef du Muppet Show et que cela contribue à bien placer nos voix. Et puis on nous remarque parce qu’on s’exporte – il y a très peu d’opportunités pour chanter de l’opéra en Suède – c’est un grand pays, mais il n’y a jamais que neuf millions d’habitants.

Qu’est ce qui a constitué votre éducation musicale ?

C’est un vaste sujet. Il y a le côté factuel, de l’école, de l’enseignement suivi avec tel ou tel maître. Mais il y a aussi ce qui relève de la passion propre et du besoin qu’on ressent à chanter et à être sur scène. En ce qui me concerne, le mot « nécessité » a vraiment été au centre de tout. C’est un métier de fou, un métier éreintant ; pour y faire face, il faut vraiment ressentir cette nécessité absolue qui vous fait prendre conscience que vous ne pourriez rien faire d’autre. C’est peut-être la clé de toute démarche artistique.

Vous avez parcouru un sacré chemin ces dix dernières années ; comment avez-vous vécu votre évolution dans la carrière ?

Je reste la première stupéfaite de ce qui m’est arrivé. Je repense à mon professeur de chant qui me disait, quand j’avais dix-neuf ans « bon, allons y lentement, graduellement » et c’est finalement ce que j’ai fait. Les choses ont mis du temps à se mettre en place, je suis très heureuse d’être arrivée là où je suis et j’espère humblement pouvoir continuer un peu sur ma lancée, avec ce même sens de la prudence.

Finalement, c’est comme ces airs à colorature ; on a parfois le sentiment qu’il n’est pas permis d’y aller mollo.

Oui. C’est un sentiment formidable de chanter ces airs qui s’étendent sur trois octaves et qui vocalisent dans tous les sens. Mais c’est tout aussi formidable de chanter un air épuré, extatique et d’entendre dans la salle le public sangloter, dans ce cas là, j’ai aussi le sentiment d’être parvenue à quelque chose. Avoir la possibilité de s’exprimer dans ces deux registres est vraiment formidable.

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