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Béatrice Uria-Monzon : « Ce qui est intéressant dans notre métier, c’est de faire bouger les choses »

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Interview
31 mai 2021
Béatrice Uria-Monzon : « Ce qui est intéressant dans notre métier, c’est de faire bouger les choses »

Infos sur l’œuvre

Détails

Assoluta est votre premier disque solo.

En effet, et on me demande souvent pourquoi je n’en n’avais jamais fait auparavant. Assoluta est né suite à ma rencontre avec Ophélie Gaillard, en 2014. Elle travaillait alors à son disque consacré à Strauss, et m’a proposé d’interpréter le lied Morgen !. C’est à cette occasion que j’ai eu l’opportunité de rencontrer Nicolas Bartholomée, le directeur du label Aparté. Nous nous sommes tout de suite retrouvés dans un contexte de confiance : c’est ainsi qu’est venue l’idée de ce projet construit autour de mon répertoire actuel, qui est davantage celui du soprano dramatique.

Pourquoi avoir consacré cet album à ces fameuses héroïnes tragiques ?

C’est un répertoire que j’aime particulièrement. Je dirais que ces héroïnes tragiques sont des femmes qui me touchent et qui m’émeuvent beaucoup. Lorsque je chantais mezzo-soprano, je touchais peu au répertoire italien, à part les grands airs de Mozart qu’on voulait me faire interpréter et dont j’estimais qu’ils ne m’allaient pas, ayant peut-être déjà, à l’époque, une voix un peu trop large. C’est très compliqué de chanter Mozart, et je ne me sentais pas à l’aise dedans – même avec Chérubin [ndlr : Les Noces de Figaro], je faisais quelque chose de relativement dramatique ! D’un autre côté, Rossini n’était pas envisageable, parce que je n’avais pas la voix qui permettait de vocaliser. Et en ce qui concernait les rôles plus tragiques, on me trouvait souvent « trop jeune » car je n’étais ni assez mûre, ni une véritable mezzo verdienne. Plus tard, ce sont avec ces rôles que j’ai passé le cap du répertoire soprano. Aujourd’hui, j’ai la sensation d’être revenue à mes premières amours.

Comment s’est passé ce changement de tessiture ? S’est-il réalisé sur la base de propositions ou davantage d’un ressenti physiologique ?

Déjà jeune chanteuse – dans les années 1995 –, j’avais des aigus aisés et je me demandais si je n’étais pas soprano. Mais en travaillant ce répertoire, je trouvais que je perdais ma couleur. Or, c’était tout l’intérêt de ma voix de mezzo ! J’avais l’impression de perdre mes racines, de chercher quelque chose qui n’était plus en moi. Un jour, je suis retombée sur une cassette audio datée du tout début de ma carrière, où je chantais des airs de mezzo. J’ai eu un choc. Je n’avais pas à chercher plus loin, je savais que c’était ma voix ! J’ai donc décidé d’en rester au répertoire de mezzo-soprano pour le moment. Au fil des années, j’ai beaucoup chanté Carmen, Charlotte [ndlr : Werther] ou Marguerite [ndlr : La Damnation de Faust], et par la suite, des rôles différents m’ont été proposés, dont des airs pour soprano Falcon, par exemple. Le vrai changement s’est opéré avec Alain Duault, qui m’a beaucoup suivie durant ma carrière et m’enjoignait régulièrement de m’essayer à Tosca… Mais j’avais beaucoup d’appréhensions à l’idée de prendre ce rôle.

Parce qu’il a beaucoup de références…

Oui, et la dramaturgie est conséquente. Le deuxième acte est particulièrement violent. En 2009, nous donnions la Cavalleria rusticana à Orange avec Roberto Alagna. Alain Duault, qui présentait le direct à la télévision, m’a interviewée durant l’entracte et m’a de nouveau suggéré de chanter Tosca. Prise de court, j’ai éludé le problème, mais Raymond Duffaut, alors directeur des Chorégies, avait regardé la retransmission… Dès le lendemain, il me proposait de monter Tosca pour moi. Je lui ai répondu que j’allais travailler le rôle pour lui, et que je le chanterais s’il estimait que je le pouvais. Deux ans plus tard, après que Thomas Bettinger ait accepté de me donner la réplique pour l’audition afin de ne pas chanter seule, nous avons pris rendez-vous à l’Opéra Bastille pour une audition, et j’ai chanté Tosca pour Raymond. Il jubilait, et m’a annoncé que nous allions le faire. J’ai encore des frissons en racontant cette histoire !

Le challenge ?

Beaucoup de personnes, dont mon agent, avaient des doutes. Toutefois, sachant qu’Alain Guingal allait me diriger et que Nathalie Duffaut s’occupait de la mise en scène, j’étais en confiance. Et après ce premier Tosca en Avignon, mon agent, convaincue, m’a proposée pour Macbeth à Bruxelles !

Comment avez-vous abordé ce nouveau répertoire ?

Il est beaucoup plus complexe que celui que je travaillais avant. Carmen, que j’ai beaucoup chantée, n’a pas de difficulté vocale à proprement parler. La difficulté réside dans l’incarnation du personnage, l’élégance du style… Et tant mieux, car cela permet à de jeunes artistes lyriques de l’interpréter sans se brûler les ailes. Plus généralement, je pense que les voix graves peuvent enrober la vocalité, même s’il y a des petits défauts, avec la couleur, des effets de voix… À côté, la tessiture de soprano est très différente : j’irais jusqu’à dire qu’on ne vit pas de la même manière au quotidien quand on chante soprano ou mezzo… C’est mon cas ! Les rôles sont plus longs : à titre d’exemple, Gioconda, que je travaille actuellement pour le Théâtre du Capitole, chante une heure et demie bout à bout ! De manière générale, ce sont des parties lourdes, qui demandent de l’endurance. Et la technique n’est pas la même, car la vocalité ne pardonne rien – chez la mezzo, il peut y avoir des recherches de couleurs, des choix d’interprétation dans lesquels peuvent se glisser des imperfections, qui seraient impardonnables chez une soprano… Cependant, malgré ces nouvelles « contraintes », ma voix s’épanouit plus dans cette tessiture et j’ai la sensation d’être davantage dans mon élément.

Assoluta propose des airs très différents en matière de style, d’écriture …

Nous avons essayé de trouver un équilibre au moment de l’enregistrement : il était évident que je n’allais pas chanter « Vieni t’affretta » [ndlr : Macbeth] et après « Casta Diva » [ndlr : Norma]. Nous ne sommes pas dans la même largeur, la même écriture, le même orchestre… L’exigence vocale est différente. Il fallait également gérer la psychologie du personnage, car il est difficile de changer, de passer d’une femme à une autre. Par ailleurs, l’inconnu de l’exercice du disque était tout aussi complexe, et il nous a fallu beaucoup d’endurance pour enregistrer en 5-6 jours. Quand il y a des airs aussi exigeants et qu’on les reprend plusieurs fois chacun, cela peut être épuisant !

Vous devez aussi rechercher la perfection en scène…

Effectivement, nous recherchons toujours la perfection, que ce soit sur scène ou lors d’un enregistrement : donner le meilleur est notre obsession, mais le disque ne laisse rien passer. Tout y est amplifié, y compris les défauts. Mais malgré cela, nous avons tenu pour cet enregistrement à laisser certaines choses « telles quelles », parce qu’il y avait de la vie, de la spontanéité. C’est le danger du disque que d’oublier, à trop chercher la perfection, de s’abandonner à la musique, à l’art, au personnage.

Comment qualifieriez-vous les héroïnes d’Assoluta ?

Ce sont toutes des femmes qui sont dévouées à leurs passions. Dans cette optique, il était logique de commencer avec Tosca et Adriana : l’une nous dit qu’elle a vécu d’art et d’amour, l’autre affirme en être la servante, la muse. D’autres airs sont davantage tournés vers la figure maternelle, avec « Senza mamma » (ndlr : Suor Angelica), « La mamma morta » (ndlr : Andrea Chénier) ou « Voi lo sapete, o mamma » (ndlr : Cavalleria rusticana)… Et face à cela, l’air de Lady Macbeth, qui est une invocation au ministre de la mort, et la paix retrouvée dans La forza del destino. Aussi différentes soient-elles, qu’elles aient été guidées par l’amour d’un homme, de la figure maternelle ou de l’art, ces femmes sont passionnées. Je les aime profondément, car je me retrouve un peu en chacune d’elle. Même en Lady Macbeth, qui peut sembler être un monstre, et j’essaye de lui trouver une humanité, une faille. Nous avons tous des blessures intérieures, et chacun les exprime à sa façon. C’est justement cela qui m’intéresse, chez les êtres en général : non pas la façade, mais ce qu’il y a derrière. Et c’est ce que je trouve merveilleux dans ce métier : toucher la personne qui nous écoute, l’émouvoir, et lui permettre, peut-être, une rencontre avec elle-même. Lorsque l’on me dit : « cela m’a ému », « je me suis senti aimé », « je suis sorti de la salle avec des questions, et cela m’a remué », cela me bouleverse. Ce qui est intéressant dans notre métier, c’est de faire bouger les choses.

Et de pousser à la réflexion.

Toutes ces femmes me touchent parce qu’elles vont au bout de ce qu’elles sont. Et malheureusement elles le payent toutes. Un jour, lors d’une interview, on m’a interrogée sur la manière dont je voyais ma propre mort, à force de chanter les rôles de ces femmes qui meurent. Et quelle question ! Je n’ai pas la réponse. J’ai tenté, d’une certaine façon, de m’inspirer d’elles en allant au bout de ce que je suis et en l’assumant. Dans ma carrière, on m’a souvent découragée à aborder certains rôles, lorsque j’essayais quelque chose de nouveau. Chaque fois, j’ai fait abstraction de ce que l’on pouvait en penser – dans la mesure, bien sûr, où j’estimais ne pas mettre ma voix en danger. C’est de là que vient, en partie, le titre de cet album : Assoluta, c’est « absolument » moi – moi dans l’absolu, que cela plaise ou non, car cela m’appartient et j’ose l’assumer.

NB : à lire également le compte rendu de Brigitte Maroillat

 

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