En voilà un enregistrement incongru. En 1983, Sir John Pritchard est directeur de La Monnaie, il va être nommé à San Francisco mais, en réalité, il ne lui reste que six ans à vivre. Alors que partout autour de lui, les quadragénaires historiquement informés font souffler un vent nouveau sur le répertoire mozartien, la maison Decca opte pour la machine à remonter le temps. Un chef qui livra déjà une intéressante version de l’oeuvre trente ans plus tôt, des Wiener Philharmoniker plus rompus à l’exercice que quiconque et un cast débordant tellement de stars qu’on dirait un de ces films adaptés du Crime de l’Orient Express. Du coup, qui a tué Idomeneo, dans la bibliothèque avec le chandelier ? Personne, justement. Certainement pas Edita Gruberova au sommet de son art (« D’Oreste, d’Aiace » anthologique), ni Lucia Popp, née pour chanter Illia, ni Agnes Baltsa, Idamante ardent servi par l’un des plus beaux timbres de mezzo de ce XXe siècle finissant. Même si le pauvre Leo Nucci – entre deux Rigoletto – se heurte à l’impossible tessiture d’Arbace, c’est Luciano Pavarotti, auquel on pardonnera un Fuor del mar savonné comme un couloir d’hôpital, qui porte l’enregistrement sur ses larges épaules. Ses harmoniques graves donnent la chaire de poule, sa stature vocale, la noblesse de sa ligne et son instinct en font un roi déchu à la fois spectaculaire et brisé. Quant à Pritchard, son crépuscule semble si loin, tant est tétanisant le souffle qu’il inspire à ses musiciens.
Luciano Pavarotti (Idomeneo), Edita Gruberova (Elettra), Lucia Popp (Ilia), Agnes Baltsa (Idamante), Leo Nucci (Arbace).
Sir John Pritchard, Wiener Philharmoniker & Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor.
Decca – 3 disques – Date de parution : 1987, enregistré en 1983.