Chanteuse lyrique, violoncelliste, familière des arts de la scène, cheffe d’entreprise, Eve Coquart a pris la direction de Clermont Auvergne Opéra en mars dernier. Rencontre à l’occasion de la production de Maison à vendre.
Chaque maison d’opéra a son identité, forgée par une histoire spécifique. Le statut de votre maison est particulier : association à laquelle la ville, qui gère directement les installations, a délégué le domaine lyrique. Pouvez-vous préciser les modalités spécifiques de fonctionnement de l’Opéra de Clermont-Ferrand ? Le cahier des charges ?
Comme vous l’avez spécifié Clermont Auvergne Opéra est une association qui n’a pas la responsabilité de la gestion de l’Opéra-Théâtre : la salle et les installations sont partagées entre différents acteurs culturels de Clermont-Ferrand, et bénéficient de leurs propres équipes gérées par la ville. Le lieu en ordre de marche nous est mis à disposition ainsi que ses équipes dans le cadre de notre saison lyrique. Si nous devions résumer le cahier des charges : produire, programmer et diffuser l’art lyrique sur le territoire ; soutenir les jeunes artistes grâce au Concours international de chant de Clermont-Ferrand et s‘adresser au plus grand nombre.
A Bernard Plantey, le fondateur (Centre lyrique Clermont-Auvergne), a succédé, en 1997, Pierre Thirion-Vallet, basse et metteur en scène. La fin de saison 2022-23 difficile (annulations, report…) a conduit à une crise, heureusement révolue et résolue. Sur quelles bases repartez-vous ?
L’’association a effectivement traversé une période de crise. Parfois ce type de bouleversement est nécessaire pour permettre à une structure de renaître encore plus forte et de recentrer son action. C’est exactement ce qu’a vécu Clermont Auvergne Opéra. Nous travaillons désormais à affirmer notre identité et à nous renouer pleinement avec nos engagements et nos missions. Je suis de celles qui voient notre effectif et notre fonctionnement comme une force. Nous bénéficions de beaucoup de souplesse et d’une forme de liberté dans les choix de projets que nous faisons. Nous ne sommes pas contraints par l’éventuelle rigidité que peut entrainer une grosse structure. L’équipe, fidèle à l’histoire de l’institution dont elle porte la continuité, œuvre aujourd’hui à porter un projet moderne et novateur pour l’association.
La presse a salué votre accession à cette responsabilité par « la quatrième femme à la tête d’une institution lyrique »… Comment devient-on directrice d’opéra ?
Devenir directrice n’était pas un objectif prémédité, ce sont mon parcours et mes engagements qui m’ont portée naturellement vers cela ; c’est finalement l’aboutissement logique de tous mes choix professionnels antérieurs. Qu’ils aient été artistiques ou entrepreneuriaux. Il faut être passionnée et réaliste, avoir la volonté, l’envie de défendre les artistes, et de s’adresser à tous les publics. Il n’y a pas, je crois, de parcours type, il faut avoir des compétences solides et des choses à dire c’est certain, et me concernant ça a été la connaissance de l’opéra de l’intérieur. ll me semble essentiel d’avoir une vision claire de ce que représente aujourd’hui l’art lyrique et de ce qu’on souhaite défendre, selon le lieu que l’on dirige. Chaque saison d’opéra possède sa propre identité. On ne peut pas transposer un modèle d’un établissement à un autre. La direction artistique doit s’adapter à la dynamique du territoire, à ses publics, à son histoire et à ses enjeux. C’est dans cette diversité et cette complémentarité des saisons que réside la richesse et l’avenir de l’opéra en France.
Une coopération renforcée avec Vichy et Limoges, la Coopérative de Mai, la Fondation Royaumont, l’ensemble Les Surprises, autant de perspectives offertes. Mutualisation, co-productions ? Dites-nous tout…
Je crois plus que tout en la vertu des partenariats, et cela à différentes échelles et de différentes manières. Cela permet de produire mieux, de mutualiser les compétences et les savoirs faire, d’approfondir les projets et de les rendre plus pertinents, mais aussi de croiser les publics. Ensemble nous sommes plus forts et nos idées résonnent davantage ; l’identité de chacun se trouve renforcée par notre coopération. Clermont-Ferrand bénéficie d’une vraie richesse de programmation culturelle ; aussi, nous avons des partenariats étroits avec les autres scènes culturelles de la ville (Coopérative de Mai, Comédie de Clermont, Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes, FRAC). Nous croisons nos programmations et nos publics.
La Réunion des Opéras de France, que vous avez rejointe, Génération Opéra,… en quoi consistent ces structures ? Quels bénéfices escomptez-vous pour une maison comme celle que vous animez ?
Effectivement l’association est très impliquée dans différents réseaux nationaux : la Réunion des Opéras de France et Génération Opéra. C’est absolument essentiel pour rendre visible et faire rayonner Clermont Auvergne Opéra à l’échelle nationale. Ainsi sommes-nous acteur reconnu, très au fait des actions ou des projets menés par les autres structures, afin de pouvoir nous inscrire dans une dynamique nationale. Mais aussi parmi nos gros grands projets, il y a la création d’OR MASSIF, qui regroupe l’Opéra de Limoges, de Vichy et Clermont Auvergne Opéra, qui va donner vie à de très belles collaborations innovantes et inspirantes.
L’histoire de l’Opéra de Clermont-Ferrand est intimement liée à celle du concours. Après une éclipse, il a repris en avril dernier. Quelles en sont les caractéristiques, ses modalités, ce qui lui donne son identité ?
Clermont Auvergne Opéra a dans son ADN le Concours International de Chant de Clermont-Ferrand, il est attendu à la fois par les artistes mais aussi par le public, c’est un rendez-vous d’excellence et de partage, précieux pour notre identité et nos valeurs 2025 était déjà la 28e édition. Centré sur un ouvrage lyrique, il a toujours eu comme spécificité de proposer des rôles aux artistes pour des nouvelles productions créées à Clermont-Ferrand l’année suivante du concours, et qui partiront ensuite en tournée en France. Après quatre ans d’absence, nous avons voulu approfondir le concept même du concours, en accompagnant mieux les artistes qui y sont révélés et cela commence dès les présélections. L’idée est que chaque artiste et candidat dédramatise un maximum ces moments compliqués en repartant avec quelque chose de positif. Un conseil, une rencontre, … sortir absolument des auditions à la chaîne, parfois déshumanisées. En effet, les artistes lyriques aujourd’hui sont bien plus que des chanteurs, ce sont des artistes complets (musiciens, acteurs, danseurs) et surtout on leur demande de savoir s’intégrer à un groupe pour retrouver l’esprit de troupe. Encore une fois nous sommes sur l’idée de complémentarité.
Concrètement, nous organisons des séances de workshop avec les artistes, musiciens ou metteurs en scène qui sont parties prenantes dans les projets ; nous leur demandons des textes parlés de leur choix, ce qui est extrêmement révélateur de la personnalité des artistes ; nous organisons des temps de vrais échanges avec les membres du jury ; et nous proposons aux candidats qui le souhaitent d’être hébergés chez l’habitant. A noter que toutes les épreuves sont publiques, qu’il n’y a pas de limite d’âge pour participer au concours. De surcroît, les membres du jury sont tous impliqués dans les projets auditionnés.
La production prochaine de Didon et Enée est la traduction concrète de ce concours. Comment avez-vous procédé ?
Effectivement Didon et Enée est la nouvelle création issue du concours. Elle est programmée à l’Opéra-Théâtre en janvier, portée par l’Ensemble les Surprises, mise en scène par Pierre Lebon. Le projet s’est construit entre Clermont Auvergne Opéra, l’ensemble que dirige Louis-Noël Bestion de Camboulas, l’Opéra de Limoges, qui, en plus de programmer le spectacle, fabrique les décors et les costumes au sein de ses ateliers, (un bel exemple de mutualisation des moyens, tel qu’OR MASSIF veut les développer) , la Fondation Royaumont, qui est un lieu de résidence d’artiste, a permis à la troupe de Didon et Enée de passer trois semaines de résidence de création l’été dernier. A noter que l’Atelier Lyrique de Tourcoing a également rejoint le projet ; à ce jour déjà 17 levers de rideau sont prévus. partout en France.
Lors du concours, le niveau des femmes était excellent, et les hommes peu nombreux. Aussi avons-nous décidé de distribuer tous les rôles à des femmes. Cela n’était pas prémédité mais nous sommes ravis de ce choix, qui rend le projet encore plus singulier, et fidèle à la création de l’ouvrage.
Vous avez signé la saison actuelle, votre première programmation. En dehors de cette initiative bienvenue d’ouvrir l’opéra à tous les publics, particulièrement ceux qui en sont éloignés, à la faveur de cette journée du patrimoine, avec Maison à vendre., quels sont les points forts et les axes de la saison qui s’ouvre ?
L’objectif de la saison est d’appeler la curiosité de tous les publics possibles, de l’abonné au néophyte. Il y a autant de spectateurs que de possibilité de spectacles : Jeune public, pluridisciplinaire, contemporain, classique, dans l’opéra ou hors les murs, assis ou debout, gratuit ou payant, en journée ou le soir… L’idée est d’offrir un regard vivant, de susciter l’émotion, d’interpeller les publics, et de bousculer les codes , mais sans jamais renoncer à l’exigence.