Enregistrée en live à Vienne en 1977 dans des conditions techniques proches du studio, cette énième mouture par Karl Böhm de l’étrange chef-d’œuvre de Strauss et Hofmannsthal trouve un aboutissement sans pareil. Le chef est pourtant en concurrence avec lui-même et tous les illustres straussiens (Karajan, Solti etc.). La magie opère en premier lieu à l’orchestre, rompu à cette musique luxuriante, fourmillante de détails en même temps qu’elle bout de scènes en scènes gargantuesques. L’œuvre et sa pérennité doivent beaucoup à Karl Böhm et très certainement à cette ultime gravure.
De son côté, la distribution réussit une quadrature du cercle quasi impossible. Leonie Rysanek trône sur le rôle de l’Impératrice depuis plus de deux décennies. Ce que la voix a perdu en fraîcheur, elle l’a gagné en stabilité et surtout en maturité au service d’un portrait complet, aussi aérien qu’humain. Birgit Nilsson choisit la Teinturière comme ultime rôle ajouté à son répertoire et lui rend une justice incendiaire à laquelle on pardonnera quelques scories. Ruth Hesse fait jeu égal avec ses consœurs et transforme la Nourrice en personnage de premier plan. Chez les hommes, James King délivre une performance olympique au service d’un Empereur mâle et victorieux. Mais c’est surtout le Barack déchirant d’humanité de Walter Berry qui finit de consacrer cette version de l’œuvre que l’on voudrait dans toute discothèque.