Voilà un disque plein d’esprit.
En 1733, Métastase écrivit un argument de théâtre sur un sujet grec, sentimental et sportif. Parce qu’il était tout cela à la fois, il plut, et parce que le tragique (modéré) et la nécessité du déroulement (flexible) donnaient matière à de multiples aménagements possibles, de nombreux compositeurs (au moins soixante !) s’y sentirent bien. Ainsi, pendant un bon siècle, chacun y alla de son Olimpiade.
Toutes méritent certainement d’être entendues dans leur intégralité. Mais rien n’est plus prudent qu’un bon assemblage de morceaux choisis ! Ainsi, préservant l’ordre des scènes du livret de Métastase, on a procédé à un pasticcio, au sens baroque du terme, à un best of Olimpiade, à un patchwork qui emprunte à chacun des opéras les morceaux les plus remarquables, en préservant l’ordre du livret. Cette pratique est pleinement attestée, mais, admettons-le, généralement difficile à mettre en œuvre à la scène comme au disque : gageons que cette Olimpiade est l’une des première reconstitution d’un semblable pasticcio !
Sur la soixantaine possible, ce sont seize compositeurs qui ont été retenus : on aurait pu craindre le décousu de la juxtaposition de styles dissemblables. Cela n’est pas frappant, au contraire, on est plutôt surpris par la relative unité qui ressort de l’écoute, comme si le langage commun (de Caldara à Cherubini !) primait sur la main propre à chaque compositeur. Celui qui tentera d’identifier les Vivaldi à l’aveugle a toute les chances de tomber sur une pièce de Hasse !
Si le livret se prête à cet exercice du pasticcio, c’est surtout parce que l’énoncé met en scène une compétition de type sportif, tandis que l’énonciation fait se succéder, comme en un programme imposé, les différentes figures de bravoure vocale, élaborées par des entraîneurs experts et exécutées par des sportifs solidement affutés, comme si la majorité des compositeurs du XVIIIe siècle s’étaient accordés sur ce livret de concours qu’est l’Olimpiade afin de concourir entre eux.
Pour finir, l’Olimpiade – c’est là son véritable intérêt dramatique - est une histoire paradoxale de triche et de sincérité : on y triche à la course en espérant manifester l’expression sincère des sentiments amoureux, et à défaut de rafler la coupe, on pense pouvoir ravir la belle. Et toute la tension que l’on perçoit dans l’œuvre, à défaut de procéder d’un dénouement tragique inévitable, réside dans ce marivaudage sportif, dans cette contradiction inédite entre les règles du sport et les commandements de la passion.
Qu’importent dès lors les chevilles d’écriture, qu’importe le picorage dans chacune des œuvres. Parce qu’il rassemble les moments les plus forts, les plus virtuoses, les plus lyriques, les plus étranges de tant d’œuvres diverses, ce disque renferme un concentré de sentiments tumultueux et d’exaltation frénétique tout à fait fascinant. Comme dans un relai de sprint, tout court sans jamais de relâche et tout menace toujours de rompre : au moment où l’on sent que le mouvement commence à s’épuiser, le bâton passe dans une main neuve.
Au premier chef, il faut saluer la direction particulièrement habile de Markellos Chryssikos. Tempi dynamiques sans être forcenés, phrasé direct sans affectation, timbre clair sans acidité, et surtout le bon goût de ne pas forcer les traits de chaque pièce, afin de donner une unité dynamique et sonore à l’ensemble. Le Venice Baroque Orchestra est sobre et franc, ses cordes sont justes, et ses bois élégants : et à la manière dont il fait sonner Paisiello, l’on se dit qu’on l’attend désormais dans Mozart.
Les parties vocales sont toutes particulièrement difficiles à aborder, d’abord parce que l’ambitus est large et que tous les extraits choisis sollicitent beaucoup le grave, d’autre part parce qu’elles doivent s’accommoder aussi bien de la simplicité pré-gluckiste que de l’exubérance post-vivaldienne, parfois dans les mêmes arias. A ce jeu, c’est vraisemblablement Karina Gauvin qui est la plus convaincante, notamment dans Perez, dont elle exploite tout le potentiel expressif, sachant garder une grande homogénéité de timbre dans tous les registres. Franziska Gottwald, quoique mezzo, a une étonnante clarté de soprane, et livre une très belle aria de Galuppi. Romina Basso, très à l’aise dans les vocalises interminables de Jomelli, posssède un timbre chaud et agréable dans le registre médian, qui part toutefois un peu en fond de gorge dans les passages graves. Ruth Rosique se coule bien dans le paisible Piccini, mais se révèle pleinement dans les emportements de Leo. Nicholas Spanos est un contreténor agréable, qui hérite de deux très belles arias de Hasse ; tout juste peut-on regretter qu’il soit un peu trop poli dans ses attaques de phrases. Nicholas Phan est un peu en-deçà du reste de la distribution : même si son Cimarosa est élégant, on le sent perdre l’allure dans les longues guirlandes de Jomelli.
Alors, des seize athlètes, qui emporte la palme ? Difficile à dire tant le finish est serré. Les favoris ne sont pas à leur meilleur : Vivaldi et Pergolèse sont en méforme, ils tirent à la ligne, multiplient les ritournelles, et sont très loin des niveaux atteints lors de leurs plus grandes confrontations (ah ! leur Stabat Mater…). Attention cependant, même en roue libre, ils sont conservent un ascendant manifeste sur la concurrence. Cherubini et Cimarosa restent dans le peloton. Jomelli fait du Jomelli : il en rajoute dans le rococo ; c’est un genre qui a ses amateurs. Caldara et Galuppi s’illustrent par de beaux, mais rares moments. Pareil pour Gassmann et Perez : leurs échappées, pourtant bien lancées, ne durent pas. C’est Hasse qui livre les séquences les plus intéressantes du parcours : deux belles arias, et surtout, un superbe duo et un chœur énergique qui constituent les parties les plus denses, les plus variées, et les plus efficaces. A défaut d’une victoire nette, il récolte les points de bonifications intermédiaires qui lui procurent une courte mais salutaire avance au classement général.
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L’Olimpiade | Compositeurs Divers