Avec sa nouvelle « Le Marchand de sable », Hoffmann offrit décidément au monde musical un excellent moyen de concrétiser le fantasme de la femme-marionnette. En 1852, Adolphe Adam ouvre le bal avec La Poupée de Nuremberg, opéra-comique ; en 1870, Léo Delibes propose le ballet Coppélia ; en 1880, l’automate s’appelle bien sûr Olympia, dans le premier acte des Contes d’Hoffmann. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, puisque le personnage revient faire un petit tour de scène en 1896 avec La Poupée d’Edmond Audran, « opéra-comique » qui ressemble fort à une opérette et qui, après un certain succès à Paris (121 représentations), connut un triomphe à l’étranger (576 représentations à Londres à partir de 1897 !). Lubitsch en tira un film en 1919, Die Puppe, et l’œuvre a survécu tant bien que mal,notamment remontée en 2004 au Théâtre Odéon de Marseille. En 1956, la télévision française en diffusa une captation réalisée au Théâtre de la Gaîté Lyrique, disponible sur le site de l'INA ; l’intégrale que publie aujourd’hui Malibran date de 1955, et des extraits en seraient enregistrés en 1958 avec les mêmes interprètes pour les personnages de Lancelot et d’Hilarius, rejoints par Robert Massard en Maximin et Gabrielle Ristori en Mme Hilarius, entre autres (extraits réédités en 1993 dans la série « Gaîté Lyrique », couplés avec Miss Helyett, autre succès d’Audran).
Force est d’avouer qu’on s’explique mal la réussite planétaire d’une œuvre manifestement peu inspirée, sans aucun des airs mémorables qui avaient fait le succès de La Mascotte. Dû au très prolifique Maurice Ordonneau, auquel on doit Les Saltimbanques de Louis Ganne ou La Cocarde de Mimi Pinson, d’Henri Goublier, le livret rappelle celui de La Princesse de Trébizonde, où une jeune femme doit se faire passer pour une statue de cire ; ici, elle est prise pour un automate qu’on présente comme une femme en chair et en os… Comme dans La Mascotte, le personnage central cherche à préserver sa vertu, sauf qu’il s’agit cette fois d’un homme, le jeune Lancelot : bien que novice dans un couvent où il s’est réfugié pour fuir le monde, il consent à feindre un mariage (avec une automate) pour toucher le magot promis par son oncle. Comme Olympia, Alésia chante un air où elle imite le débit haché d’une poupée mécanique. Comme dans La Vie Parisienne, le deuxième acte se termine par un grand finale de griserie, dont les participants décident de « faire des sottises ». Mais la musique se situe à plusieurs crans en dessous de l’Audran de quinze ans auparavant.
La distribution n’y peut mais, même si elle n’inclut aucun des grands noms du chant qui, dans les années 1950 et 1960, se prêtaient de bon cœur à ce genre de concert. Joseph Peyron est ici bien plus acceptable que dans le répertoire sérieux, et compose même un Lancelot assez sympathique. Duvaleix (Albert, et non son fils Christian) parle quand il n’arrive pas à chanter les notes, mais il a le tempérament nécessaire à faire vivre l’œuvre. Willy Clément est un noble révérend père. Geneviève Pernet, divette d’opérette, passe très bien dans un répertoire qui n’a pas d’autre véritable exigence qu’une diction claire, mais on rêve de ce qu’en aurait tiré une chanteuse au timbre plus charmeur.
Car le véritable intérêt de ce coffret se trouve peut-être dans le bonus. Trois quarts d’heure d’extraits de La Mascotte, pour quoi faire, quand il en existe une intégrale avec rien moins que Robert Massard et Geneviève Moizan ? Ecoutez, et vous comprendrez. Liliane Berton nous fait littéralement fondre en Fiammetta. Michel Dens est un extraordinaire Pippo, qui aurait presque pour défaut de conférer trop de dignité au duo des dindons. Nadine Renaux est plus crédible en jeune fille que Geneviève Moizan. Claude Devos est infiniment préférable au par trop plébéien Bernard Alvi, véritable contresens en prince Fritellini. Duvaleix atteint cette fois les aigus et chante beaucoup mieux que Lucien Baroux. Bref, ces extraits surclassent sans peine l’intégrale de 1959, et proposent de l’œuvre une version infiniment plus élégante à tous points de vue, pour les solistes comme pour la direction de l’orchestre et des chœurs. Jules Gressier se révèle bien supérieur à Robert Benedetti, le chef de la version Massard/Moizan. Oubliez la Poupée, redécouvrez la Mascotte.
La Poupée, opéra-comique en trois actes et un prologue, livret de Maurice ORdonneau
Créé au Théâtre de la Gaîté Montparnasse, le 21 octobre 1896
La Mascotte, opéra-comique en trois actes, livret de Chivot et Duru
Créé aux Bouffes Parisiens, le 29 décembre 1880
Alésia
Geneviève Pernet
Lancelot
Joseph Peyron
Père Maximin
Willy Clément
Madame Hilarius
Blanche Delimoges
Hilarius
Duvaleix
La Chanterelle
René Smith
Josse
Linda Felder
Loremois
Paul Ville
Frère Balthazar
Pierre Bori
Frère Basilic / Le Notaire
Jean Vavlet
Orchestre lyrique de la RTF
Direction musicale
Robert Benedetti
Concert diffusé le 24 avril 1955
Bettina
Nadine Renaux
Fiametta
Liliane Berton
Pippo
Michel Dens
Fritellini
Claude Devos
Laurent XVII
Duvaleix
Rocco
René Hérent
Paysannes / Pages
Denise Challan, Linda Felder
Le Sergent Parfante
Jacques Pruvost
Direction musicale
Jules Gressier
Concert diffusé le 1er janvier 1954
2 CD Malibran MR 806 – 73+ 55 minutes
VOUS AIMEZ NOUS LIRE…
… vous pouvez nous épauler. Depuis sa création en 1999, forumopera.com est un magazine en ligne gratuit et tient à le rester. L’information que nous délivrons quotidiennement a pour objectif premier de promouvoir l’opéra auprès du plus grand nombre. La rendre payante en limiterait l'accès, a contrario de cet objectif. Nous nous y refusons. Aujourd’hui, nous tenons à réserver nos rares espaces publicitaires à des opérateurs culturels qualitatifs. Notre taux d’audience, lui, est en hausse régulière avoisinant les 160.000 lecteurs par mois. Pour nous permettre de nouveaux développements, de nouvelles audaces – bref, un site encore plus axé vers les désirs de ses lecteurs – votre soutien est nécessaire. Si vous aimez Forumopera.com, n’hésitez pas à faire un don, même modeste.
Depuis le Théâtre des Champs-Elysées, où Philippe Jaroussky monte, à la tête de son ensemble Astaserse, une production de Giulio Cesare de Haendel par Damiano Michieletto.
© 2018 - Mentions légales - Tous droits réservés - Publicité - Site réalisé par Damien Ravé