Ouvert en 1883, l'ancien bâtiment du Metropolitan Opera fut vite jugé obsolète puisque, dès 1908, son remplacement par une salle plus grande et plus adaptée fut sérieusement envisagé. A la fin des années 20, il fut ainsi question de l'intégrer au complexe du Rockefeller Center. C'est en 1955 que le site de Lincoln Square fut choisi pour accueillir ce qui allait devenir le pôle culturel du Lincoln Center, regroupant opéra, ballet et musique classique. Le New Met fut finalement inauguré le 16 septembre 1966, c'est-à-dire près de 60 ans après que la nécessité de ce déplacement eut été jugée impérative.
Pour le cinquantenaire de cette inauguration, le Met proposait un de ses galas dont il a le secret. Comme en 2009, la formidable mise en scène de la soirée, signée cette fois Julian Crouch, fait la part belle aux vidéos : l'ouverture de West Side Story (un clin d’œil à la localisation géographique), sous la baguette de Yannick Nézet-Séguin, présente une animation des différentes esquisses préalables (il y eut 44 versions de l'extérieur !), des plans, jusqu'à la construction de la salle. Par la suite, les décors, rehaussés par des projections, vont faire revivre les grandes mises en scène de cette période : il suffira de presque rien pour reconnaître La Bohème de Franco Zeffirelli ou pour faire revivre la production Die Zauberflöte en animant les dessins de Marc Chagall.
La soirée offre de vraies pépites : on ira au bout de monde pour entendre Sonya Yoncheva et Joseph Calleja dans La Bohème après avoir goûté leur magnifique complémentarité dans leurs airs et duo de l’acte I. Dans Donizetti, Javier Camarena fait chavirer la salle avec un Tonio insolent, et Pretty Yende avec son adorable Norina (aux côtés de Mariusz Kwiecen). La scène de folie de Boris Godounov trouve un interprète d’exception avec René Pape. Angela Meade électrise le trio d’I Lombardi. Renée Fleming chante un « Porgi, Amor » tout simplement sublime de beau son. Piotr Beczała est un Rodolfo de Luisa Miller superbe d'élégance. Enfin Anna Netrebko impressionne par sa puissance dans le premier air de Lady Macbeth (avec reprise mais sans variations) et dans celui de Madama Butterfly (dont elle fait un personnage plus proche de Turandot que de la fragile japonaise !). Mais c’est bien sûr la présence « surprise » de Dmitri Hvorostovsky qui bouleverse l’assistance : l’ovation qui l’accompagne montre que le public du Met, même pour un gala aussi « people », est un public de connaisseurs qui aiment les chanteurs. Inévitablement, la soirée a aussi son lot de contre-performances : Kristine Opolais ne convainc pas en Tosca et Diana Damrau rate le suraigu de La Traviata. Le Metropolitan sait accueillir tous les répertoires, du baroque au contemporain, et c'est ainsi que se succèdent le duo de Giulio Cesare (superbement chanté par Stéphanie Blythe et David Daniels) et un extrait de The Tempest. Le duo de Thaïs en double version esperanto (Domingo) et volapük (Fleming) laisse le public interrogatif au point qu'il en oublie presque d'applaudir. Dolora Zajick, très en voix, n'est pas suffisamment mise en valeur par l'air de la Princesse de Bouillon et Elina Garanča pas davantage avec un « Mon cœur s'ouvre à ta voix » d'une rare musicalité mais un peu grave pour sa tessiture naturelle. L’indéboulonnable Plácido Domingo campe un Gérard convaincant et un Athanaël en service minimum. Nous sommes heureux de retrouver James Morris, superbe Grand Inquisiteur face au Filippo surprenant de Günther Groissböck (un chanteur qu'on n'attendait pas dans le répertoire italien). Il aurait été plus émouvant d’entendre le Credo de Iago chanté par Sherrill Milnes (présent dans la salle) plutôt que mollement interprété par Željko Lučić. On regrettera l'absence de Roberto Alagna, formidable Cyrano de Bergerac la veille et qui aurait été le partenaire idéal de la magnifique Susan Graham dans Les Troyens. Au chapitre des curiosités, on notera la Semiramide de Joyce DiDonato (qui chantait également Werther) et les deux prestations contrastées de Vittorio Grigòlo : un « Ah ! Lève-toi, soleil ! » de Roméo et Juliette aux tempos aléatoires et généralement sans rapport avec la partition, mais aussi une interprétation prometteuse du dernier air de Cavaradossi : il faut dire que cette fois, James Levine veillait au grain.
Quoiqu’extrêmement diminué par son Parkinson, le chef américain a une fois de plus fait preuve de son extraordinaire talent et de sa diversité : ni Yannick Nézet-Séguin, ni Marco Armiliato (parfois un peu bruyant) ne nous ont autant convaincus ce soir à la tête de la formation new-yorkaise. Quelques projections d'interviews agrémentent le fil du concert : Leontyne Price raconte avec humour la création d’Anthony and Cleopatra ; Marc Chagall supervise l'installation de ses deux fresques ; le chantier du Lincoln Center est lancé par le président Eisenhower ; le parcours artistique de James Levine est rappelé au travers d’extraits s’étalant sur plusieurs décennies ; l’origine accidentelle des fameux lustres qui décorent la salle nous est également révélée (Alors que l’architecte Wallace K. Harrison devait présenter un dessin du hall à Rockerfeller et aux autres soutiens financiers du projet, des tâches de peinture blanche étaient inopportunément tombées sur la feuille. Dans l’urgence, les points blancs avaient été maquillés en étoiles, suscitant l’enthousiasme desdits sponsors au grand étonnement de l'architecte qui sut rebondir sur cet accident pour concevoir les lustres).
La soirée, commencée près de cinq heures plus tôt, s'achève sur la conclusion de la scène du triomphe d’Aida, tandis que des photos des gloires de ces cinquante dernières années surgissent sur un écran comme une pluie d’étoiles sous les applaudissements de la salle : Bergonzi, Pavarotti, Kraus, Corelli, Price, Tucker, Crespin, Bacquier, van Dam, Verrett, Rysanek, Sutherland, Cossotto, Nilson, Horne, Kleiber, Caballé, Gedda, Scotto ... et dans la salle Bonynge, Amara (éternelle doublure aujourd'hui agée de 93 ans), Arroyo, Stratas ... Au total, 90 artistes fidèles au Metropolitan et auxquels l'institution new-yorkaise, sait rendre cet émouvant hommage. Signalons enfin que ce gala était accessible à tous les publics puisqu'on pouvait y assister pour quelques dizaines de dollars ou quelques milliers. C'est ça aussi le Met !
Célébration du cinquantenaire de l'établissement de la compagnie au Lincoln Center.
Production et décors
Julian Crouch
Vidéos
59 Productions
Lumières
Brian McDevitt
Costumes
Kevin Pollard
Leonard Bernstein
Ouverture
West Side Story (film)
Samuel Barber
« From Alexandria, this is the news » (Prologue)
Anthony and Cleopatra
Chœur du Metropolitan Opera
Umberto Giordano
« Nemico della patria »
Andrea Chénier
Plácido Domingo
Giuseppe Verdi
« Quando le sere al placido »
Luisa Miller
Piotr Beczała
Wolfgang A. Mozart
« Hai già vinta la causa »
Le Nozze di Figaro
Michael Volle
Gaetano Donizetti
« Pronta io son »
Don Pasquale
Pretty Yende & Mariusz Kwiecen *
Giacomo Puccini
« Vissi d'arte »
Tosca
Kristine Opolais *
Modest Moussorgski
Scène de folie
Boris Godunov
René Pape *
Giacomo Puccini
« Che gelida manina »
« Si ,mi chiamano Mimi »
« O soave fanciulla »
La Bohème
Joseph Calleja & Sonya Yoncheva
Jules Massenet
« Va ! Laisse couler mes larmes »
Werther
Joyce DiDonato
Wolfgang A. Mozart
« Der Vogelfänger bin ich ja »
Die Zauberflöte
Michael Volle
Giuseppe Verdi
« Cortigiani ! »
Rigoletto
Dmitri Hvorostovsky
Hector Berlioz
« Nuit d’ivresse »
Les Troyens
Susan Graham & Matthew Polenzani *
Francesco Cilea
« Acerba voluttà »
Adriana Lecouvreur
Dolora Zajick *
Gaetano Donizetti
« Ah ! mes amis ! »
La Fille du Régiment
Javier Camarena *
Giuseppe Verdi
« Nel dì della vittoria io le incontrai »
Macbeth
Anna Netrebko *
Entracte
Richard Wagner
Entrée des invités à la Wartburg
Tannhäuser
Chœurs du Metropolitan Opera
George Gershwin
« Bess , you is my woman now »
Porgy and Bess
Pretty Yende & Eric Owens
Camille Saint-Saëns
« Mon cœur s'ouvre à ta voix »
Samson et Dalila
Elina Garanča
Giuseppe Verdi
Scène du Grand Inquisiteur
Don Carlo
Günther Groissböck & James Morris
Charles Gounod
« Ah! Lève-toi soleil ! »
Roméo et Juliette
Vittorio Grigòlo *
Giuseppe Verdi
« E strano... Sempre libera »
La Traviata
Diana Damrau & Matthew Polenzani *
Georg Friedrich Haendel
« Son nata a lagrimar »
Giulio Cesare
Stéphanie Blythe & David Daniels *
Giuseppe Verdi
Credo de Iago
Otello
Željko Lučić
Thomas Adès
« What was before »
The Tempest
Isabel Léonard, Ben Bliss & Dwayne Croft
Giacomo Puccini
« E lucevan le stelle »
Tosca
Vittorio Grigòlo **
Wolfgang A. Mozart
« Porgi, Amor »
Le Nozze di Figaro
Renée Fleming **
Jules Massenet
« Baigne d'eau tes mains »
Thaïs
Renée Fleming & Plácido Domingo **
Giuseppe Verdi
« Qual voluttà trascorrere »
I Lombardi
Angela Meade, Michael Fabiano & Günther Groissböck **
Gioacchino Rossini
« Bel raggio lusinghier »
Semiramide
Joyce DiDonato **
Giacomo Puccini
« Un bel dì »
Madama Butterfly
Anna Netrebko **
Giuseppe Verdi
Finale de l’acte II
Aida
Latonia Mooren, Dolora Zajick, Yusif Eyvazof, Željko Lučić, James Morris & Sava Vemié **
Chœurs et Orchestre du Metropolitan Opera
Direction musicale
Yannick Nézet-Séguin
Marco Armiliato*
James Levine **
Metropolitan Opera, New-York, le dimanche 7 mai 2017, 18h.
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