Depuis neuf ans que l’Opéra de Rouen s’est fait une spécialité de proposer chaque saison un opéra participatif, l’exercice est parfaitement rodé. Quoi de mieux pour fidéliser les néophytes et stimuler le renouvellement des générations d’amateurs d’art lyrique ?
Aux quatre séances scolaires ayant déjà eu lieu pour cette nouvelle production, s’ajoutaient quatre dates « tout public » avec une séance d’échauffement préalable. Ayant assisté à la dernière, nous avons pu constater combien les enfants – parmi lesquels beaucoup étaient déjà habitués à la méthode de travail – semblaient à l’aise. Tant sur scène durant la demi-heure de préparation, que debout dans la fosse face au public, pendant le spectacle, le chef de chant, Jeanne Dambreville à l’énergie communicative et chaleureuse, entraînait sans relâche les participants. Tous se montraient enthousiastes et impliqués dans l’aventure.
Chanter en direct pendant le spectacle depuis la salle ne s’improvise pas ! Il faut se préparer : avoir lu le résumé de l’histoire ; avoir étudié le CD d’apprentissage disponible sur Internet ou à la billetterie (avec, sur demande, la partition ) ; participer si possible à une séance de travail de deux heures ; répéter, répéter… ; et surtout, chauffer sa voix avant la représentation.
Afin de rendre l’histoire de Carmen accessible aux enfants, le jeune metteur en scène italien Andrea Bernard (ancien assistant de Damiano Michieletto) a eu l’idée de transposer l’action dans l’univers ludique d’un cirque à Séville. Carmen en est bien sûr la star. Tous les personnages de l’Opéra de Bizet y trouvent un emploi. Seul Don José, comme il se doit fou amoureux, y est étranger.
Eléonore Pancrazi et Samy camps © Marion Kerno
Belles lumières, décors et costumes colorés et attrayants… cette Carmen, Reine du Cirque est un charmant spectacle. Les péripéties se succèdent sans laisser place à l’ennui. Tous les interprètes – même Samy Camps (Don José), annoncé souffrant – méritent des félicitations. En premier lieu, la mezzo Éléonore Pancrazi. Sacrée récemment Révélation lyrique de l’année aux Victoires de la Musique classique, elle assure avec naturel ce rôle emblématique. Retenons également le nom de la soprano Hélène Carpentier (Micaëla) ; originaire d’Amiens, elle est, à 22 ans seulement, l’une des jeunes cantatrices les plus prometteuses de sa génération, ayant remporté le prestigieux concours « Voix Nouvelles 2018 » du Centre Français de Promotion Lyrique.
Sous la conduite experte d’Alexandra Cravero, passionnée du répertoire d’opéra qu’elle cherche à promouvoir pour tous et en tout lieu avec son ensemble lyrique Du bout des doigts (fondé en 2007), l’adaptation musicale et les dialogues sont intégrés en souplesse par l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie. Les interventions du public sont aussi efficaces que possible et il règne dans la salle une joyeuse atmosphère que rien ne saurait assombrir durant une heure et dix minutes de pur bonheur.
Dans cette version hors du temps, rien de traumatisant. Même le meurtre de Carmen demeure un tour d’illusionniste. La morale proposée par l’histoire se résume ainsi : « Nous devons tous apprendre à accepter ce qui nous arrive dans la vie, les bonnes comme les mauvaises choses, et nous ne pouvons obliger personne à être ce qu’il n’est pas et à agir contre sa volonté ».