Le rendez-vous, plusieurs fois manqué, aura-t-il finalement lieu ? Le 8 novembre 2015, Lyon découvre, stupéfait, un jeune ténor dans la (trop) rare Zelmira de Rossini. Sergei Romanovsky chante le rôle redoutable d’Antenore. Public et critiques s’enflamment – « La diction est impeccable, la projection parfaitement maîtrisée, les vocalises d’une précision confondante, avec une rare aisance dans l’ensemble de la tessiture, suscitant des applaudissements nourris », peut-on lire dans nos colonnes. Une représentation est prévue au Théâtre des Champs-Élysées quelques jours après, le 14 novembre. Paris trépigne d’impatience. La veille, vendredi 13, une attaque terroriste d’une ampleur inédite en France plonge le pays dans l’effroi. Tous les spectacles sont annulés. Paris n’applaudira pas Serguei Romanovsky.
Toulouse, en 2016 dans Lucia di Lammermoor ; Lyon en 2017 dans Don Carlos : à peu d’exceptions, le parcours du chanteur russe se poursuit hors de France, dans le répertoire rossinien pour l’essentiel. En quêtes de voix idoines, Pesaro pense avoir trouvé le baritenore capable de succéder à Michael Spyres dans les rôles écrits par Rossini à l’intention d’Andrea Nozzari ou d’Adolphe Nourrit. Le Siège de Corinthe en 2017 ; Ricciardo e Zoraide en 2018, Elisabetta regina d’Inghilterra en 2021. Déjà se profile l’année suivante Otello, avec auparavant pour reprise en main de la partition une série de représentation à Liège. Las, au cœur de la pandémie, dans une salle ridiculement limitée à 200 places, Sergei Romanovsky, souffrant, doit se contenter de mimer le rôle. Le parcours rossinien du ténor marque le pas. Il faut attendre 2024 pour qu’il réapparaisse dans nos radars : un enregistrement de L’esule di Roma pour Opera Rara ; Les Vêpres siciliennes à Zurich. Mitridate en version de concert est annoncé au Théâtre des Champs-Élysées. Peu de temps avant la représentation, sa participation est annulée, sans plus de détails. Le rendez-vous avec le public parisien est une nouvelle fois reporté.
© Amati Bacciardi
Le concert lirico-sinfonico de la 46e édition du ROF se place dans cette perspective. Le programme n’offre pas d’indices sur la direction que souhaite aujourd’hui donner Serguei Romanovsky à son répertoire. Mozart – non Mitridate mais Tito comme si ses ambitions avaient été révisées à la baisse. L’aria di sortita d’Otello – passage obligé en terre rossinienne ? Meyerbeer, Verdi puis les Russes – Rimski-Korsakov, Tchaïkovski –, juste tribut payé à sa mère patrie. Des airs brefs, privés de leur récitatif, qui laissent à l’interprète peu de temps pour habiter le personnage. A l’écoute cependant, se dessinent plusieurs lignes de force – et de faiblesse. S’impose d’emblée la beauté de la voix : la fierté ombrageuse d’un timbre Arabica, la largeur de l’émission, l’assise dans le médium, l’aisance dans le grave et – revers de la médaille – une moindre facilité dans l’aigu émis toujours en force au détriment de la demi-teinte. La douceur survient cependant à de rares occasions lorsque le ténor, happé par la musique – et le texte –, oublie toute volonté démonstrative. Les adieux de Lenski atteignent ainsi les sommets de poésie et d’intensité expressive sans lesquels ils ne figureraient pas parmi les plus beaux airs du répertoire. Mais le Marchand indien dans Sadko voudrait plus de suavité, et auparavant Vasco dans L’Africaine moins de brutalité. Reste le cas d’Otello aux vocalises durcies, au vocabulaire et à l’imagination dans les variations limités — par manque de pratique ou désir de tourner la page ? L’éclat, la puissance dont le ténor fait assaut semblent l’inviter à explorer d’autres contrées, verdiennes notamment. L’air de Luisa Miller le suggère. La plainte de Rodolfo allie à bon escient souplesse et ardeur, le tracé de la ligne encore belcantiste à la fureur romantique.
Les bis ne transforment pas l’essai. Granada, Tu ca nun chiagne popularisé par Pavarotti et La danza, si crânement envoyés soient-ils, n’ouvrent pas plus d’horizons qu’ils ne stimulent l’èmotionomètre.
A la tête d’un orchestra Sinfonica G. Rossini à la virtuosité encouragée par le programme, Asier Eguskitza réussit son baptême pesarese, l’ouverture de Los esclavos felices, un opéra perdu du compositeur basque Juan Crisóstomo de Ariagga, constituant un hommage inédit à sa terre natale.