Présenté au Wagner Opera Festival en 2013, Le Vaisseau fantôme, dans sa version originale de 1841, dite de Paris, jette l’ancre à Caen pour deux représentations. L’occasion pour ceux qui comme nous avaient aimé cette production de revoir le spectacle, avec le risque de confronter des souvenirs encore embellis par le temps à une réalité forcément différente – le syndrome Vertigo en quelque sorte (en référence au film d’Alfred Hitchcock).
Ingela Brimberg est de nouveau une Senta incandescente à fleur de peau. La voix s’est épaissie, légèrement durcie. Les aigus frappent encore comme des coups, la tessiture est maitrisée et le personnage totalement assumé dans son jusqu’au-boutisme obstiné. En Hollandais, il faut un certain temps à Alfred Walker pour retrouver cette noirceur démoniaque qui à Genève impressionnait mais dès le duo avec Daland (ici Donald), la voix se pose, noire, puissante, solide et le personnage surgit de ce gouffre sombre comme possédé. Maximilian Schmitt demeure un pilote de haute-volée, droit dans ses bottes et dans un lied du premier acte à l’élégance toujours mozartienne. Ce sont surtout Liang Li et Marcel Reijans qui, tout en s’acquittant de la tâche, pâtissent de la comparaison. L’émission de Dimitry Ivashchenko paraissait à Genève moins désordonnée et Eric Cutler apportait au rôle de Georg (Erik) une dimension belcantiste bienvenue. N’a-t-on pas assez disserté sur l’analogie possible entre Senta et Wagner, l’une promise à Erik mais envoutée par le Hollandais, l’autre pris en étau entre l’influence italienne et ce nouveau moule d’écriture vocale qu’il tente alors de façonner ?
Alfred Walker (le Hollandais) © Gregory Batardon
En digne assistant de Patrice Chéreau qui – on le sait – ne confiait rien au hasard, Alexander Schulin a adapté sa mise en scène à la configuration des lieux. Le résultat est identique, à quelques détails près, le plus significatif d’entre eux étant la dernière image de l’opéra : pour des raisons bêtement techniques, Senta n’enjambe plus le parapet comme si elle s’extirpait de son rêve pour se jeter dans la réalité (ou dans le monde adulte, comme peut le suggérer la réplique miniature du Hollandais qu’elle tient dans ses bras tel un doudou). Dommage mais la force de la proposition – onirique, donc – demeure sans que ne soit sacrifié son esthétisme, horizontal et clinique avec des mouvements de foule liquides et un usage de la vidéo d’autant plus efficace qu’il est mesuré.
C’est en confiant l’interprétation de ce Vaisseau fantôme à François-Xavier Roth que Caen prend ses réelles distances avec Genève. Le choix d’instruments anciens modifie radicalement les couleurs de la partition, plus distinctes, plus franches avec tout ce que cela implique de clarté mais aussi parfois d’accidents. Pour autant, d’un bout à l’autre de l’opéra joué sans interruption, l’arc dramatique demeure tendu au-dessus d’une mer orchestrale agitée. L’excellence des choristes, masculins et féminins, n’est pas étrangère à la beauté de ce raz-de-marée sonore qui nous laisse à l’issue de la représentation sur le rivage, abasourdi. A défaut de (re)vivre l’expérience à Caen ce 30 avril ou à Luxembourg, les 9 et 11 mai, une diffusion sur France 3 puis CultureBox est prévue dans les semaines ou mois à venir.