Pour célébrer dignement le cent-cinquantenaire de la disparition de Georges Bizet survenue le 3 juin 1875, Radio France a proposé un concert original en deux parties, l’une dédiée à l’opéra, l’autre consacrée à la symphonie en ut que le musicien composa en 1855. Dans sa présentation de la soirée, Clément Rochefort explique que c’est à dessein qu’aucun extrait de Carmen ne figure au programme, l’œuvre étant universellement connue. C’est donc Les Pêcheurs de perles qui sera à l’honneur dans la première partie à travers deux airs et un duo. Auparavant nous entendrons l’ouverture de Mignon d’Ambroise Thomas. Le rapport avec Bizet ? C’est lui qui réalisa la réduction pour piano de la partie d’orchestre de l’ouvrage de son confrère, d’autre part, Célestine Galli-Marié qui créa le rôle de Mignon sera quelques années plus tard la première Carmen. Cette partie s’achève avec des extraits de Don Carlos de Verdi qui permettent de mettre en perspective deux visions de l’amitié entre deux hommes à travers des ouvrages français quasi contemporains. Les passages chantés sont en effet dévolus à deux artistes émérites John Osborn et Alexandre Duhamel dont le talent parvient presque à faire oublier l’absence de voix féminine dans cet hommage. Les trois extraits des Pêcheurs de perles sont admirablement défendus par nos deux interprètes qui ont cet ouvrage à leur répertoire depuis de nombreuses années. Ainsi le ténor américain offre une vision exquise de la romance de Nadir, tout en délicates nuances, avec un usage pertinent de la voix mixte, notamment sur les dernières paroles de l’air. Un régal. De son côté notre baryton exprime avec sobriété et une émotion contenues les affres qui assaillent Zurga dans son air « L’orage s’est calmé ». Enfin, tous deux renouvellent l’intérêt que suscite le fameux duo « Au fond du temple saint » grâce à leur interprétation sincère et sans esbroufe.
En revanche les pages de Don Carlos constituent un défi pour les deux chanteurs qui n’ont jamais abordé cet opéra. Il suffira de quelques mesures du récitatif de l’air de Fontainebleau pour permettre à John Osborn de trouver ses marques et d’incarner son personnage avec conviction et un style adéquat. On pardonnera à Alexandre Duhamel quelques légers écarts de justesse dans le récitatif qui précède la mort de Posa pour n’admirer que son interprétation bouleversante de bout en bout. Cette partie s’achève avec le célébrissime duo de l’amitié « Dieu, tu semas dans nos âmes » dont les deux complices livrent une version exemplaire, le ténor s’offrant même le luxe de finir cette page sur une note aigue longuement tenue.
A la tête d’un Orchestre National de France en grande forme, Bertrand de Billy propose une direction à la fois puissante et nuancée tout en se montrant attentif aux chanteurs. La complicité entre les trois artistes est évidente et contribue à la réussite de ce gala qui s’achève en beauté avec la symphonie en ut que Bizet composa à l’âge de 17 ans et qui ne fut jamais jouée de son vivant. Redécouverte en 1933 dans un legs de Reynaldo Hahn au conservatoire de Paris, l’œuvre fut créé en 1935 à Bâle et se retrouve régulièrement depuis dans les programmes des concerts. Bertrand de Billy en donne une lecture spectaculaire. Le premier mouvement est dirigé avec énergie et une redoutable précision dans un tempo alerte, en revanche l’adagio extrêmement retenu met en valeur les sonorités envoûtantes du hautbois emplies de nostalgie. Enfin l’allegro final, pris à vive allure conclut la soirée dans une ambiance insouciante et festive.