Pour sa troisième édition, le Gala ODB Opéra, le site francophone d’échanges entre les passionnés d’opéra, offre à nouveau une combinaison de chanteurs confirmés, de jeunes voix en début de carrière professionnelle, de jeunes pousses plus ou moins vertes mais prometteuses, et la participation d’artistes hors de la sphère opératique. Comme en 2023 et 2024, l’après-midi est un véritable marathon lyrique avec un peu plus de quatre heures de concert. Erminie Blondel ouvre le bal musical. La jeune soprano fait partie de ces artistes dont la carrière commence à s’épanouir, en province comme à Paris. Elle déploie un timbre fruité et une voix ample et bien projetée, homogène sur toute la tessiture, dans un air des Pêcheurs de perles impeccable de musicalité et qui donne envie de l’entendre dans le rôle complet. Blerta Zeghu s’attaque avec un réel tempérament dramatique à la difficile scène finale de Roberto Devereux puis interprètera avec une belle sensibilité deux mélodies de Tosti, où son beau timbre un peu sombre fait merveille. Originaire de Moscou, Serafima Liberman offre un timbre capiteux, une belle largeur de voix et une bonne projection. Elle chante en interprète habitée l’air de Iolanta et une rare mélodie de Mili Balakirev sur un poème de Pouchkine (texte également mis en musique par Rachmaninov). Artiste confirmée, Pauline Courtin chante avec une grande sensibilité l’Adieu de l’hôtesse arabe de Georges Bizet et triomphe sans faiblir de la virtuosité de l’air des bijoux de Faust dans lequel elle déploie une voix ample et bien homogène. On rappellera son récent enregistrement consacré à Victor Hugo. Adam Barro chante l’air de Bartolo des Nozze di Figaro avec la rondeur d’un vieux routier italien et une belle maîtrise du canto silábico. D’origine arménienne, le baryton nous fait également découvrir un ample arioso extrait de Davit Bek, ouvrage populaire en Arménie mais inconnu en France. D’origine portoricaine, Clara Luz Iranzo connait déjà un début de carrière internationale (Grèce, États-Unis). Sa Thaïs est chantée avec une voix exceptionnellement corsée dans ce rôle (pour préciser, on est plus proche de Caballé que de Sills ou Fleming). Pour ces mêmes raison, son premier air de Lucia, couronné par un puissant contre ré émis sans effort, est particulièrement impressionnant. La prononciation est impeccable et la caractérisation dramatique très sensible et variée. Appréciée lors de la précédente édition, Victoria Lingock est en progrès constant, avec un timbre rare à mi-chemin entre ceux de Jessye Norman et de Grace Bumbry et son air de Dalila ne manque pas de donner le frisson ainsi que son impérieux « Acerba voluttà » d’Adriana Lecouvreur. Les deux artistes se lancent ensuite avec énergie dans le premier duo de Norma. Le timbre d’Iranzo est assez grave mais celui de Lingock l’est encore plus, de fait les deux voix sont bien appariées offrant une coloration inédite pour un résultat captivant. Momo Jang chante avec musicalité et émotion la scène de folie d’I Puritani, mais c’est surtout dans son épatant « Martern aller Arten » de Die Entführung aus dem Serail qu’elle achève de nous convaincre, avec des coloratures impeccables et surtout un ambitus idéal (dans cet air impitoyable, combien de sopranos à l’aise dans l’aigu se trouvent à nu dans le grave, et inversement). Christophe Poncet de Solages chante le premier air du Duc de Rigoletto, « Questa o quella », avec une aisance pleine de charme, et offrira le tube de Das Land des Lächelns (Le Pays du sourire dans sa version française) dans une interprétation gorgée de soleil qui attire la sympathie. Marion Charlo triomphe avec aisance des vocalises de sa « Céleste providence », extraite du Comte Ory, se jouant des nombreux conte-ut piqués qui émaillent son air, avec une délicieuse voix de colorature à la française. Hugo Tranchant à le type de voix idéalement haut perchée pour incarner Beppe et se révèle plein d’abattage dans le rondo de La Grande Duchesse de Gérolstein. Anne-Lise Polchlopek, qui avait chanté en récital la veille Salle Cortot, nous fait la grâce de deux morceaux de style et de tonalité très opposés, qui lui permettent de démontrer la versatilité de son talent, la triste Première lettre de Chaminade, d’une émotion à fleur de peau, et la pétulante « Tarántula », extraite de la zarzuela La Tempranica d’un bel abattage. Jean Bélanger est un Banco puis un Sarastro encore un peu verts mais les moyens sont là. Runji Li est encore très jeune mais séduit, dans la mélodie Nina (longtemps attribuée à Pergolese) par un timbre de ténor chaud et coloré. Aurélien Vicentini fait ses débuts public de contre-ténor avec le célèbre « Lascia ch’io pianga » de Rinaldo de Haendel. Dans « E lucevan le stelle », Ismaël Billy a des petits airs de Juan Diego Flórez, avec un timbre plus corsé. May Chedid avait été une découverte lors de la première édition, chantant de manière un peu improvisée une mélodie libanaise a cappella. Elle nous offre cette fois deux belles mélodies, de Fauré et Tosti, chantée avec musicalité et où l’on sent le développement harmonieux de la voix. Également présente au premier gala, Claire de Monteil a depuis vu sa carrière se déployer (on se rappelle de ses débuts inattendus à la Scala). La voix s’est élargie, gagnant aussi en puissance sans rien perdre en aigu. Elle nous offre une splendide interprétation de l’air d’entrée de Leonora dans Il trovatore (un ouvrage qu’elle a chanté à travers l’Italie l’année dernière). Elle démontre une nouvelle fois ses affinités avec la musique de Kurt Weill avec la glaçante chanson « Je ne t’aime pas ». Dans le redoutable « Si ritrovarla io giuro » de La Cenerentola, Mali Zivcovic offre une impressionnante cascade de suraigus (plusieurs contre-ut et un contre-ré) et une belle aisance dans la vocalisation. Par contraste, son Werther, trop central à ce stade mais dont il a assurément le physique, le met moins en valeur. En Anna Bolena et en Micaela, Fanny Utiger offre un timbre chaud et une remarquable aisance dans l’aigu et de beaux graves sans efforts, alliés à une belle incarnation dramatique. Raluca Vallois sait nous faire sourire avec une Belle Hélène à la voix charnue et puissante, et à l’aigu généreux. La jeune Anaëlle Gregorutti se lance avec intrépidité dans l’air de Farnace du Mitridate de Mozart, avec une voix corsée, à l’aigu puissant, et conclut le programme avec la délicieuse Heure exquise, non dans la version de Reynaldo Hahn mais dans celle, tout aussi élégante et plus rare de Régine Poldowski.
Le programme intégrait également la lecture de trois beaux poèmes d’Hanna Rees, moment de grâce trop fugitif. Ceux-ci sont extraits de ses Haïkus à la française, et dits par leur auteur. Le dernier d’entre eux évoque avec force et sensibilité le choc éprouvé par Hanna Rees à l’annonce de la mort de Béatrice Uria Monzon. Isabelle Carrar a fait résonner l’esprit du Quartier Latin avec trois belles chansons extraites des répertoire de Barbara et de Juliette Gréco (on pourra l’entendre en récital à Senlis le 9 octobre prochain à la Maison Léo Delibes, Villa du Châtelet). Le soprano et professeur de chant Anne-Julia Audray a présenté son recueil de sélections d’airs (opéra, oratorio, mélodie, chanson ou comédie musicale), Opera Singing, pour jeunes et moins jeunes chanteurs. L’idée est de permettre à des artistes de ne pas être obligés de voyager avec plusieurs partitions et de se concentrer sur celles susceptibles de les mettre en valeur. À titre d’exemple, même les chanteurs enfants y trouveront des airs leur permettant de mieux briller lors de leurs auditions. Les morceaux sélectionnés comportent plusieurs versions chantées traduites. L’après-midi était animée par Jérôme Pesqué, « patron » d’ODB-Opéra, et par Stéphane Sénéchal qui a apporté quelques moments de décompression avec ses incarnations de Funny Truche (soprano influenceuse) et de la Stromboli (diva à la carrière plus brève que son bagout !). Et l’on n’oubliera pas de remercier et de féliciter les quatre pianistes qui se sont succédé pour accompagnés les artistes dans ce programme particulièrement éclectique (et comportant beaucoup de raretés), et sans lesquels ce concert n’aurait pu avoir lieu : Maxime Neyret, Matteo Carminati, François Bettencourt et Arnaud Kérébel. Le spectacle était donné au profit de la Ligue contre le cancer.