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HAENDEL, Agrippina — Beaune

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Spectacle
31 juillet 2025
Au théâtre ce soir

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Dramma per musica en trois actes de Georg Friedrich Haendel, sur un livret de Vincenzo Grimani, créé à Venise en 1709

Détails

Agrippina
Arianna Vendittelli
Poppea
Ana Vieira Leite
Nerone
Juliette Mey
Ottone
Paul-Antoine Bénos-Djian
Claudio
Luigi De Donato
Narciso
Paul Figuier
Pallante
Riccardo Novaro
Lesbo
Vlad Crosman

Les Épopées
Direction musicale
Stéphane Fuget

Cour des Hospices de Beaune, samedi 26 juillet 2025, 21h

On connaît et admire avant tout Stéphane Fuget et son ensemble Les Épopées pour le travail unique qu’ils accomplissent dans le répertoire du seicento italien. Leur mémorable trilogie monteverdienne, donnée à Beaune sur trois années consécutives, en reste un jalon marquant, tout comme la bouleversante Morte d’Orfeo de Landi, récemment entendue à Versailles. Depuis quelque temps, leur répertoire s’ouvre à la tragédie lyrique française et – après une Alcina inaugurale ici même à Beaune il y a un an – aux opéras de Haendel. Agrippina est justement une œuvre singulière dans le corpus haendelien, profondément marquée par l’esthétique vénitienne et qui s’inscrit en cousine éloignée de l’Incoronazione di Poppea. En effet, le livret, signé de la main du prélat Vincenzo Grimani — qui a visiblement laissé sa dalmatique à la sacristie — met en scène un véritable nid de vipères, où les manigances se succèdent, s’accumulent jusqu’au vertige, dans des jeux d’enchevêtrement et de retournement typiquement baroques. L’action, touffue, tresse intrigues amoureuses et intrigues politiques sans jamais perdre de vue un humour ravageur – on se cache tour à tour dans les placards et on ose dire : « mon châtiment est double : on me ravit le pouvoir et on me marie à une femme ».

De fait, l’interprétation proposée par les instrumentistes des Épopées et leur chef peut déconcerter, car elle ne correspond pas vraiment à ce qu’on a l’habitude d’entendre dans ce répertoire. Les timbres des instruments sont extrêmement caractérisés, résonnant dans leur crudité (comme ces hautbois francs, presque pétaradants) et les variations dynamiques et rythmiques sont parfois brutales. La rectitude de cette musique, même dans les récitatifs, moins proches de la langue parlée que le recitar cantando du XVIIe siècle, oblige tout de même à tenir une certaine rigueur dans l’exécution. Portés par leur enthousiasme, les musiciens ne jouent parfois pas vraiment ensemble, les soucis d’intonation sont récurrents et l’ensemble manque d’impact sonore. En somme, l’orchestre peine à former une unité. Pourtant, que de choses palpitantes nous sont offertes dans cette interprétation ! Toujours attentif à la justesse des situations théâtrales, Stéphane Fuget révèle avec acuité tous les contrastes de la partition : des entailles nerveuses des cordes dans « Pensiero » aux traits rigolards du clavecin sous certaines interventions de Claude, on passe du tragique le plus poignant au comique le plus léger, créant là un tourbillon théâtral réjouissant.

Cette verve théâtrale habite également l’ensemble des chanteurs de la distribution. À commencer par Arianna Vendittelli, qui incarne une Agrippine de grande classe, tantôt rouée, tantôt touchante, mais toujours souveraine. Sa voix au timbre fruité mord dans le texte avec une gourmandise évidente et l’interprète déploie une large variété d’inflexions vocales pour rendre compte au mieux des desseins de son personnage. Elle traverse tous ses climats affectifs avec l’aplomb d’une femme qui ne doute de rien, pliant le texte et la musique à sa volonté, en grande ordonnatrice de l’intrigue. À cette superbe maîtrise musicale et textuelle s’ajoute un charisme ravageur, presque cinématographique, qui donne à cette Agrippine les allures de star hollywoodienne – irrésistible, impitoyable, indéchiffrable. Sa grande rivale Poppée est incarnée par Ana Vieira Leite, qui semble se délecter d’un rôle à sa mesure, et régale le public au passage. La voix manque peut-être un peu de sève ou de pulpe, avec un timbre parfois trop pâle pour pleinement séduire, mais la présence piquante, la vivacité du jeu, et surtout la musicalité souple et inventive de l’interprète compensent largement : elle donne au personnage une élégance vénéneuse et joueuse, parfaitement dessinée. Chaque pose, chaque mine semble étudiée pour portraiturer un personnage toujours sûr de ses charmes.

Paul-Antoine Bénos-Djian, qui avait incarné un Ottone monteverdien inoubliable sous la direction de Fuget, retrouve ici le même personnage, mais dans sa version haendelienne, plus jeune, plus vulnérable, plus exaltée. Seul être véritablement intègre au cœur de cette jungle de duplicité, Ottone devient avec lui une figure d’une poésie grave et jamais ingénue. La voix, charnue et souple, portée par un souffle ample, épouse les élans comme les abîmes du personnage avec une pudeur lumineuse. Son « Voi che udite », exténué, au bord de la rupture, la voix suspendue au-dessus d’un orchestre susurrant, apparaît comme un des sommets d’émotion de la représentation. En jeune Néron, Juliette Mey impressionne tout autant. Elle choisit d’incarner ce personnage, précédé par sa réputation sulfureuse, non pas comme un tyran en devenir ou un chien fou, mais comme un adolescent encore épargné par la corruption, tranquille, presque pudique. Sa voix lumineuse, son phrasé élégant, sa diction ciselée donnent au personnage une noblesse farouche, celle d’un être qui cherche encore sa place dans le monde corrompu des adultes. Les vocalises de « Come nube », où l’on devine cette fois les fureurs latentes du Néron à venir, sont exécutées avec un panache qui laisse poindre une tension incendiaire.

Claude prend ce soir l’apparence de Luigi De Donato, comme lors de la précédente Agrippina donnée au festival de Beaune, en 2012. Avec un collier clinquant autour du cou, il campe un portrait savoureux de l’empereur, d’une drôlerie constante. On sent qu’il connaît le personnage sur le bout des doigts et il sait le rendre terriblement attachant. Il se joue également de la tessiture du rôle avec une malice à peine déguisée, plongeant vers des graves abyssaux, presque too much, et il assure avec crânerie les difficultés de la partition. Dans l’air « Io di Roma il Giove sono », sa voix impressionne par sa vélocité, et il réussit à incarner à la fois le potentat vaniteux et l’homme mûr gagné par une sourde amertume en voyant le monde lui échapper. Les deux prétendants d’Agrippine sont incarnés par Paul Figuier et Riccardo Novaro, qui se complètent idéalement. Le premier propose un Narcisse enflammé, sûr de lui, servi par un timbre homogène d’une grande beauté et un relief vocal saisissant ; le second est un Pallante mordant, à la voix de basse chaude et ample. Enfin, Vlad Crosman assume avec une réjouissante impudence le rôle du serviteur complice Lesbo. Le personnage n’a pas d’aria et n’intervient que dans les récitatifs et les ensembles, mais le chanteur distille ses quelques répliques avec un sens du tempo comique très sûr, contribuant à l’esprit d’ensemble de cette représentation, où le théâtre prime toujours sur la simple démonstration vocale. Cette véritable soirée de théâtre musical couronne d’ailleurs une édition du festival de Beaune – la première sous la direction du nouveau directeur artistique, Maximilien Hondermarck – marqué par des propositions radicales, comme l’a été cette Agrippina, savoureuse et détonnante.

Crédit photographique : Ars.essentia

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