De cet Hänsel et Gretel créé à Nantes il y a tout juste deux ans, on connaissait quelques photos – des réverbères, des poubelles – et l’on craignait un peu une version désespérée, voire désespérante, du chef-d’œuvre de Humperdinck. Certes, le point de départ du livret s’y prête : comme dans Le Petit Poucet, ces parents dans l’impossibilité de nourrir leurs enfants ressemblent à s’y méprendre à nos « modernes » familles SDF réduites à dormir dans la rue. Mais dans ces conditions, qu’allait devenir la composante féerique du conte ? Quid de la libération finale des enfants prisonniers de la sorcière, comme tous ces amants captifs qu’on délivre à l’issue de l’Alcina de Haendel ? Fort heureusement, Emmanuelle Bastet n’a pas commis l’erreur de rester prisonnière de son concept initial, et elle a su parfaitement marier le réalisme du premier acte à l’onirisme des suivants. Après tout, dans l’opéra, la misère de Peter et Gertrud ne trouve aucune solution durable, et elle est oubliée dans l’euphorie des retrouvailles, alors pourquoi aurait-il fallu les ramener à ce parking qu’ils squattent ? D’autant que Hänsel et Gretel est, en France comme ailleurs, un spectacle de Noël, où le public se compose en grande partie de têtes blondes (vérité que ne démentent nullement les représentations nancéennes). Il sera bien temps un autre jour d’éclairer nos chers petits sur la situation économique et sociale contemporaine, et tant mieux si ce spectacle commencé dans la grisaille sordide s’achève en couleurs. Comme lorsqu’elle collabore avec Laurent Pelly, Barbara de Limburg a su concevoir des décors dont la sobriété ne nuit aucunement à la poésie : quelle superbe image que celle de ce bosquet de réverbères qui se couvre soudain de pommes, pour remplacer la très sulpicienne pantomime des anges à la fin du deuxième acte !
© Opéra national de Lorraine
L’opéra de Humperdinck n’exige pas de voix hors normes, mais encore faut-il trouver les interprètes idoines, grâce auxquels les spectateurs peuvent croire à cette belle histoire. Pour Nancy, la distribution – intégralement renouvelée par rapport à celle de Nantes et Angers en 2015 – se révèle tout à fait à la hauteur du défi. Marysol Schalit est la seule à ne pas effectuer une prise de rôle à cette occasion : la soprano suisse a la voix claire et l’allure juvénile qui conviennent à l’héroïne, mais évite tout côté soubrette ou mièvre. A ses côtés, la mezzo franco-brésilienne Yete Queiroz incarne Hänsel de la manière la plus convaincante qui soit, tant par sa dégaine d’ado hirsute aux vêtements informes que par la couleur de son timbre qui se marie fort bien à celui de sa sœur. Vue récemment en Bobylikha dans La Fille de neige à Paris, Carole Wilson trouve en la sorcière Grignotte un personnage à sa démesure : d’abord vieille dame en rose, sosie de Barbara Cartland, elle se transforme bientôt en Mae West à boa et fume-cigarette, et son chant ponctué de graves à la Louis Armstrong ou de rires sataniques est assez irrésistible (merci à Nancy de nous avoir épargné la mauvaise tradition de confier le rôle à un homme). Les parents sont interprétés par des artistes jeunes, Deirdre Angenent offrant une réplique très adéquate à un Josef Wagner très en voix. Et dans son double rôle, Jennifer Courcier ne manque ni de piquant ni de ressources comiques, après son récent passage par le tragique du Nain de Zemlinsky à Lille. Mention spéciale pour les indispensables figurants chats et rats qui se répandent sur scène et dans la salle dès la fin du premier acte.
Sous la baguette experte de Thomas Rösner, déjà à la tête des représentations angevino-nantaises, et dont on avait notamment pu apprécier la direction dans Die Tote Stadt, la salle nancéenne résonne de l’orchestration opulente de Humperdinck, tandis que les voix d’enfants du conservatoire régional apportent leur concours délicat à la réussite de ce spectacle, qui se donne à guichets fermés pour quatre autres représentations seulement.